Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (6/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.
EPISODE 6 : 31 août – 2 septembre
Lundi 31 août
Nuit pluvieuse et ventée. Réveil à 8h. Les muscles sont endoloris. Il fait froid, il pleut sans discontinuer.
Nous démarrons vers 9h30 en franchissant un dernier col au-dessus d’un dernier canyon, et une heure et demie plus tard nous crions victoire : nous sommes passés ! Face à l’Alaska nous avons réduit le score : 2 à 1.
Nous continuons de marcher une heure en direction de Katmai Pass, en regrettant finalement de ne pas être allés jusqu’à la mer car nous aurions eu le temps – mais on ne pouvait s’en rendre compte qu’après coup.
Le temps devient soudain glacial, sous une température de 10°C le vent se lève, de face. Sous une pluie battante nous établissons notre campement dans le havre de verdure au pied de la coulée de lave du Trident que nous avions repérée à l’aller. Mais sous la bise et la pluie c’est moins souriant. Il y a des ruisseaux d’eau tiède baignant dans une boue rougeâtre, mais le temps de cochon ne nous incite nullement à une séance de lavage. On se calfeutre vite dans les tentes, pieds et mains transis. Il n’est que 13h30. S’il continue à faire ce temps pourri, le franchissement retour de la Katmai Pass sera difficile. Néanmoins il nous reste sept jours pleins, et on commence à se demander ce que nous ferons comme nouvelles randonnées, à part celle du lac de cratère du volcan Katmai.
Jusqu’ici nous avons franchi des crêtes en lame de couteau, dévalé des pentes raboteuses ou sablonneuses, nous avons frayé notre chemin dans des défilés quasi impraticables, traversé de vastes étendues fendues de canyons, boursouflées de tumulus et de solfatares issus d’éruptions volcaniques, nous avons croisé des tours de lave et d’argile ; sur des espaces immenses nous avons arpenté des terrains rongés par le soufre, déchiquetés par les vents, parsemés d’éclats de rocs dardant vers le ciel leurs piques aiguisées comme des poignards. Que nous reste-t-il à contempler ?
Retour au réel. Didier et Marc, qui ont mangé leur chili con carne lyophilisé la veille au soir, ont à leur tour attrapé la chiasse… Un menu à éviter donc pour nos futures expéditions, quand nous ferons nos courses au Vieux Campeur ou chez REI…
Il pleut tout le reste de la journée et nous restons calfeutrés sous nos tentes. Parties de belote. J’ai le temps de terminer la lecture de Moravagine, de Blaise Cendrars, et de prendre quelques notes en vue d’une prochaine expédition :
- garder toujours au sec un Lifa haut et bas et une paire de chaussettes
- emporter dans ma pharmacie personnelle de l’élastoplast blanc, des petits pansements, une aiguille pour percer les ampoules, de la pommade cicatrisante, un anti-inflammatoire, de l’Imodium ou de l’Ercefuryl contre les infections intestinales
- un stop-tout
- des sur-moufles
- des sangles et des boucles de rechange pour le sac.
Le soir venu, le vent se déchaîne. Nous passons cependant une excellente nuit de récupération.
Campement du 31 août, au pied de la coulée de lave du Trident
Mardi 1 septembre
Réveil à 7h30. Le vent est tombé, cela semble se dégager un peu, il ne pleut plus que de fines averses. Nous franchirons Katmai Pass !
Nous l’atteignons en effet en guère plus d’une heure et passons le col dans des conditions idéales.
Comme j’ai encore envie de marcher, je propose de rentrer au refuge de Baked Mountain en passant non pas entre Cerberus et Falling Mountain, mais de l’autre côté de cette dernière, en longeant le glacier du Mageik. Seuls Philippe et Marc m’accompagnent cependant, Didier et Arturo rentrant directement. Beau panorama, on voit au loin les lacs. Nous arrivons au refuge à 13h30. Petite journée.
La température n’est plus que de 6°C. Il se remet à pleuvoir et cela ne va plus cesser. Je me lave de la tête aux pieds ainsi que mes vêtements, et nous nous calfeutrons toute l’après-midi, jouant à la belote et aux échecs. Le soir il se met à neiger. Pluie et neige toute la nuit.
Mercredi 2 septembre
La neige recouvre le sol 50 mètres plus haut. Le ciel continue à peser bas, lourd et noir comme un couvercle… Il neige par intermittences. L’ascension du volcan Katmai (il culmine à 2047 mètres, mais le bord de la caldera est à 1500 mètres et le lac de cratère à 1300 mètres) devient de plus en plus problématique. Nous déciderons dans la journée.
Didier nous donne un cours sur les nœuds :
1/ le nœud en 8, pour s’encorder sans mousqueton (un tour de plus que le nœud ordinaire)
2/ le machard, ou nœud autobloquant : il bloque vers le bas mais coulisse vers le haut
3) le jumar : équivalent mécanique, avec poignée autoblocante
4/ Quand on est pendu au bout d’une corde pour remonter on utilise deux nœuds de prussik, un au baudrier, l’autre pour le pied
5) si on est dans une crevasse, il y a tout un dispositif utilisant prussik, jumar, poulie, etc.
A 13h30 le temps se lève. On décide de tenter le Katmai. On part avec des sacs légers. On marche dans la neige le long de Baked Mountain, au-dessus de Novarupta. C’est superbe. Vaste champ de neige.
On aperçoit au loin le pied du glacier de Knife Creek sur une vaste plaine plate. On atteint le pied du glacier à 16h.
Le temps est incertain. Didier et moi sommes prêts à tenter l’ascension, quitte à redescendre à la nuit, mais Marc ne veut pas. Il a raison. Retour donc au refuge, en passant de l’autre côté de Broken Mountain. Beaux aperçus sur Knife Creek.
Le soir, échecs et belote. Je n’ai pas faim en raison de problèmes intestinaux. Nous retournerons au Katmai demain, cette fois avec les tentes.
La suite est ici
C’est un sage, ce Marc. J’attends les photos de la caldeira du Katmai !
Lecture, échecs, belotte… conservation du terrain mental, pas oubli et refonte. Rien d’inhumain, mais elle a dû marquer tous nos explorateurs cette perfusion de nature primitive.
Merci Guillaume de rester fidèle (et désormais seul) commentateur de mes aventures. Il s’agit bel et bien de mon journal de bord, écrit chaque soir sous la tente, avec toujours un souci littéraire!
Un vrai régal vos récits qui pourraient même se passer de photos. On y est , on voit les paysages et on souffre presque !