Depuis quelque temps je suis constamment sollicité par les médias – presse, radio, télévision – pour donner mon avis sur le degré de dangerosité des astéroïdes dits “géocroiseurs”. En témoignent notamment l’émission de Michel Alberganti intitulée “Astéroïdes : comment éviter la fin du monde?”, diffusée le 28 février dernier à l’antenne de France Culture (podcast ici), celle de Stéphane Paoli sur France Inter que j’ai enregistrée ce matin et qui sera diffusée dimanche 16 mars, ou ma petite interview de deux pages qui vient de paraître dans le numéro de mars du magazine Sciences & Avenir.
Il est vrai que j’ai imprudemment commis en 2012 un ouvrage au titre provocateur, Astéroïdes : la Terre en danger. Assertion que j’aurais d’ailleurs voulu transformer en question interrogative à laquelle répondre dès la quatrième de couverture par un rassurant “non, pas vraiment” , mais – impératifs commerciaux obligent -, c’est l’affirmation exagérément alarmiste qui avait été retenue par l’éditeur.
Il est vrai aussi que depuis quelques mois, l’actualité nous ramène régulièrement au sujet. Il y a un an, le 15 février 2013, un bolide cosmique de 17 mètres avait déjà défrayé la chronique en se désintégrant en vol au-dessus de la bonne ville de Tcheliabinsk, dans l’Oural russe: le souffle de son explosion avait libéré une énergie équivalente à 100 bombes d’Hiroshima, brisé d’innombrables vitres d’immeubles et fait des centaines de blessés légers. La nuit dernière, 5 mars 2014 à 22h (heure de Paris), l’astéroïde 2014 DX110, d’un diamètre de 30 mètres et découvert à peine une semaine auparavant, est passé à 345 000 kilomètres seulement de la Terre, soit plus près que la Lune. Et ce soir jeudi 6 mars, vers 22 h 30, un autre petit corps d’une dizaine de mètres de diamètre, découvert hier, frôlera notre planète à 60 000 kilomètres de distance. Bref, notre planète est au centre d’un stand de tir cosmique.
Des astéroïdes passant entre la Terre et la Lune, il y en a beaucoup; on en connaît depuis longtemps et on n’a pas fini d’en découvrir! Les deux vignettes ci-dessus vous rappellent-elles un bon souvenir de lecture? Nous sommes dans l’album On a marché sur la Lune. Il ne rêve pas, le professeur Tournesol. Quant à l’inénarrable Dupont, il profère une de ses habituelles sottises en confondant l’astéroïde baptisé Adonis avec le nom d’un “ami qui habite la région”. L’ami en question fait plutôt figure de vagabond céleste, aux errances assez dangereuses pour transformer le rêve de Tournesol en cauchemar. Au cours de ses pérégrinations dans le Système solaire, Adonis, astéroïde numéro 2101, a en effet tendance à s’approcher fâcheusement de notre bonne vieille Terre, au risque même de lui donner une grosse claque. C’est un géocroiseur de taille plutôt conséquente.
Apprécions au passage la bonne connaissance qu’Hergé avait de l’astronomie de son temps. Son album date de 1954. Or, l’astéroïde 2101 Adonis avait été découvert en 1936. D’un diamètre de deux kilomètres, il s’est approché à moins de deux millions de kilomètres de notre planète en 1937. Il n’est cependant pas passé entre la Terre et la Lune, comme l’a imaginé Hergé pour épicer le voyage de ses héros. Malgré tout, le dessinateur avait bien conscience du grand nombre de corps célestes qui errent dans les parages de la Terre. Le petit corps est dessiné avec un certain réalisme. Ensuite, le capitaine Haddock se retrouve satellisé autour d’Adonis, un concept remarquable pour l’époque puisque le premier satellite artificiel ne sera lancé que 3 ans plus tard. Et un peu plus loin dans l’album, la fusée de nos héros est frôlée par une météorite, certes plus petite que l’astéroïde Adonis, mais suffisamment grosse pour pulvériser l’engin en cas de collision. Les futurs voyageurs vers la planète Mars, dans la seconde moitié du XXIe siècle, auront précisément à faire face à ce type de danger.
Pourquoi ce nom, 2101 Adonis? Parce que si vous découvrez un astéroïde, l’Union Astronomique Internationale (UAI) lui attribue d’abord un numéro matricule, et ensuite, vous pouvez recommander le nom de votre choix, à l’exception du vôtre. Les premiers astéroïdes découverts au XIXe siècle ont été baptisés du nom des dieux et déesses de l’Antiquité grecque et romaine. Quand ce panthéon a été épuisé, il a fallu trouver autre chose. Aujourd’hui, l’UAI retient le principe que le découvreur peut choisir n’importe quel nom, à partir du moment où il n’est pas obscène… Voir son propre nom attribué à un astéroïde est comme une montée au ciel qui, pour une fois, se passe du vivant de l’élu. C’est ainsi que “mon” astéroïde, 5523 Luminet, gravite à un peu plus de quatre cents millions de km du Soleil. Comme sa taille atteint à peine les douze kilomètres, son éclat n’est que celui d’une bougie allumée à 2 500 kilomètres de distance. Bien piètre luminaire! Mais au moins il reste bien calé dans la ceinture principale d’astéroïdes, son orbite coincée entre les orbites de Mars et Jupiter, et il ne risque pas de menacer notre belle planète – comme le montre ci-dessous le visualiseur d’orbite de la NASA:
Corps rocheux de tailles diverses, les astéroïdes gravitent en effet pour la plupart en sage troupeau entre les orbites de Mars et de Jupiter. Dans cette zone appelée “ceinture principale”, ces avortons d’une planète qui n’a jamais réussi à se former tournent autour du Soleil comme les fils entrelacés d’une immense pelote. Et ils sont nombreux! Grâce à des caméras automatiques montées sur télescopes, plusieurs dizaines de milliers sont découverts chaque année.
Mais revenons aux géocroiseurs. En quoi sont-ils potentiellement dangereux? Hé bien parce qu’une certaine fronde gravitationnelle éjecte de temps à autre des astéroïdes de leur troupeau et les propulse en direction de la Terre. On considère qu’ils présentent un danger de collision potentiel avec la Terre si leur trajectoire s’approche à moins de sept millions de km de nous et si leur diamètre dépasse cent trente mètres. Il y a plusieurs milliers de ces NEOs (Near Earth Objects). L’un des plus surveillés se nomme Toutatis (dieu de la guerre chez les Gaulois qui, comme chacun sait, craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête). Il a par exemple “frôlé” la Terre le 29 septembre 2004 à 1 556 000 km de distance. La marge semble confortable, mais elle inquiète les astronomes. Toutatis revenant en effet tous les 4 ans, une conséquence de ces fréquentes approches est qu’il subit les perturbations gravitationnelles de la Terre. Ainsi on ne peut prédire avec exactitude sa trajectoire pour plusieurs siècles à venir. Plus généralement, les vagabonds célestes peuvent avoir des orbites chaotiques et imprévisibles sur le long terme, la moindre perturbation gravitationnelle pouvant les précipiter sur une nouvelle trajectoire dangereuse.
La Terre se promène donc dans un vaste stand de tir cosmique. Des millions de projectiles sillonnent l’espace. La plupart, bénins, sont des grains de la taille d’une poussière ou d’une pierre : les météorites. Il en tombe en moyenne mille tonnes par jour. D’autres, les astéroïdes, sont des cailloux de la grosseur d’une montagne. Du temps d’Hergé, nous connaissions très peu de géocroiseurs. Aujourd’hui, nous pensons avoir repéré tous ceux de taille supérieure à dix kilomètres, mais à peine quelques millièmes de ceux dont la taille est inférieure à un kilomètre. Sans tomber dans un catastrophisme de mauvais aloi, on peut raisonnablement se demander si notre civilisation est menacée dans un avenir proche par un impacteur cosmique. La réponse est NON à court terme, mais forcément OUI à moyen ou long terme. Bien qu’à tout instant la probabilité de collision soit très faible, la Terre finira tôt ou tard par être frappée par un bolide céleste.
Dans la vidéo ci-dessous enregistrée en 2010, j’aborde la question de savoir si notre Terre, en tant qu’objet du système solaire, est vraiment un lieu sûr.
Les impacteurs de cinquante mètres, capables de provoquer des explosions équivalant à mille bombes d’Hiroshima, surviennent à un rythme moyen d’un ou deux par siècle. La Terre a récemment connu deux tels impacts dans des zones inhabitées: en 1908 en Sibérie, et en 1997 au Groenland. L’impact d’un corps céleste de plus de cinq cents mètres de diamètre, n’importe où sur la planète, serait suffisant pour menacer sérieusement notre civilisation. La probabilité qu’une telle collision se produise est d’environ un sur cent mille par an. Ce risque semble faible, mais les risques de mourir dans un accident d’avion sont également d’environ un sur cent mille par an. Vous avez donc autant de chances de mourir dans un accident d’avion (où peu de gens meurent, mais souvent) que dans une catastrophe cosmique (où tout le monde meurt d’un coup, mais très rarement) !
Quant à la fréquence moyenne d’impact avec un astéroïde de dix kilomètres, elle est de un tous les cent millions d’années. Il s’agit de la taille critique à partir de laquelle le volume de poussières injectées dans l’atmosphère terrestre est capable de plonger la planète dans un long hiver astéroïdal et de provoquer des extinctions massives. La Terre en a connu cinq au cours des six cents derniers millions d’années. La plus récente et la plus médiatisée est la disparition des dinosaures, survenue il y a soixante-cinq millions d’années (incidemment, elle a permis aux mammifères que nous sommes de se développer).
Les scientifiques se sont penchés sur la meilleure manière de se débarrasser d’un rocher de l’espace. On ne peut pas toujours compter sur Bruce Willis pour sauver la Terre. Dans le film Armageddon, l’acteur américain incarne un spécialiste des forages qui a pour mission de placer au cœur d’un astéroïde menaçant une charge nucléaire pour le détruire. Le scénario est notoirement idiot, car l’astéroïde se fragmenterait en morceaux qui frapperaient la Terre en plusieurs points au lieu d’un seul. Qui plus est, les débris seraient radioactifs…
Nombre de chercheurs estiment que la meilleure méthode consiste à dévier l’astéroïde de sa course. L’idée la plus folle consiste à le saupoudrer de talc blanc ou de poussière noire afin de modifier ses propriétés de réflexion. Les rayons solaires exerceraient alors sur lui une pression différente, suffisante pour le pousser hors de son chemin mortel. Mais la technique nécessiterait un siècle de travail. Délai bien suffisant pour certains astéroïdes à l’orbite calculée longtemps à l’avance, mais trop court pour maints bolides dont les trajectoires chaotiques sont impossibles à prévoir.
L’idée la plus raisonnable est celle du remorquage gravitationnel : à condition que l’astéroïde ne soit pas trop massif, un vaisseau spatial voyageant de conserve auprès ou autour de lui exercerait une (at)traction qui, à la longue, dévierait sa trajectoire. Merci Newton! Ce scénario est très sérieusement étudié par les scientifiques du consortium NEO-Shield récemment créé sous l’égide de la Commision Européenne.
Des solutions existent donc. Espérons cependant qu’aucun gros géocroiseur ne se profile à l’horizon au cours des prochains siècles. Car pour mettre réellement en œuvre les techniques de déviation étudiées pour l’instant sur papier, ça va être … tintin!
ça c’est du blog !
À propos d’astéroïde géocroiseur, j’imagine que tu as vu le film de Lars von Trier “Melancholia”, avec sa très belle mise en scène et en images d’une collision terre-lune ?
Merci Frédéric! Oui bien sûr j’ai vu Melancholia, j’avais beaucoup aimé la seconde partie (pas la première), même si l’argument astronomique ne tenait pas la route (mais au cinéma on s’en fiche)
Bonsoir,
A ce jour, je trouve que la fréquence des découvertes de ces dix dernières années de ces “géocroiseurs” est grandissante. En tout cas la forte médiatisation sur ce sujet n’est pas anodin, cela fait vendre.
Et la probabilité d’impact avec notre bonne vieille Terre est élevée aussi, dernière en date, cette possibilité avec une date donnée du 1er février 2019 avec l’astéroïde NT7 2002.
Pensez vous que cela soit exagéré de cette sur-médiatisation sur les géocroiseurs ?!
Bonsoir,
Donc rectification, NT7 2002 fut supprimé du catalogue Sentry (Sentinelle) le 1er août 2002, l’astéroïde passera à 0,407811 unités astronomiques (61 007 709,978 km) de la Terre.
Ouf !!
Bonjour,
Beaucoup d’articles et d’émissions traitent le sujet de la taille qu’un géocroiseur devrait avoir pour mettre notre terre en danger… La probabilité, non nulle, reste faible mais les dinosaures avaient peut-être une autre forme de calcul et ont tiré le gros lot 🙂
J’ai trouvé beaucoup d’articles sur l’interaction Terre/ Lune, notamment sur l’éloignement de cette dernière mais pas sur la possibilité et sur la taille qu’un géocroiseur devrait avoir s’il percutait la lune pour mettre la terre en danger. La probabilité doit être encore plus faible que pour la terre ?
Les scientifiques intègrent-ils cette possibilité ou le champ gravitationnel de la terre nous donnerait-il l’honneur d’être visé les premiers ?
En effet la “section efficace de collision” d’un astéroïde avec la Lune est plus faible qu’avec la Terre. Par ailleurs il faudrait un astéroïde énorme percutant la Lune pour mettre la Terre en danger. Et il n’y a aucun géocroiseur connu susceptible de le faire…
Bonjour ,
je viens de voir votre article tres bien écrit d’ailleurs
As t’on eu des nouvelles de 2002 nt7 ?
cordialement
Merci de me lire. L’astéroïde (89959) est passé le 13 janvier dernier à 0,407 811 UA (61 007 709 km) de la Terre, soit une distance respectable à peine plus proche qu’en 2003, 2012 et 2018, années des précédents passages. Les passages suivants sont prévus un peu plus éloignés le 24 février 2028, ensuite en 2034 et 2035.
Bonjour
merci pour cette réponse
Ce qui me fait le plus peur , c’est que certains sites , conspirationniste ou non que je n’afficherait pas ici
donnaient une soit disant heure 11h47 ce même
février , je suppose que ça été exagéré ou ajouté
je vais lire votre livre , est il encore en vente ?
cordialement
Bonjour à ce jour qu’en est il d’Adonis?
Il passera à moins de 30 millions de kilomètres de la Terre six fois au XXIe siècle, la plus proche en 2036 à 5,3 millions de kilomètres. Strictement aucun risque, donc!