Les archives religieuses, en particulier celles recueillies par les bénédictins, permettent de reconstituer les climats anciens selon les saisons, années, décennies et siècles à partir du Moyen-Age. C’est la seule source abondante d’informations – dont celles climatiques – disponibles jusqu’au développement de l’imprimerie au XVIe siècle (soit la fin de rarissimes premiers ouvrages imprimés dit les incunables) ; auparavant le clergé, en particulier les moines et moniales, fournissait quasiment les uniques lettrés et copistes – parmi les femmes, citons Herrade de Landsberg, Hildegarde de Bingen et les moniales-copistes de l’abbaye de Vallbona (en catalan) -. Il en découle que les registres paroissiaux sont les ancêtres des états civils et vous pourriez lire le classique (car publié en 1967) ouvrage L’histoire du climat de l’Europe depuis l’an mil d’Emmanuel Le Roy Ladurie et l’importance du latin à ce sujet. Par exemple, les archives de l’abbaye d’Einsiedeln en Suisse remontent au Xe siècle, époque de la fondation du complexe religieux, et elles couvrent environ 1 000 mètres linéaires de rayonnages. Elles sont exemplaires par leur qualité et donc leur continuité.
Le complexe religieux d’Einsiedeln (en allemand) constitue l’un des trésors historiques – la fondation de l’abbaye remonte à l’an 945 – et elle est située au cœur géographique de la Suisse ; elle est située dans le canton de Schwytz, l’un des trois originaux de la Confœderatio Helvetica de 1291, qui a aussi donné son nom au pays. A partir de la fin de la première décennie du XXIe siècle, les bâtiments des archives ont été modernisés et ravalés côté façade mais surtout leur intérieur et donc le rangement des archives ont fait l’objet de profonds changements.
« Le 11 janvier 1684, le vin de messe s’est congelé dans le calice et cela n’est jamais arrivé depuis que j’ai été ordonné prêtre » témoigne Frère Josef Dietrich, qui ajoute : « le 13 janvier 1684 à Einsiedeln, le gel fut pire encore et jamais il ne fit si froid de mémoire humaine ».
Après ce chapitre liée à la république alpine, je regagnerai mes pénates mais, toujours avec les archives religieuses. L’objectif est de montrer leur apport en histoire du climat en France, grâce à l’exemple des vendanges : le vin est un produit précieux y compris dans la liturgie catholique dans toute l’Europe et dans d’autres parties du monde.
« Emmanuel Le Roy Ladurie souligne l’importance, en histoire du climat, de la compilation des dates de vendange, de toutes les régions de France, réalisée par Alfred Angot en 1883 qui s’était appuyé sur les travaux des commissions départementales météorologiques, mises en place par Urbain Le Verrier. Les séries des dates de vendange de la Bourgogne ont été reprises, dans le cadre d’un programme de l’Agence Nationale de la Recherche, afin d’obtenir une base de données d’observations phénologiques pour reconstruire le climat de l’Europe (ANR-OPHELIE) », selon la fiche Wiki d’Alfred Angot.
« Je ne mentionnerai ici que quelques-uns des éléments […] que des sources historiques confortent et, par là, renforcent.
La période chaude de 1415 à 1435 inclut la famine « d’échaudage » [donc touchant le blé, l’orge, etc.] de 1420 en Ile-de-France et en Angleterre et l’extrême précocité des récoltes cette même année en Lorraine.
Une page du manuscrit des chroniques historiques de 1400 à 1444 d’Enguerrand de Monstrelet, chroniqueur picard au service des ducs de Bourgogne. Les chroniques tournent en partie autour des malheureux, ainsi « La complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France » au début du XVe siècle. Bibliothèque de la ville de Berne. www.moyenagepassion.com
L’été très chaud de 1473 : les chroniqueurs rapportent une extraordinaire précocité des cultures (fèves, pois, etc.). L’année est décrite comme très chaude de juin à décembre.
Le rafraîchissement lors de la seconde moitié du XVe siècle se manifeste notamment par la famine de 1481, consécutive à la pluie et au froid.
Les décennies chaudes des années 1520, 1530et 1550 sont attestées, par exemple, par l’échaudage qui entraîna une disette et des incendies en Normandie, une production inhabituellement importante de sel marin en Charente en 1556. L’année 1523, qui est la deuxième année la plus chaude de toute la série après 2003, n’est pas signalée comme particulièrement caniculaire en France par le Docteur Fuster (1845). En revanche, dans le pays de Bade (Allemagne), elle est décrite comme chaude et sèche… Les seules autres dates de vendange disponibles pour cette année, qui proviennent d’Ile-de-France et de Suisse, sont des dates normales pour les régions dont elles proviennent. La réalité du caractère caniculaire de 1523 reste donc à confirmer.
La période froide des années 1560 à 1600 est contemporaine d’une forte avancée des glaciers alpins ; ces derniers atteignirent leur extension maximale au cours de la décennie 1600-1610. Cette période inclut les années de famine 1573 et 1587, au cours desquelles les moissons ont été extrêmement réduites du fait du froid et de l’abondance de précipitations.
La période globalement chaude de la fin du XVIIe siècle coïncide avec le recul des glaciers de Grindelwald [Canton de Berne, Suisse] et de Chamonix à partir de 1640, les moissons abondantes de 1636-1638 et 1669-1671, mais aussi les épidémies de dysenterie liées à des vagues de chaleur et de sécheresse, et le [grand] incendie de Londres qui s’est produit lors de l’ardente (!) année 1666.
Les quelques étés froids qui entrecoupent la fin du XVIIe siècle : celui de 1675, particulièrement « glacial », a été rendu célèbre par les correspondances de Madame de Sévigné (« le procédé du soleil et des saisons est tout changéLettre à Mme de Grignan du 24 juillet 1675, dans Correspondance… »).
Les étés froids de 1687 à 1700 : au cours de ces années catastrophiques pour l’agriculture, une famine, sans précédent par le nombre de victimes, a décimé la France, l’Écosse et surtout la Scandinavie.
Les épisodes chauds qui entrecoupent la longue succession d’années fraîches débutant un peu avant 1700 : parmi eux, l’été très chaud de 1719, accompagné d’un déficit de pluie, a entraîné une immense vague de dysenterie qui a fait de nombreuses victimes (400 000 morts supplémentaires pour une France trois fois moins peuplée qu’actuellement).
Le XVIIIe siècle frais qui renferme plusieurs séries d’étés chauds à très chauds : suivant l’intensité de la chaleur, et de la sécheresse qui souvent l’accompagne, ces années furent des années de surproduction agricole (1778-1781), ou, au contraire, d’échaudage fatal au blé (1788, 1794) entraînant disettes et émeutes de subsistance.
Toujours au XVIIIe siècle, quelques étés particulièrement froids : ce sont ceux dits du pot au noir (1725, 1740, 1770), qui furent des années de disette voire de famine en France et en Allemagne.
Les archives religieuses avec l’importance du vin dans la liturgie, et donc des vignobles – avec la date des vendanges, de la véraison des grains… – structure en Europe l’histoire du climat au moins jusqu’à l’avènement de la science moderne. Cette dernière, grâce à Copernic, Kepler puis Galilée, passe par l’astronomie, l’étude des météores et donc de la météorologie qui se met en place au XVIIe siècle, essentiellement en Italie, avec l’apport aussi des jésuites.
Au sens large, un météore désigne un phénomène atmosphérique dont font partie : les électrométéores (tonnerre, foudre, aurore boréale ou polaire, lumière de séisme, phénomène lumineux transitoire tels farfadet, elfe et jet) ; les hydrométéores (précipitations) ; les lithométéores (aérosols, brume sèche, tourbillon de poussière, météoroïde, etc.) ; les photométéores (arc-en-ciel, halo, mirage, etc.), d’après Wikipedia.
Dom Claude Devic (1670-1734), bénédictin et grand historien et archiviste reconnu par ses pairs, qui initia le travail de compilation et participa en 1730 au début de la publication de « L’histoire générale du Languedoc ».Dom Vaissette (1685-1756), bénédictin et grand historien et archiviste reconnu par ses pairs, qui acheva en 1745 la publication de « L’histoire générale du Languedoc » après avoir porté seul le travail, depuis le décès de Dom Devic en 1734.
Ces deux moines étaient membres de la très savante Congrégation de Saint-Maur, une autre branche des bénédictins, basée à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont il firent un pôle du savoir, du XVIIe siècle jusqu’à la Révolution (1792). La tradition intellectuelle du Quartier latin, c’est-à-dire celui de l’université parisienne où la langue de César était largement pratiquée par les étudiants de toutes origines, s’en trouva renforcée. Une station de métro, une rue et un restaurant universitaire (où j’ai mangé moult fois en 1981-82 !) y sont dédiés à Dom Mabillon. En français, un travail de bénédictin est un labeur qui a demandé beaucoup de persévérance.
L’abbaye bénédictine de Saint-Germain-des-Prés en 1618 soit l’année de la fondation de la Congrégation de Saint-Maur qui y sera très active, par ses travaux d’érudition, à partir de 1630-1632 jusqu’à 1792. De nos jours, seule l’église subsiste. CC Wiki – Claes Jansz Visscher — Map of Paris.
Merci mais M. Jean Monné m’a justement reproché d’oublier ou de négliger d’autres archives phénologiques à côté de celle, classique chez nous, de la vigne et donc les dates de vendange.
« Les Japonais le font aussi pour les cerisiers depuis 1200 ans ». https://www.courrierinternational.com/article/japon-kyoto-la-floraison-des-cerisiers-na-jamais-ete-aussi-precoce-depuis-812
Ainsi, il en va de la date de la floraison des cerisiers, suivie depuis 812 dans l’arboretum de référence sur les flancs du Mont Takao au-dessus de Kyoto, l’ancienne capitale impériale (de 794 à 1868), juste en face à la montagne sacrée du Japon, le grand volcan Fuji. https://www.japan-guide.com/blog/sakura13/130408_tokyo.html
Par conséquent, j’ai modifié quelque peu le début de mon texte afin d’intégrer cet apport de civilisations non chrétiennes mais il doit y avoir bien d’autres.
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.
Damme, le jeudi 1 avril 2021
Bonsoir Alain,
Félicitations sincères pour cet article,
Gaston
Merci mais M. Jean Monné m’a justement reproché d’oublier ou de négliger d’autres archives phénologiques à côté de celle, classique chez nous, de la vigne et donc les dates de vendange.
« Les Japonais le font aussi pour les cerisiers depuis 1200 ans ».
https://www.courrierinternational.com/article/japon-kyoto-la-floraison-des-cerisiers-na-jamais-ete-aussi-precoce-depuis-812
Ainsi, il en va de la date de la floraison des cerisiers, suivie depuis 812 dans l’arboretum de référence sur les flancs du Mont Takao au-dessus de Kyoto, l’ancienne capitale impériale (de 794 à 1868), juste en face à la montagne sacrée du Japon, le grand volcan Fuji.
https://www.japan-guide.com/blog/sakura13/130408_tokyo.html
Par conséquent, j’ai modifié quelque peu le début de mon texte afin d’intégrer cet apport de civilisations non chrétiennes mais il doit y avoir bien d’autres.