Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (3/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.
EPISODE 4 : 25-26 août
Lever 7h. Ciel couvert, le plafond de nuages recouvre les sommets. La seule course que nous puissions faire est celle conduisant aux lacs Mageik. Arturo préfère rester se reposer, ainsi que Marc qui soigne ses plaies.
Nous partons, il n’y a pas de vent, mais la pluie ne tarde pas à tomber. Premier lac Mageik, d’une belle couleur.
Nous traversons trois rivières et parvenons au second lac après 4h de marche : cascades, superbes canyons.
Il pleut de plus en plus. Retour droit au refuge. 7h de marche maintenant. La fin est épuisante, p… de Baked Mountain ! Nous charrions pour nos gourdes de l’eau grise prise dans le Léthé. Traces d’ours dans la Vallée. Cette « montagne cuite » ressemble à un énorme gâteau avec un fruit confit posé dessus ; tout entourée de solfatares éteints, lorsque les explorateurs de 1916 ont dû la découvrir, elle fumait, cela devait vraiment ressembler à un gâteau cuit. Cela dit, sur le chemin du retour, sous la pluie et la fatigue, en plein milieu de l’immense vallée de pierre ponce, Baked Mountain avec son mamelon me fait plutôt songer à un jeune et tendre sein, aux pentes douces et au mamelon durci sous le plaisir…
Retour au refuge. Les allemands sont partis du petit cabanon, nous nous y installons et il est bien plus chaud. Nous faisons un gros dîner et préparons le grand départ du lendemain (sauf s’il fait très mauvais) : un périple de dix jours passant par Katmai Pass, puis Katmai Canyon, et la mer avec ses arbres calcinés. Si le temps est mauvais (il y a de fortes chances pour qu’il le soit), ça va être l’Enfer !
J’apprendrai bien des années plus tard que les deux cabanons de la Baked Mountain ont été détruits lors d’une tempête en 2018, et ne peuvent plus être utilisés comme abri…
Note pour une prochaine expédition : se mettre des élastoplasts avant le départ, et entourer les doigts de pied comme ceci :
Mercredi 26 août
Excellente nuit bien au chaud. Lever à 6h. Temps couvert mais pas de vent. Donc, départ pour Katmai Pass. Petit déjeuner, nettoyage du refuge. Départ à 8h30. Les sacs sont plus légers, on marche plus vite et plus longtemps.
On atteint la Katmai Pass (800 mètres d’altitude) en 2h30. Température 12°C, pas un souffle de vent, quelle chance, on peut la traverser sans être obligé de ramper !
La région est en effet très exposée à la majorité des tempêtes nées de la dépression quasi-permanente des Iles Aléoutiennes côté Ouest, et les montagnes forment une barrière topographique à la circulation des vents de l’Ouest vers l’Est. Par un effet type tuyère de Laval (en fait un effet d’entonnoir), les vents s’engouffrent dans le col très rétréci avec une violence particulière et des vitesses très élevées, de sorte qu’il faut généralement le franchir accroupi ou en rampant ! Au passage on trouve justement un cadavre d’aigle, probablement aspiré par les vents violents qui soufflent d’ordinaire, puis déchiqueté par un ours. Dans son compte rendu d’expédition, Griggs mentionne d’ailleurs une tempête qui en 1919 a détruit son camp installé près du col.
De l’autre côté nous découvrons un superbe panorama : gigantesques coulées de lave noire, petits ruisseaux constellés de mousse verte, d’herbes et d’algues rouges, le tout luisant au soleil.
Nous descendons le long du lit de la rivière Mageik. Magnifiques petits îlots de verdure et de mousse. D’énormes coulées de lave descendues du volcan Trident obstruent les berges de la Mageik.
Après une heure de marche parmi ces roches coupantes, instables et périlleuses, nous décidons de traverser la rivière pour marcher sur l’autre berge, plus facile. Nous parvenons à un large et sublime lit de rivière, très plat, à proximité de taillis. Nous avons marché cinq heures pleines et tenons conciliabule pour décider si on campe ici ou pas. Moi je suis pour continuer, Didier et Philippe aussi, mais Marc et Arturo non. Comme il vaut mieux ménager les pieds de Marc pour pouvoir en faire davantage plus tard, on décide de rester. Il est 15h.
Le reste de la journée se passe à nous laver, à cacher la nourriture sous des tas de pierres, à essayer d’aller pêcher – sans succès car nous n’avons pas d’appâts, et surtout il n’y a pas de poissons ! -, jouer à la belote, puis repas du soir avant de se réfugier sous les tentes à 21h.
On aura eu énormément de chance avec le temps aujourd’hui : pas un souffle de vent ni une goutte de pluie, et même quelques rayons de soleil. Si cela dure et si Marc peut marcher, on pourra accomplir la traversée des deux canyons. Nous verrons bien.
Etat psychologique du groupe :
- Marc, malgré son mal aux pieds, reste toujours de bonne humeur, comme je le pensais il est formidable. A son actif, par n’importe quel temps et dans n’importe quel endroit, il a été capable d’allumer du feu, trouvant toujours un morceau de bois, parfois même anticipant en en prenant dans son sac… Comme dira l’ami Philippe, il a tenu la fonction de gardien de la flamme qui existait déjà au paléolithique… Malheureusement, à cause de ses blessures aux pieds il nous retarde et nous oblige à revoir nos projets à la baisse.
- Didier est extrêmement solide, le plus collectif aussi, et il connaît plein de petits trucs. Il aimerait comme moi marcher huit heures par jour pour en faire un maximum, et il ronge un peu son frein avec Marc et Arturo.
- Arturo va de son pas tranquille, parlant peu, mangeant peu, lent mais sûr, soucieux de sa santé, de son confort et des plus menus détails. Il n’aime pas les gros efforts.
- Philippe et moi sommes en bonne forme, les accrochages des premiers jours ont complètement disparu depuis notre discussion. D’une part nos sacs se seront progressivement allégés, d’autre part mes ampoules ainsi que celles de Marc, devenues préoccupantes, ont remis nos états de forme physique et mentale à niveau.
La suite est ici
Mon fils est parti ce matin dans les Alpes pour une randonnée dans la montagne avec 3 copains, retour prévu dimanche. Il a planifié un itinéraire pour le groupe, je le revois étudier avec soin les cartes, mai aucune idée de ce qu’il a décidé de faire. En tout cas je lui toucherai un mot de vos billets, ces récits ne pourront que lui plaire