Monde : Mike Baker au cœur de la science du climat (ICSU, AGI, WCRP, ARCHISS)

« Vale Mike Baker », comme l’écrivait en latin « Au revoir », fin 2020 l’Ecossais Malcolm Hadley, un grand ancien de l’Unesco, sur le site de l’International Science Council (ISC). Oui, ce mot de départ de la Terre est en latin plutôt que « Farewell ». En effet, Mike Baker, l’alias de F.W.G. Baker, avait passé bien des années de travail à Rome (Via Cornelio Celsio 7), mais aussi à Paris depuis 1957, notamment en tant que Secrétaire exécutif pendant 24 ans du Conseil International des Unions Scientifiques (ICSU, son sigle plus connu en anglais) jusqu’en 1988. A ce poste, Mike Baker a rendu possible de nombreuses grandes aventures scientifiques, tel en 1980 le Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PMRC, en anglais WCRP), l’un des piliers scientifiques du GIEC, dont cinq branches sont encore actives de nos jours.

La page d’accueil du WCRP ou Programme Mondial de Recherches sur le Climat où le logo de l’ISC, soit le descendant de l’ICSU, est bien présent (en haut à droite, la rosette).

Ces branches sont CliC sur le rôle de la cryosphère, CLIVAR sur la variabilité climatique, CORDEX pour décliner le modèle climatique de la planète à l’échelle régionale, GEWEX sur le cycle de l’eau et SPARC sur la stratosphère, sans oublier le soutien du PMRC à un groupe de travail sur la modélisation du climat. Tout à la fin de la carrière professionnelle de Mike Baker en 1987, il faut encore citer l’IGBP (International Geosphere-Biosphere Programme) que l’ICSU a parrainé et qui s’est achevé en 2015. Auparavant, son apport aux Collègues du MAB, dont le regretté sous-directeur de l’Unesco Francesco di Castri, avait été précieux : il faut rappeler les deux volumes d’« Ecology in practice » de 1983.

Francesco di Castri (1931?-2005), écologue formé en Italie, au Canada puis au Chili. Il fut sous-directeur de l’Unesco où il dirigea le programme MAB puis chargé de préparer le Sommet de la Terre de Rio en 1992. Il fut aussi le directeur du laboratoire d’écologie fonctionnelle et évolutive (aujourd’hui CEFE – CNRS) de Montpellier. https://dicastri.wordpress.com/category/biografia/

Aussi, il faut relever une grande synthèse de 1969 au sujet de l’AGI 1957-58 qui est à nouveau disponible, en e-book depuis 2013, chez Elsevier Science ce qui montre sa prégnance.

Première de couverture du volume de F.W.G. Baker et Arnold L. Gordon «Annals of the IGY 1957-58», daté de 1969 et publié pour la première fois chez Pergamon Press.

En tant que jeune retraité, Mike Baker a continué à travailler au sein du projet ARCHISS (Archival Climate History Survey) jusque dans les années 2000, avec les historiens du climat latino-américains dont moi-même qui pilota une douzaine de contrats pour l’Unesco et l’OMM. Parmi ses publications scientifiques, selon ma recherche, l’une des dernières porte sur les mesures de CO2  faites en 1882 (oui, déjà !) sur la grande île Hoste, encore plus au Nord austral que la Terre de Feu, dans les parages du Faux Cap Horn. Cela advint lors la première Année Polaire Internationale (1882-83) et les mesures furent effectuées par la mission scientifique française du Cap Horn qui est connue aussi sous le nom de la première mission antarctique française.

Le trois-mâts scientifique français « La Romanche » en septembre-octobre 1882 au mouillage dans la baie Orange de l’île Hoste (célèbre aussi pour les naufrages causés par le Faux Cap Horn), parages de la Terre de Feu, extrême-Sud du Chili. CC plus de droits d’auteur. http://www.latitud-argentina.com/blog/romanche-cap-horn/

Elle est complétée par une autre publication de 2011, toujours au sujet de la mesure du CO2 atmosphérique, par l’équipage du Commandant Charcot grâce à son navire Le Pourquoi-pas ? IV. Ces mesures furent  effectuées par René-Emile Godfroy (qui deviendra en 1940 vice-amiral) dans l’Océan Antarctique entre 1908 et 1910, durant ce qu’il est convenu d’appeler la seconde expédition antarctique française (par apport à la première de 1882-1883).

Le Commandant Charcot sur Le Pourquoi-pas ? IV. Itinéraire de la 2ème expédition antarctique française (1908-1910). @ CC Wiki – Bourrichontravail personnel : d’après les informations de la carte du Lieutenant Bongrain, à bord du navire.

Enfin, Mike Baker acheva sa trajectoire qui était passée dans 32 ans d’activités professionnelles, au plus haut niveau académique, non pas à l’instar d’un anglais après « Une année en Provence », mais comme animateur, pendant des lustres, de l’Université Noyonnaise du Temps Libre dans la Drôme. Mike ne l’avait quittée qu’en 2015.

Tout est dit, ci-dessus, soit la curiosité scientifique toujours ouverte du bienveillant Mike, le prénom et le diminutif affectueux sous lequel le connaissaient tous ceux qui l’ont approché.

Comme tout jeune cadre de l’ICSU (le Conseil International des Unions Scientifiques en fait l’union des Académies des Sciences du monde entier), Mike avait aussi participé intimement à l’Année Géophysique Internationale (AGI) 1957-58 dont les fruits se récoltent encore de nos jours (un résumé complet par Jacques Merle des acquis de cette longue année, très spéciale, est présenté par le Club des Argonautes).

L’ Année Géophysique Internationale 1957-58 (abrégée en anglais IGY) et son logo officiel.

Sur la proposition des Etats-Unis, compte tenu des énormes progrès réalisés dans les techniques d’observations et de mesures, le Conseil International des Unions Scientifiques a décidé d’organiser une Année Géophysique Internationale en 1957-58. Cette période n’a pas été choisie par hasard : elle correspond à une période d’activité maximale du soleil qui a une période de onze ans. En réalité, cette ” année ” durera dix-huit mois, de juillet 1957 à décembre 1958. L’idée principale est de combiner les observations et recherches simultanées de nombreux sites d’observation, ce qui doit permettre d’obtenir une vue globale des phénomènes terrestres et spatiaux (d’après le site de Michel Bracher, 2005).

L’ AGI fut une des plus vastes et fructueuses entreprises scientifiques du XXe siècle ou encore une véritable saga faite alors que les cicatrices de la Seconde guerre mondiale n’étaient pas closes.  Connue sous le nom de la 3ème année polaire internationale, l’aventure en Antarctique de l’AGI 1957-58 est restée dans les mémoires, notamment par la philatélie qui, à cette époque où le courrier postal était roi, jouait un rôle important, notamment au Japon et en France, sans oublier par la commercialisation de précieuses maquettes, de vrais jouets pour adultes ! Vous regarderiez, à cet égard, la vidéo suivante du montage de la maquette du brise-glace nippon Sōya transformé en navire scientifique.

L’Année géophysique internationale (AGI) célébrée par un timbre-poste du Japon de 1957. La silhouette du brise-glace japonais Sōya, transformé en bateau de recherche de l’océan Antarctique et toujours conservé au Musée National des Sciences Maritimes de Tokyo. Au premier plan, un manchot empereur.

Aux côtés des grands vainqueurs en 1945 soit les Etats-Unis et l’URSS, pris aussi par la conquête de l’espace (le satellite Spoutnik fut lancé le 4 octobre 1957), les autres pays industrialisés, en pleine reconstruction, se sont engouffrés afin de repartir vers une nouvelle frontière, non plus politique (après le bain de sang de 1939-1945) mais scientifique. L’ AGI 1957-58 fut bien préparée, se déroula de façon exemplaire et les Etats du monde entier la célébrèrent longuement. En France, elle fut marquée puissamment par le travail sur le continent de l’Antarctique, plus précisément en Terre Adélie (TAAF) où les premiers paléoclimatologues hivernèrent tel Claude Lorius. A côté de la base Dumont d’Urville, inaugurée en 1956, toujours en fonction et installée sur une île côtière, une toute petite base baptisée Charcot (en l’honneur du Commandant Charcot et de ses légendaires vaisseaux Pourquoi pas ?) fut monté. Elle était située à l’intérieur du continent sur la calotte de la glace, à 300 km de la côte et à 2 400 m d’altitude.

Cette base très rustique a abrité trois hommes pendant toute la durée de l’AGI 1957-58 (Claude Lorius, Schlich et Dubois pendant 10 mois, puis Garcia, Larzillère et Ricou). Elle était principalement destinée à l’étude de la glaciologie. La base Charcot a été abandonnée après la fin de l’AGI, le 4 janvier 1959.

La petite base Charcot enterrée sous la neige en 1957-58. Terre Adélie, Antarctique, TAAF. @ M. Bacher.

La reconstruction des climats anciens n’aurait pas pu encore aujourd’hui se faire sans le soutien logistique offert par la base  antarctique Vostok, bâtie par les soviétiques pour l’AGI 1957-58 et plus précisément en décembre 1957, par la seconde expédition soviétique en Antarctique (en anglais). Aujourd’hui la base Vostok est devenue un haut-lieu de la coopération internationale utilisé à la fois par les chercheurs russes, nord-américains et français.

Base soviétique de Vostok, 1990. Une équipe internationale (France, URSS et USA), issue du programme GISP2, pose avec ses carottes profondes de glace et ses drapeaux dont celui de l’URSS. 3 488 m d’altitude, continent antarctique. © Sowers, LDEO, Columbia University, Palisades, New York.

C’est là-bas, dans le lieu plus reculé de la Terre et aussi le plus froid (en moyenne – 54 °C et seulement 15 mm de neige/an), à très haute haute altitude (3 488 m), qu’ont eu lieu les grands forages de carottes de glace, avec plus de 3 km de longueur, et donc la reconstitution fine des anciens climats. Grâce à l’analyse des gaz emprisonnés dans les carottes de glace de l’Antarctique, les climats anciens sont connus finement, de manière indirecte, depuis 800 000 ans.

Tour abritant le forage de la calotte de glace (inlandsis) qui permit d’atteindre le lac sous-glaciaire à 3 700 m de profondeur en 2011. Base russe de Vostok (3 500 m d’altitude), continent antarctique. www.astrosurf.com

Pour l’étude du changement climatique, une autre avancée décisive de l’AGI 1957-58  est la construction par Charles Keeling du laboratoire de terrain (Mauna Loa Observatory ou MLO) de mesure du CO2 sur Big Island dans l’archipel d’Hawaï. Dès l’origine soit 1958, les données observées à très haute altitude (3 397 m) et sur un archipel isolé dans le plus grand océan (le Pacifique) montrent, dans la première publication de 1961, une très forte hausse, dans l’atmosphère, de la teneur en dioxyde de carbone ou gaz carbonique, exprimée en ppm (partie pour million), qui n’a jamais cessé depuis.

Evolution des concentrations de CO2 depuis 1958 au Mauna Loa Observatory (partie noircie à droite dite courbe de Keeling). Dépasser les 415 ppm de C02 dans l’atmosphère, le 13 mai 2019, nous fait remonter à une lointaine époque : il y a de ça 3 millions d’années durant le Pliocène. Les températures étaient alors de 3 à 4 °C plus élevées que de nos jours, des arbres poussaient en Antarctique et le niveau des océans était 15 mètres plus haut. Sur le graphique, avant 1958, les données (courbe en gris) ont été tirées des analyses de carottes de glaces anciennes. Source : Scripps Institution of Oceanography/NOAA dont dépend le MLO.

D’autre part, à partir de 1958, date des premières mesures directes dans la nature, la quantité de gaz carbonique (oui le CO2, celui que l’on trouve emprisonné dans les bulles de l’eau gazeuse, qui la plus grande cause de l’effet de serre dans l’atmosphère), atteint des records toujours battus, année après année. Nos émissions de gaz à effet de serre continuent et donc, en 2021, le taux de CO2 dans l’atmosphère augmentera encore. Jusqu’à atteindre le seuil emblématique de plus 50 % par rapport à l’ère préindustrielle soit 417 ppm, prévient le Service national britannique de météorologie (Met Office).

L’ouvrier mineur Kent Parrish dans une pelle géante de charbon. Mine d’Eagle Butte, environs de Gillette (capitale charbonnière), Wyoming, USA. © Inside Energy, 2015.

Rien de comparable depuis 650 000 ans (chiffre arrêté en 2015) et même rien de tel depuis 3 millions d’années (chiffre arrêté à 2019) et, à cela, il n’y a aucune cause solaire ou volcanique. Nous pouvons affirmer depuis 2008, l’année de la fin du dépouillement d’une grande archive emprisonnée dans une longue carotte de glace, que c’est bien nous qui changeons le climat et que ce phénomène tend à s’accélérer sans cesse.

Comment à mon niveau, ai-je connu l’AGI 1957-58 ? A Turin en 1976 dans les petits bureaux du Comité Glaciologique Italien (CGI), tout proches de ceux où je travaillais à l’Institut de Géologie au Palais Carignan. Avec l’aide du CNR (le CNRS italien) et à l’occasion de l’AGI 1957-58, le CGI a réalisé un cadastre des glaciers italiens, grâce à des relevés topographiques, publié sous la forme de quatre gros volumes (avec des illustrations de qualité) entre 1959 et 1962. Les glaciers alpins (un seul sur l’Apennin) sont reportés, à l’échelle de 1 : 25 000 (1 cm sur le papier = 250 mètres du terrain), sur les cartes topographiques de l’Istituto Geografico Militare (l’IGM  est équivalent de l’IGN en France). Ils étaient au nombre de 838, au milieu des années 1950, et y furent ajoutés plus de 190 glaciers, ayant disparu dans les cinq premières décennies du XXe siècle. Ce cadastre est tout à fait remarquable et il faut saluer la mémoire du professeur de photogrammétrie Corrado Lesca qui nous a quitté, aussi en 2020, pour la grande qualité de son travail topographique, au début de sa carrière, fait dans le plus souvent dans des conditions difficiles voire extrêmes. Gianni ou Giovanni Mortara est toujours actif dans le domaine de la glaciologie au CGI, où il est responsable du siège piémontais, et il fut mon compagnon de travail, mon aîné au CNR-IRPI de Turin. En 1977 ou 1978, je l’avais accompagné jusqu’au glacier Sea-Tonini, dominé par le groupe des montagnes de la Grande Ciamarella (3 676 m) et Levanne (3 629 m), dans les hautes vallées de la Stura de Lanzo qui sont le berceau des alpinistes turinois. Depuis l’AGI 1957-58 et la première photo de Giovanni Mortara datée 1974, le recul du glacier double Sea-Tonini (62 et 70 ha de surface dans les années 50) est patent et rapide à cause du réchauffement climatique.

Comparaison du glacier de Sea – Tonini (vue du sérac Tonini) entre 1974 et 2017. Alpes grées italiennes, Vallées de Lanzo, Province de Turin. Don : G. Mortara, CGI, Turin et reportage de F. Rogliardo de 2017.
Comparaison du glacier de Sea – Tonini entre 1998 et 2005. Alpes grées italiennes, Vallées de Lanzo, Province de Turin. Montage et don : G. Mortara, CGI, Turin.

La coopération scientifique franco-italienne, active depuis toujours dans les Alpes en haute montagne, a donné un fruit que Mike Baker apprécia : la base antarctique Concordia (3 233 m d’altitude) pleinement opérationnelle sur le continent et donc sur l’inlandsis en 2005. Cette installation, où déjà 16 hivernages ont déjà eu lieu, complète le réseau des bases russe (Vostok)  et nord-américaine (Amundsen-Scott) qui avait été construites dans le cadre de l’AGI 1957-58 : toutes les trois sont montées au cœur du continent antarctique et à haute altitude soit bien au-delà des limites de la résistance du corps humain.

La base Concordia en janvier 2005. Le camp d’été est visible à l’arrière-plan du camp d’hiver. La base antarctique Concordia est située sur le dôme C. Vue prise au sommet de la tour de forage de 32 mètres située à 1 kilomètre de la base. La station d’été est visible derrière la nouvelle station d’hiver (en construction à l’époque). Photographie prise le 29 janvier 2005 juste après minuit soit en plein été austral. © CC – Stephen Hudson.

Cette récente parenthèse quelque peu personnelle fermée, vous aurez compris que Mike Baker fut un coordinateur exceptionnel de la recherche scientifique internationale. Cette dernière est souvent divisées en chapelles y compris politiques. Pourquoi ce succès ?  Parce qu’il était aimable et ouvert autant que profondément intelligent : un scientifique, doublé d’un haut-fonctionnaire international, sympathique et de grand niveau. «A very special personality» conclut, dans l’hommage rendu par le International Science Council, son Ami de la même génération Malcolm Hadley de l’Unesco. Il faut dire que Mike avait publié, dès 1986, une synthèse des 40 ans de coopération entre l’ICSU et l’Unesco et que cette dernière n’avait alors pas plus de 40 années d’existence ! par conséquent, une coopération intime, née dès le berceau, entre organisations internationales à l’instar de celles que Mike monta, au gré des programmes, avec l’OMM, la FAO, le PNUE, etc.

Mike Baker, lors de son départ à la retraite en 1988 de l’ICSU, croqué par un de ses bons Collègues. © ICSU/ISC. https://council.science/wp-content/uploads/2020/06/Tributes-to-Mike-Baker_ICSU_1989.pdf

La coopération internationale est plus que jamais nécessaire, sachant que l’année écoulée de 2020 a été la plus chaude avec 2016, depuis que le réseau mondial d’observations météorologiques existe. Chez nous, en France et en Europe, 2020 a même battu tous les records, selon Copernicus, le programme européen de surveillance de la Terre.

La photographie mise en avant est un rare cliché du discret Mike Baker (l’alias de F.W.G. Baker) dans son bureau de l’ICSU à Paris. Elle est datable des années 1970, je pense. @ ICSU/ISC. 

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