Le Prix Nobel 2015 de littérature vient d’être attribué à l’écrivain et femme biélorusse Svetlana Alexievitch qui nous a offert “une œuvre forte et cohérente, cheminant à la lisière du documentaire”, selon les mots du journal Le Monde – qui doit reprendre ceux du comité qui l’ont distinguée.
Svetlana Alexievitch est l’auteur de peu d’ouvrages mais très violents et entre autres de “La Supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’Apocalypse”. Un texte difficile à supporter, un récit à mille voix, au sujet des conséquences physiques et mentales de la catastrophe du 26 avril 1896 sur les techniciens, les “liquidateurs” et leurs proches de Tchernobyl (République d’Ukraine, alors en URSS). Les dommages de la catastrophe de Tchernobyl sont particulièrement graves en Biélorussie (un pays qui n’avait pas, ironie de l’Histoire, de centrale nucléaire), surtout dans sa partie orientale, celle de Gomel, où vécut et travailla l’auteur en tant que journaliste débutante. Ils touchent, dans une moindre mesure, l’Ukraine (région de Kiev), la Russie puis le reste de l’Europe. Toutefois, le livre est essentiellement la chronique “des sentiments face de l’inconnu” bien que les dégâts en Biélorussie soient, selon Svetlana Alexievitch en terme d’abandon de maisons, hameaux et villages, seulement comparables aux destructions massives de la Seconde guerre mondiale. Et Dieu sait si cette dernière fut cruelle dans ces mornes plaines ! Continuer la lecture
Archives pour la catégorie Livres de littérature
Concord : Walden et autres écrits de H. D. Thoreau
En écologie appliquée, deux grandes écoles m’étaient connues : celle de la préservation de la Nature issue des écrits et des actions de John Muir (1838-1914), le créateur du Yosemite, le premier Parc National aux USA, et du Sierra Club ; et celle de la conservation — qui passerait de nos jours pour le développement durable– prônée par Giffort Pinchot (1865-1846) aux USA également.
John Muir se réfère souvent à son aîné Henry David Thoreau (né et décédé à Concord, Massachusetts, Etats-Unis, 1817-1862) car il connut bien son ami fidèle depuis Harvard et diffuseur de ses idées Raph Waldo Emerson (1803-1882). Ce dernier eut une vie terrestre bien plus longue que Thoreau. Toutefois pour moi, tout cela n’était que des généralités car je dois confesser n’avoir lu, jusque il y a peu, aucun de ces textes fondateurs de l’écologie, hors ceux de Humboldt, sans doute par paresse. Un séjour récent en Italie m’a fait rencontrer dans une ancienne et petite bibliothèque familiale, une bonne part des écrits de Thoreau. Il s’agissait d’une version originale au sens d’américaine qui regroupait les grands textes de l’auteur auxquels s’ajoutaient des extraits d’écrits moins connus, tels son Journal et les récits de promenades naturalistes. Le livre de poche de Bantham Classic était dans son édition de 1962 et cette dernière avait été préparée et introduite par Joseph Wood Krutch lui-même écrivain, essayiste et naturaliste reconnu.
Continuer la lecture
Paris et Angers : Niki de Saint-Phalle et son arbre-fontaine
Je sais ce n’est point un livre mais c’est d’art dont je voudrais vous parler ce jour.
L’actualité c’est l’exposition de Niki de Saint-Phalle (1930-2002) au Grand Palais de Paris jusqu’au 2 février 2015. En parallèle et pour les provinciaux, Arte a donné à voir le 19 novembre un film sur l’artiste Niki de Saint-Phalle : “Qui est le monstre … toi ou moi ?” qu’il sera possible de revoir sur Arte+7. C’est un documentaire de 1995 tourné avec la collaboration de l’artiste ce qui en fait tout sa valeur.
La même année que je publiais “L’arbre fontaine” d’El Hierro aux Canaries dans le mensuel La Recherche soit 1992, l’artiste créait une grande sculpture en polyester destinée au plein air. Appelée aussi “L’arbre fontaine” ou encore “Serpents arbre fontaine” ou “arbre-serpents”, je ne l’ai jamais vue et appréciée en vrai.
A l’inverse j’avais vu en eau sur une placette, au pied de de Beaubourg à Paris, sa “Fontaine Stravinsky” qui l’avait précédée. Maintenant “L’arbre fontaine” est installé au centre d’une belle cour carrée du musée des Beaux-Arts d’Angers mais hélas il n’est pas fonctionnel. La photographie mise en avant pourrait être tirée d’une série d’illustrations mises en ligne sur le blog de Patricia Tutoy.
A ses débuts, Niki de Saint-Phalle réglait ses comptes avec la famille et la société par des coups y compris de feu sur des personnages fictifs, tel sur un champ de tir ou comme au painting ball avant que ce soit la mode. Ensuite, elle changea sa perspective, à la fin de sa longue vie d’artiste , vers une approche plus apaisée de son art. Très inspirée alors par le catalan Gaudi et son parc Güell à Barcelone tout comme par les sculptures de son compagnon Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle s’occupa de jardins, de nature et de sculptures en plein air.
Auschwitz et le brouillard : “Si c’est un homme ” de Primo Levi
Il y a un temps pour lire et un autre pour réfléchir avant d’agir.
Un livret fort que “Si c’est un homme” de Primo Levi, presque un reportage car “aucun des faits rapportés n’est inventé”, selon ses mots. Tout est dans le mot “presque” car il brûle, ce livret tel le feu sous la cendre. Durant l’hiver 1946-1947, l’auteur raconte et analyse la captivité et les travaux forcés d’un certain Primo Levi, un partisan juif italien envoyé en février 1944, textuellement comme un objet, à Auschwitz, le plus célèbre car le plus sinistrement efficace des grands camps polonais d’extermination de la Seconde guerre mondiale. Primo Levi en ressortira vivant, grâce à sa débrouillardise et son intelligence, en janvier 1945. Néanmoins, la chance avait été aussi de son côté, dès le premier jour, quand il y avait été évalué sommairement (en quelques secondes) jeune et utile. Primo Levi admit aussi avoir survécu parce que sa déportation advint lors du crépuscule de l’Etat nazi, déjà délabré en 1944. Egalement il survécut parce que la libération de son camp par l’Armée rouge se fit assez vite le 27 janvier 1945 et que, malade, il ne put être évacué après le 17 de ce mois, évitant ainsi de participer dans la neige à “la marche vers la mort” d’Auschwitz vers Loslau de près de 70 000 déportés, poussés par les SS fuyant eux-même les Russes. Continuer la lecture
Sibérie : l’amitié entre “Dersou Ouzala” et l’auteur Arseniev
Je pensais écrire au sujet du film de Kurosawa de 1975 et du livre source “Dersou Ouzala” de Vladimir Arseniev, publié en 1921 ou 1923 à Vladivostok. Toutefois une personne l’a fait bien mieux que j’aurais pu. Aussi je vous renvoie à son article sur la blogosphère et vous communique son nom avec plaisir Elizabeth Legros-Chapuis.
http://2009sediments.wordpress.com/2011/11/09/je-me-souviens-de-dersou-ouzala/
Dans la vraie vie, les deux amis, le guide et chasseur sibérien illettré Dersou Ouzala et le cartographe et officier russe de l’Extrême-Orient Vladimir Arseniev, disparurent de triste façon. Dans cet immense territoire asiatique, couvert par la taïga, qu’ils aimaient le plus au monde, le premier fut assassiné en 1908 par un voleur et le second mourut en 1930, juste avant son arrestation. Cette dernière aurait vraisemblablement précédé son exécution par ceux-là mêmes qu’il avait servis, en tant que Commissaire des minorités ethniques, durant l’éphémère République de l’Extrême -Orient. Continuer la lecture
Pérou, Lima : “La Tante Julia et le scribouillard” de Mario Vargas Llosa
Dans le brouillard et donc sous un ciel plombé – les gens de Lima disent de couleur “ventre d’âne” -, les amours contrariées puis triomphantes d’une dame d’un certain âge, la Tante Julia, et de son neveu. En même temps à cette éducation sentimentale, s’ajoute celle du neveu au journalisme par un homme de plume et surtout de radio pittoresque : le scribouillard. La Tante Julia et le scribouillard viennent des hautes Andes de Bolivie et ils font souffler le vent de la liberté sexuelle et intellectuelle dans la société assoupie de la capitale péruvienne, au rythme provincial, qu’était alors Lima.
Conséquence de cette liberté : c’est un livre heureux où l’on rit beaucoup y compris le lecteur. Un récit largement autobiographique et un tableau truculent de la société péruvienne essentiellement urbaine des années 50 – plutôt toutefois les classes aisées . Un livre digne de Balzac le maître de Llosa qui tardivement a été couronné par le Nobel de littérature en 2010. A mon sens, un bijou ou mieux un gâteau à déguster telle la Tanta Wawa.
P.S. : Les amours contrariées par la famille dans le livre de Llosa font irrésistiblement penser, selon mon épouse, au roman de Manzoni “Les fiancés“ du XIXème siècle dans lequel un seigneur empêche l’union des amants, au milieu de mille péripéties. Dans les deux romans, l’amour finit par triompher et le mariage célébré.
Japon : « Eloge de l’ombre », un bref essai de Jun’ichiro Tanizaki
« Eloge de l’ombre » de Jun’ichiro Tanizaki est une lecture marquante de ma jeunesse, dans les années 70. Ce bref essai de 1933, était alors seulement disponible chez les Editions Orientalistes de France. Il vient heureusement d’être réédité en 2017. Sa lecture explique peut-être pourquoi j’ai commencé à apprécier encore plus l’ombre, sachant que ma peau très blanche avait toujours craint le soleil.
Jun’ichiro Tanizaki l’un des écrivains majeurs du Japon du XXème siècle, explique bien que l’ombre y devient de plus en plus rare, avec l’occidentalisation croissante de son pays – depuis 1868 et donc l’ère Meiji. Il y a maintenant un culte de la lumière et blancheur par le biais de la recherche exacerbée de la propreté. S’effacent doucement du Japon, dans cette première moitié du XXème siècle, la lueur des bougies, la laque et métaphoriquement ses valeurs anciennes…
En Occident, on dirait que s’effacent le romantisme, le culte de la nature et du rêve dont l’émerveillement face au brouillard et aux cimes, le respect de la mort et le souvenir des Chers disparus. On ne retrouve l’amour de ces thèmes, au-delà de la mode gothique, que chez les plus jeunes qui sont toujours en quête du merveilleux et du surnaturel, d’un univers poétique. Cet essai de Jun’ichiro Tanizaki est « à penser comme le rassemblement [de thèmes anciens], d’étoiles polaires trop faibles, trop singulières, pour être perçues dans le bruit assourdissant de notre temps », en reprenant puis en l’adaptant un beau texte de Claire Laloyaux qui ouvre son blog littéraire L’aquarium vert.
Açores : “La femme de Porto Pim…” d’Antonio Tabucchi
Toujours des voyages immobiles. Tabucchi et ses récits fragmentaires, tel un archipel du rêve, avec les vaisseaux, les naufrages, les baleines des Açores – autres îles de la Macaronésie et sœurs des Canaries – de “La femme de Porto Pim et autres histoires“.
« Nocturne indien » d’Antonio Tabucchi est plus connu. Un grand libre, toujours fragmenté et post-moderne sur Bombay, et j’aime aussi le film homonyme d’Alain Corneau avec Jean-Hughes Anglade qui l’a éclairé pour un plus large public.
Tabucchi nous a quitté malheureusement, il y a peu, et j’ai aussi beaucoup d’admiration pour son maître spirituel et écrivain nocturne, le portugais Pessoa et son chef-d’œuvre toujours inachevé car toujours repris « Le livre de l’intranquillité». Un manuscrit ou plutôt des notes qui dormirent ensuite longuement dans une malle de voyage.
Pago-Pago, Samoa : “Pluie” sur une île des Mers du Sud
Les voyages proposés seront immobiles car je ne parlerai que du temps passé et seul les livres en ont gardé trace. On peut y ajouter les archives et autres les grimoires, les vieilles cartes et photographies en blanc et noir.
Un exemple est donné ici : « A la différence des pluies molles du pays anglais, qui tombent en douceur, celle-ci, implacable, avait quelque chose d’effrayant : l’on croyait y rencontrer la malveillance des forces primitives de la nature ». (p.44).
Un extrait de l’excellente nouvelle de 1921 « Pluie » de W. Somerset Maugham dans laquelle la perte de l’innocence d’un missionnaire protestant sur une île des mers du Sud correspond au déluge sous les tropiques, image du choc de la nature.
Cette île est Tutuila, dans l’archipel des Samoa américaines, où douze membres de l’équipage du scientifique Lapérouse avaient déjà péri en 1787. Elle est montagneuse et elle est 2 fois plus petite qu’El Hierro bien que 5 fois plus peuplée. Son port est Pago-Pago, un nom qui résonne telle une invitation aux voyages lointains.