Un article paru dans BBI-Culture(s) (BBI = Boulogne-Billancourt Information), n°17, novembre 2015 – février 2016, p. 12-13, par Christiane Degrain, la Rédactrice-en-chef.
En voici le texte :
Rencontre
Jacques-Marie Bardintzeff
L’homme qui parle aux géants
Volcanologue de réputation internationale, spécialiste des volcans actifs, il arpente la planète au chevet de ces géants afin de tenter de comprendre leurs humeurs… Jacques-Marie Bardintzeff, Boulonnais passionné, est présent au Salon du livre.
J.M. Bardintzeff, photographié sur le toit de l’hôtel de ville : « Tout un symbole pour moi qui adore ma ville ! » (Photo : Bahi, Mairie Boulogne-Billancourt)
« Un volcanologue, c’est un médecin de la Terre. Quand un volcan se manifeste, on se rend auprès de lui pour lui prendre le pouls, évaluer son état, faire un diagnostic.»
On attrape le Boulonnais, spécialiste reconnu des volcans, entre deux voyages. Il revient du Cap-Vert et repart en Indonésie, au chevet d’un cracheur de feu de Sumatra. Jacques-Marie Bardintzeff, la soixantaine affutée, appartient à cette longue lignée de volcanologues français qui a fait école, dont le plus célèbre fut sans conteste Haroun Tazieff. Une tradition qui s’ancre dans la nécessité, née au début du XXe siècle, d’apprendre à prédire des éruptions meurtrières, à l’image de celle de la Montagne Pelée en 1902. « En France, nous avons en quelque sorte la « chance » d’avoir sur notre territoire des volcans très divers. Ceux de la chaîne des Puys, dont le réveil n’est pas exclu, après tout, les dernières éruptions ne datent que de 8 000 ans. Et puis bien sûr aux Antilles ou à la Réunion. Ceux-là exigent une surveillance permanente. » Et de souligner la singularité de chaque volcan, qui évolue, grandit, entre deux visites « médicales ».
Scientifique et communicant
Jacques-Marie Bardintzeff est géologue de formation. Aucune hésitation dans son parcours de gamin de Grenoble passionné par le minéral, puis par les manifestations explosives. Comme le géologue est un « médecin » généraliste, le volcanologue, voué aux longues études, est un spécialiste… Prépa, Normale Sup, la thèse et l’université qui l’attrape bien vite pour ne plus le lâcher. Il est professeur à Cergy-Pontoise et Paris-Sud Orsay. « Je peux presque dire que j’occupe toujours le même bureau depuis plus de 30 ans ! s’amuse-t-il, avec son débit rapide et son rire communicatif. Je fais le travail de prof, et puis… je pars à l’autre bout du monde ramener des cailloux que j’étudierai avec mes étudiants en thèse ». Ses missions qui lui ont fait arpenter la planète entière – qui compte environ 1 500 volcans – sont financées par l’État ou par des fonds européens, voire par des médias. Quand les chaînes de télévision ou des magazines décident d’un reportage sur un de ces géants fascinants, à la quête d’images toujours si spectaculaires, ils sollicitent le volcanologue qui apporte sa science ; qui en profite pour en faire… Il a tourné avec Nicolas Hulot pour Ushuaia Nature, avec Yann Artus-Bertrand pour Vu du ciel, pour le Figaro Magazine… Son expertise s’est imposée, ce scientifique enthousiaste et pédagogue devenant un super communicant, appelé sur les ondes dès qu’un volcan, quelque part, surgit dans l’actualité. Il raconte qu’au moment de l’éruption de l’Eyjafjöll en 2010, il a effectué pas moins d’une centaine interventions dans les médias. Mais comme la transmission chez lui est une valeur profondément ancrée, il est capable de faire une conférence pour des audiences diverses, à l’occasion confidentielles, des petites radios, dans des classes. « Tout me plait, je ne hiérarchise pas » rappelle, tout en simplicité, cet habitué du Salon du livre de Boulogne-Billancourt, auquel il est fidèle depuis l’origine. Habitant la ville depuis 35 ans, il cite à l’envi le dicton « quand on est à Boulogne-Billancourt, on n’en part plus ». Il a ses fidèles, qui viennent discuter voyages et lui faire signer ses livres. Il faut dire qu’il parle là encore à tous les publics. Des ouvrages de spécialistes, au Pour les nuls, aux albums pour enfants, illustrés ; les plus difficiles à écrire selon lui, car le vocabulaire doit être pensé selon l’âge. Cet infatigable vulgarisateur a un don pour faire partager sa passion pour les volcans, tâche facilitée par la fascination que ces géants imprévisibles exercent sur les hommes depuis des siècles. « Dans tous les systèmes humains anciens, les volcans sont des divinités auxquelles on s’adresse avec respect et crainte. La demeure de Vulcain est un volcan. Il a épousé Vénus, et forgé l’alliage du feu et de la beauté. Un résumé des relations entre les Hommes et les volcans. Des destructions, mais aussi des terres fertiles, des îles émergeant des eaux, des minerais… les volcans font vivre des populations à travers la planète, entre menaces et bienfaits dont le dernier en date, le tourisme. »
Lui reste-t-il des défis à relever, lui qui a visité tous les points chauds du globe ? Bien sûr, les volcans extra-terrestres ! Toutes ces images générées par les sondes spatiales, ces études envoyées par des robots chercheurs, doivent être interprétées pour faire avancer la connaissance de l’univers. « Il y aura aussi un jour des missions sur Mars, on retournera sur la Lune, ce sont des défis technologiques qui doivent être préparés ». Toujours dans le futur, il voit aussi poindre la « volcano sismo fiction ». Ou comment l’homme sera tenté d’anticiper les ravages des séismes attendus. « Comme sur la faille de San Andréas en Californie, qui accumule de l’énergie petit à petit. La rupture étant inévitable, autant essayer de la provoquer pour la contrôler. Nous arriverons dans l’avenir à ce genre d’actions, comme celle de prévoir de plus en plus finement les éruptions. »
Le Mont-Blanc, cet autre géant
Mais le plus grand défi, personnel, qu’il vient de relever lui est tombé dessus de manière inattendue, celle qu’il préfère. Et fut plus humain que purement scientifique. Pour réaliser un documentaire pour ARTE, on lui a proposé, il y a quelques mois, de gravir le Mont Blanc comme géologue, avec une petite équipe de scientifiques qui montrerait la difficulté de l’ascension, et évoqueraient les Alpes, la montagne, l’érosion. « J’avais projeté de faire l’ascension à l’âge de trente ans, le rendez-vous avait été manqué pour cause de météo. Alors, quand on m’a proposé de participer j’ai dit oui, tout en prévenant que je ferai de mon mieux… à soixante ! ». Il est arrivé près du sommet, tout près. Mais la plus belle victoire fut celle sur lui-même, et celle de l’aventure partagée avec ses camarades de cordée, dont le physicien-philosophe Étienne Klein et la climatologue Martine Rebetez, avec lesquels il se dit « lié pour la vie » par ce fil qui les a tenus les uns aux autres pendant des jours d’effort. Pour le public, le résultat est un documentaire aux images superbes, unanimement salué par la critique : Objectif Mont Blanc, sur les traces d’un géant. « Ma prestation a été modeste, mais le Mont Blanc se respecte. J’ai pu partager, montrer la montagne, parler de géologie, donc que du bonheur ! » Ch. D.
Coups de
Coup de chapeau : À Haroun Tazieff, mon modèle. Je l’avais rencontré enfant pendant une signature. Je ne me doutais pas que j’irai voir « ses » volcans. Après, j’ai eu l’occasion de jouer au rugby avec lui. Une force de la nature !
Coup de pouce : Alors que je commence mes études en 1976, la Soufrière de Guadeloupe entre en éruption. Pour mieux comprendre ce phénomène, un programme national est décidé. J’en ai profité pour financer mes premières expéditions au début de ma thèse.
Coup de cœur : Pour mon prof de SVT de la 6e à la 3e, Henri Vaissière, qui a créé un club de géologie dont j’ai été secrétaire général jusqu’en Terminale.
Coup de foudre : Pour le vélo, depuis toujours. Grenoblois, j’ai fait tous les cols alentour. J’ai hésité même avec une carrière de coureur. Je n’étais pas assez bon, alors, je suis devenu géologue (rires). Je suis resté un passionné, j’ai visité plusieurs fois l’expo sur le cyclisme à la mairie, j’ai touché le vélo d’Anquetil ! Un champion de légende, dont je possède 5 autographes.