Vérargues : 46 °C à l’ombre, canicule, architecture frugale et Viavino

Afin d’aller au-delà d’un article de la journaliste Nathalie Mayer sur Futura au sujet des canicules records de 2019 auquel j’avais eu la chance de collaborer, j’approfondis des thèmes laissés en marge, sur ce portail scientifique généraliste, le 31 juillet dernier. L’article au sujet des chaleurs records en France et en Europe de 2019 avait bénéficié aussi de l’apport de Christelle Robert, ingénieur prévisionniste à Météo France.
Selon Wikipedia, « le 28 juin, le record national de température, tous mois confondus, est battu par Vérargues (Hérault) où le thermomètre a atteint 46 °C sous abri (à l’ombre dans un milieu ventilé), dépassant le record de 44,1 °C de Conqueyrac [commune du Gard mais proche de l’Hérault] en août 2003. C’est la première fois en France métropolitaine qu’une température atteint et dépasse les 45 °C ». J’ajouterais que cela s’est vérifié à plusieurs stations météorologiques, proches les unes des autres, ce qui écarte tout risque d’erreur de mesure.

Le village de Vérargues d’Entre-Vignes (Hérault) au milieu de son vignoble. Cette localité a enregistré un pic de chaleur record de 46 °C le 28 juin 2019. La photographie, mise en avant dans cet article, montre des grappes de raisin sur pied de son terroir calcinées le 28 juin 2019 en fin d’après-midi. © A. Gioda, IRD.

Toujours selon Wikipedia, « Météo-France confirme la validité de ce record en mentionnant qu’il provient d’une de ses stations conformes à toutes les normes de l’Organisation météorologique mondiale et qu’il concorde avec la station voisine de Villevieille [de Sommières, certes située dans le Gard mais proche de Vérargues] qui dépasse aussi 45 °C ». Pour être précis, 45,1 °C et les médias écrivirent, pendant quelques jours, que c’était le nouveau record métropolitain de températures maximales.

Rue du village de Villevieille, dominant la petite ville de Sommières (Gard). © Le Mas de la Rivoire.
Dans la touffeur d’un après-midi estival, Villevieille (Hérault) domine son vignoble. Cette localité a enregistré un pic de chaleur de 45,1 °C le 28 juin 2019. © A. Gioda, IRD.

Cela fut avant de passer à un autre record provisoire à Gallargues-le-Montueux avec 45,9 °C, un village toujours dans la même région bien que situé dans le département du Gard, puis d’arriver à Vérargues et ses 46 °C. Cet ajustement n’a pu se faire qu’une fois toutes les observations des 3 000 bénévoles du réseau de Météo-France recueillies, analysées et critiquées.

Depuis toujours, la météorologie est une science participative et les observations au sol permettent un maillage fin et discret du territoire. Cet article est également un hommage au suivi journalier de chacun de ces milliers de bénévoles, pendant des décennies, du climat de la France.

C’est officiel : on a atteint les 46 °C en France lors de la vague de chaleur de la fin juin ! Après contrôle et expertise par les climatologues de Météo-France, la valeur record de Vérargues (Hérault) a été validée pour le 28 juin 2018. © www.meteofrance.fr

Encore selon Wikipedia, « le même jour soit le 28 juin, la station de Montpellier-Fréjorgues (Hérault), en relevant une température maximale de 43,5 °C, battait son record absolu de température maximale de 5,8 °C. Cet écart entre l’ancien et le nouveau record absolu est le deuxième plus grand écart jamais observé dans le monde pour des stations à longue série de mesures. Seul un écart supérieur, de 6,1 °C, a été observé à Steele dans le Dakota du Nord (Etats-Unis) en juillet 1936, le record passant de 43,3 °C à 49,4 °C. »

La station météorologique de référence de la ville de Montpellier (Hérault). Il s’agit de celle de l’aéroport international de Fréjorgues. Avec 43,5 °C, elle a battu le 28 juin son record précédent de température maximale de 5,8 °C. © www.infoclimat.fr

Attention! La station de Fréjorgues n’est pas si ancienne car l’aéroport actuel ne fut inauguré qu’en 1938 et il ne démarra réellement qu’après la guerre. Auparavant deux sites toujours en zone marécageuse favorable, par leur comblement, à devenir une steppe herbeuse avaient été les aéroports montpelliérains :  le lieu-dit L’Arnel puis Candillargues. Souvent, on trouve sur l’Internet 1971 comme date du début des observations à Fréjorgues. Toutefois, la date de début de la station de Montpellier-Fréjorgues est bien 1939, selon Météo-France et son travail en archives du climat. Toutefois les observations de Fréjorgues ne deviennent de qualité, notamment pour les températures, et continues que, depuis la fin de la guerre, soit 1946. Deux choses sont sûres : le bon soin pris pour les mesures sachant qu’elle est couplée à un aéroport international, même s’il n’est pas de grande envergure ; et ensuite, depuis 1939, la ville de Montpellier s’est beaucoup rapprochée des installations de l’aéronautique jusqu’à presque les inclurent dans son tissu. Ceci a généralement des conséquences importantes sur le micro-climat dont la hausse des températures avec un effet bien connu d’îlot de chaleur urbain (abrégé ICU, en météorologie) ; les rues des villes, quasiment sans arbre afin de laisser plus de place aux voitures qui déjà elles-même chauffent beaucoup, sont de véritables canyons minéraux car bordés d’immeubles, de plus en plus hauts. Toutefois, le record précédent de Montpellier-Féjorgues était récent, puisque datant seulement du  4 août 2017 avec 37,7 °C, montrant bien le caractère paroxystique de l’événement torride de fin juin 2019. Par conséquent, ce gain du maximum de températures, tout à fait exceptionnel au niveau mondial avec + 5,8 °C d’un coup, n’a rien à voir avec le phénomène d’îlot de chaleur urbain.

De façon plus générale et au niveau national, l’impact sur la mortalité des deux épisodes caniculaires des fins de juin et juillet n’a été connu que le 8 septembre : 1 500 décès supplémentaires, selon la ministre de la Santé.  Toutefois, les Pays-Bas annonçaient, déjà le 8 août, une surmortalité de 400 décès pour la canicule de fin juillet 2019, selon la très officielle Agence néerlandaise de statistiques.  Pour mémoire en France, la vague de chaleur d’août 2003 avait causé 15 000 décès supplémentaires et 1 500, celle de 2018. L’été 2003, la surmortalité se matérialisa par 20 000 décès de plus en France et 70 000 en Europe au total (dont 20 000 aussi en Italie), selon une étude-bilan publiée en 2007 par l’Inserm.

La vie ne manque pas de sel : le maximum national de températures est tombé dans la toute nouvelle commune d’Entre-Vignes qui, depuis le 1er janvier 2019, regroupe les villages de Saint-Christol et de Vérargues.

La grande cave coopérative de Saint-Christol d’Entre-Vignes (Hérault), en plein été. © A. Gioda, IRD.
A Saint-Christol d’Entre-Vignes (Hérault), les anciens tonneaux sont recyclés en grandes jardinières à laurier rose ! © A. Gioda, IRD.

Et que trouve-t-on sur la route de Vérargues à Saint-Christol ? Un complexe récent dont l’architecture intègre fortement la lutte contre le réchauffement climatique dans une région éminemment viticole : le pôle œnotouristique Viavino, élaboré entre 2008 et 2014 et inauguré en 2013 par Philippe Madec. Low-tech, le complexe  est validé QE (Qualité Environnementale), Zéro énergie & VNAC (Ventilation Naturelle Assistée et Contrôlée) avec bois, terre & bâtiment biosourcé.

Viavino à la sortie du village Saint-Christol sur la commune d’Entre-Vignes (nord de Lunel, Hérault), sur la route de Vérargues. Vue générale du site dit œnotouristique qui utilise et réutilise foultitude d’objet du monde viticole . © www.viavino.fr
Viavino (Saint-Christol, Entre-Vignes, Hérault). Vue partielle du pôle œnotouristique. © Atelier Architecture Philippe Madec.
Viavino (Saint-Christol, Entre-Vignes, Hérault). Vue partielle du pôle œnotouristique. © Atelier Architecture Philippe Madec.
Viavino (Saint-Christol, Entre-Vignes, Hérault). Vue partielle du pôle œnotouristique. © Atelier Architecture Philippe Madec.

« Je connais Viavino (j’y ai donné une conférence sur les obstacles mis devant l’écologisation de l’architecture) et Philippe Madec.  Cet architecte a initié, avec Dominique Gauzin-Müller et Alain Bornarel, le mouvement de la frugalité heureuse et créative (le manifeste circule toujours). Accessoirement Philippe Madec a préfacé notre dernière publication : « Yves Perret et Marie Renée Desages : poétique d’une architecture écologique », en cours d’édition par La Fenêtre à Montpellier dans  des locaux où j’avais donné des conférences en 2016 » Yves Perret, architecte,  Saint-Etienne (Loire, Auvergne).

De façon plus générale, l’architecture frugale peut se rattacher, quant à ses sources,  au courant de l’architecture vernaculaire qui avait fait les actualités lors que, en 2012, l’équivalent du prix Nobel en architecture le prix Pritzker avait été attribué au chinois Wang Shu. Ce dernier lutte, dans son pays, contre le gâchis née de la modernisation à marche forcée qui est symbolisée par le bétonnage des paysages.

Chantier de tours d’habitation sur le bassin versant du Yangtsé, le Fleuve Bleu des Chinois. © Photographie de Navad Kander, Prix Pictet 2011, exposition des Rencontres internationales de la Photographie d’Arles de 2018.

Quoi qu’en disent ses partisans, le béton, le matériau de base de l’architecture du XXe siècle, nécessité beaucoup de ciment. La fabrication de ce dernier génère énormément de chaleur, elle est énergivore, faite avec souvent des produits d’origine fossile, et donc elle est très grosse émettrice de CO2 dans les cimenteries. De plus, ces dernières sont le plus souvent couplées aux carrières, contenant calcaires et argiles donnant des marnes, dont l’exploitation génère elle-même des nuées de poussière. Le très répandu ciment Portland d’aujourd’hui utilise toujours la marne comme ingrédient principal.

Selon Wikipedia, « la production du clinker, le principal constituant du ciment qui s’obtient dans des fours à calcination, est responsable d’approximativement 5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) anthropiques, contribuant au réchauffement climatique. »

Wang Shu, accompagné lors sa démarche par son épouse l’architecte Ly Wenyu (en anglais) dans son Amateur Architecture Studio, recycle des matériaux anciens, par exemple des briques cuites par le soleil, recueillis sur les ruines, des pierres déjà taillées ou des gravats, traditionnellement tenus comme négligeables.

Musée d’histoire de Ningbo (port de la mer de Chine) par Amateur Architecture Studio de Wang Shu. © Arcspace.

Auparavant et c’est son souhait d’y retourner, dans une démarche réactionnaire ou à contre-courant, l’architecture était vernaculaire. Cette dernière peut être définie, selon l’un des ses théoriciens Paul Olivier repris  Wikipedia, « comme étant l’architecture des gens, l’architecture sans architecte, faisant appel aux matériaux disponibles sur place et mettant en œuvre des techniques traditionnelles (par opposition à l’architecture pour les gens, l’architecture d’architecte). »
Mais baste revenons aux bâtiments de Viavino sur la route de Vérargues, Quoi de plus simple que de vous les montrer à nouveau et bien sûr vous trouverez du bois de seconde qualité qui habituellement partait à la décharge ou à la cheminée tel celui des palettes, de vieux tonneaux, d’anciens hangars revisités…

Viavino (Saint-Christol, Entre-Vignes, Hérault). Le restaurant. Vue partielle du pôle œnotouristique. © Atelier Architecture Philippe Madec.
Intérieur de la salle de repos, de réunions et de spectacles du site œnotouristique qui utilise et réutilise foultitude d’objet du monde viticole. Viavino à la sortie du village Saint-Christol sur la commune d’Entre-Vignes (nord de Lunel, Hérault), sur la route de Vérargues. © PatriceTeraz.
Viavino (Saint-Christol, Entre-Vignes, Hérault). Vue partielle du pôle œnotouristique. © Atelier Architecture Philippe Madec.

Certes Viviano n’est qu’une goutte d’eau ou plutôt de vin pour lutter contre le réchauffement climatique mais le pôle œnologique et écologique a le mérite de montrer la voie dans le monde agricole. En accord avec les agriculteurs, il faudrait surtout revoir bien des pratiques selon l’agronome Marc Dufumier, héraut de l’agro-écologie. Dans la vigne précisément qui, en Languedoc, est la culture la plus répandue en superficie, bien des problèmes sont générés par l’ancienneté des traitements fongicides, anti-adventices et insecticides dont le plus traditionnel remonte à la fin du XIXe siècle : la bouillie bordelaise. Il faudrait aussi jouer sur le mode de culture : à découvert et sur un sol presque imperméable car encroûté, complètement « nettoyé » (sic) ce qui constitue un milieu quasiment minéral ultra-sensible à de très fortes variations de la chaleur.

Grappe calcinée, à côté de quelques grains verts ayant survécu, après le passage de la canicule de fin juin 2019 et plus précisément par le coup de chaud de 46 °C du 28 juin. Dans le monde viticole, on parle de grillures sur grappes. Vérargues d’Entre-Vignes (Hérault). © A. Gioda, IRD.
Vigne et grappes calcinées après le passage de la canicule de fin juin 2019 et plus précisément par le coup de chaud du 28 juin. Jusqu’à 80 % de la récolte ont été perdus sur les parcelles les plus exposées au soleil l’après-midi. « Beaucoup » m’a soufflé, de façon laconique et en baissant la tête, le vigneron propriétaire du petit caveau du Château de Vérargues (Hérault). © A. Gioda, IRD.

« Les sols, de constitution argilo-calcaire […], sont composés de petits galets roulés qui ont la particularité d’emmagasiner la chaleur de la journée pour la restituer pendant la nuit, ce qui donne une maturité des raisins très précoce », selon le site du Château de Vérargues. Hélas, ce fonctionnement n’est plus l’idéal et le système, sans un paillage du sol au minimum, risque d’être obsolète entre autres avec le réchauffement climatique en cours (projet LACCAVE de l’Inra). On pourrait s’inspirer de ce qui se fait déjà dans certains vignobles italiens (emploi des résidus de taille dans la région de Pieve di Soligo),  voire même dans ceux que l’on trouve aux Canaries (sur l’île de Lanzarote) ou en Argentine (autour de Mendoza avec leur irrigation) cela en milieu désertique.

Vignoble à pergola de montagne dans les Alpes occidentales italiennes. Vigneti alpini-Francia-Italia-firmano-accordo-Alcotra. © Laura Renieri.

Enfin, je cède volontiers une seconde fois la parole à l’architecte écologiste Yves Perret qui fait le point quand à l’influence que nous pouvons avoir, les uns et les autres les techniciens, dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« Je ne pense pas que nous sommes si peu nombreux. Je pense que nous sommes isolés. Quand je fais des interventions publiques – j’en fais beaucoup – il y a plein de monde : des « déjà convaincus » qui viennent refaire leurs forces et agrandir leurs réseaux ; et des « en crise » qui sont sur le point de passer à l’action. Le point de bascule s’approche à toute allure.

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La photographie, mise en avant dans cet article, montre une vigne et des grappes de raisin sur pied, du terroir de Vérargues (Hérault), calcinées le 28 juin 2019. Certes quelques grains verts ont survécu mais ils seront impropres à la vinification. © A. Gioda, IRD. Enfin, il vous sera possible de retrouver Rodolphe Coulondre, vigneron-éleveur du Château de Vérargues, sur le JT de 13 heures de TF1 daté du 20 juillet dans cet extrait, consacré à partir de la 30ème seconde, aux conséquences de la canicule vue de Vérargues. Ce viticulteur est encore sur BFM TV avec des habitants de son village dont le maire.

 

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