El Hierro : médias, RFI, UICN et problèmes écologiques

Ces dernières années, les succès médiatiques à propos d’El Hierro se sont enchaînés. Le moteur en a été la diffusion, à partir de 2019, de la série policière espagnole de Movistar El Hierro, émise aussi en France sur Arte qui en fut la co-productrice.  Aussi, la série de huit épisodes a fait l’objet d’une seconde saison diffusée en Espagne à partir de février 2021. Son principal personnage est paradoxalement l’île, sa nature et sa beauté qui va bien au-delà du cadre de la série.

Moi-même , j’avais travaillé, pour Arte-France, dans sa série scientifique Futura en 2014. En 2021, j’ai eu encore la chance d’accompagner la préparation du Grand Reportage audio de RFI (Radio France lnternational) de Pauline Gleize, toujours sur El Hierro, qui a été diffusé le 31 août (à écouter avec ce lien vers le podcast).

Le résultat a été paradoxal. Après des décennies pour attirer les feux de la rampe sur l’exemple du modèle de développement d’une île minuscule (270 km2) à l’échelle mondiale, le sur-tourisme, au moins en été, est devenu une menace y compris pour les élus. Les habitants permanents sont largement moins de 10 000 mais, l’été 2021, l’île a dû dépasser le cap des 20 000 touristes présents au temps T. Ainsi, les parkings prévus pour les camping-cars et autres caravanes étaient de 45 places alors plus de 300 de ces derniers arrivèrent en août. De plus, la menace des incendies, à cause du sirocco (la calima aux Canaries) particulièrement fort toujours en août, rendit impraticable, par leur coupure préventive, les pistes et routes forestières.

Abri de la vigie pour surveiller les départs d’incendie au-dessus de la côte de Las Playas. Medio Ambiente del Cabildo de El Hierro. Route Isora-El Pinar, El Hierro, Canaries. Cliché : A. Gioda IRD.

Ainsi, furent interdits le camping et l’usage des emplacements pour les véhicules en forêt (Hoya del Morcillo), d’où une gestion de déchets problématique, par leur volume et leur localisation, et  à l’échelle insulaire.

” Punto limpio ” d’Isora où sont rassemblés et traités la plupart des produits de consommation usagés (déjà triés) dans le cadre du programme insulaire 100 % recyclable. Ancienne route Isora-Tiñor, Valverde, El Hierro, Canaries. Cliché : A. Gioda IRD.

” Comment « faire savoir » et « faire voir » (nécessaires) pourraient ne pas entraîner une surpression abîmant ce qui est utile de montrer. C’est un équilibre bien difficile à trouver… ”  Yves Perret, architecte et écologiste.

La pollution lumineuse, ces dernières années, a été multipliée notamment dans la localité de Las Puntas (Frontera).

Un exemple de nouvelle pollution lumineuse en zone côtière : un restaurant (au centre de la photographie) et le travail correct du service public des routes avec de rares lumières tamisées, de couleur jaune, signalant l’entrée du tunnel (à droite). Las Puntas, Frontera, El Hierro, Canaries. Août 2021. Cliché : A. Gioda, IRD.

Il s’agit d’une aire côtière devenue touristique qui est sensible car proche des zones de nidification des puffins, des oiseaux qui ne s’adaptent pas à la lumière artificielle sauf tamisée et, si possible, des couleurs jaune ou rouge.

En effet, les jeunes, lors leur premier envol au sortir de nuit de leur nid qui est un terrier ou une cavité profonde obscure, confondent la lumière humaine blanche avec celle de la lune qui est leur boussole afin de rejoindre la mer, la source unique de leur alimentation. A terre, ils sont très maladroits et les jeunes puffins ne peuvent que difficilement s’envoler, hors des falaises, tel L’Albatros de Baudelaire, un oiseau marin dont ils sont très proches.

Un puffin de Scopoli dans son élément naturel : la mer. Proche du puffin cendré, l’espèce reste relativement commune aux Canaries. MNHN, Paris. Cliché : C. Yzoard.

Emblématique de cette érosion de la biodiversité sur El Hierro est la disparition de l’aigle pêcheur ou balbuzard (guincho en espagnol) qui nichait, encore vers  2010, dans les falaises entre La Restinga et Tacorón. Il est à souligner que ce recul est général dans l’ensemble de l’archipel des Canaries qui comptait 7 couples nicheurs en 2018 contre 14 en 2009 et environ 50 au milieu du XXe siècle.

Panneau abandonné actant la disparition du balbuzard pêcheur qui nichait, encore avant  2010, entre La Restinga et Tacorón. Port de La Restinga, El Hierro, Canaries. Août 2021. Cliché : A. Gioda, IRD.

Bref, nous nous sommes quelque peu éloignés de la description d’El Hierro, toujours assez virgilienne, à près de 25 ans d’intervalle, dépeinte par l’écrivain genevois Jean-Michel Wissmer entre 1994, 2009 et 2018.

En science, le mois de septembre 2021 a été marqué, à Marseille du 3 au 11, par le Congrès mondial de la nature de l’UICN, une ONG mais, dans les faits, elle est proche des gouvernements. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature est célèbre pour son suivi de la flore et de la faune en voie de disparition dont le résultat est l’édition annuelle de la liste rouge mondiale des espèces menacées. Sur El Hierro, une campagne, soutenue par l’administration locale de façon publicitaire (voir la photographie mise en avant d’un point de collecte de verre), est menée afin de sauver une espèce endémique (Bencomia sphaerocarpa) de sa flore, sur la bonne vingtaine que compte l’île.
Bencomia sphaerocarpa. Il reste moins de 130 plants sur l’île dans des localités naturelles, connues uniquement des garde-forestiers et botanistes. El Hierro, Canaries. Cliché : Javier Garcia Pérez.
Bencomia est, en outre, un genre lui-même endémique de Canaries qui ne comprend que quatre rares espèces d’arbustes ligneux de la grande famille de rosacées
Maintenant essayons d’élargir le débat à la gestion des aires protégées, tout d’abord, au niveau des Canaries, puis, à celui national espagnol.
Sur l’archipel, à l’administration locale qui est gérée par des élus – les Cabildos insulaires et donc ces derniers gouvernent les différentes Réserves de la biosphère -, fait face celle des Parcs Nationaux présents sur la plupart des îles : La Palma ; Tenerife ; La Gomera ; et Lanzarote. C’est un fort contre-pouvoir, issu de l’administration centrale de Madrid, qui est absent sur El Hierro où la gouvernance du territoire demeure locale. Il est à noter, aussi sur l’île de Lanzarote, la Fondation Cesar Manrique qui constitue un autre contre-pouvoir face à la pression de la construction mais, mauvaise surprise, l’aval a posteriori d’un cadre de l’Unesco MAB a été donné à des hôtels illégaux. Le résultat : l’universitaire français Igor Babou décrit Lanzarote et sa protection tels ” des patrimoines de papier car bien des sceaux, des diplômes et autres labels d’organisations internationales, l’Unesco en premier, recueillis par l’île ne sont pas une garantie contre la bétonisation du paysage et le développement anarchique d’une bonne partie de l’île. La gouvernance locale de l’île d’El Hierro est, quant à elle, dans le collimateur des Espagnols, dont l’exécutif de l’Etat, depuis le refus de la création du Parc National marin de la Mar de las Calmas, il y a quelques années déjà, soit au moins depuis 2018. S’y sont agrégés des associations, des écologistes et des scientifiques des universités y compris de celles des Canaries qui considèrent, en général, que l’administration insulaire n’a pas les moyens de sa politique de conservation.

La dernière menace est venue en 2021 à travers le réseau MAB des réserves espagnoles de la biosphère. Néanmoins mon Collègue des Canaries, le géographe et conservationniste Eustaquio Villalba, n’a pas retrouvé, à ce jour, le rapport en question qui vise à exclure celle d’El Hierro. Bref, un débat brûlant qui se retrouve partout ailleurs entre gestion locale ou bien celle de l’Etat centralisateur.

Enfin, deux satisfactions et voici la première : malgré le fort sirocco d’août, la mobilisation des gardes forestiers, l’interdiction de nombreuses routes et le civisme des touristes ont évité des incendies désastreux lors de l’été 2021. A l’inverse, ces derniers sont advenus sur l’île voisine de La Palma, bien plus peuplée et encore plus visitée (avec un aéroport de taille internationale). Une seconde bonne nouvelle est présentée en vidéo : l’observation d’un jeune de baleine des Basques ou de Biscaye ou bien appelée baleine franche occidentale ou encore baleine noire (Eubalaena glacialis). Le jeune fut filmé le 23 décembre 2020 à l’orée du Mar de las Calmas, à l’entrée du port de la Restinga, ce qui témoigne du bon état de la réserve marine homonyme qui est intégrée dans la réserve de la biosphère d’El Hierro.

La baleine franche occidentale est quasi absente d’Europe depuis… quelques siècles car sa population y fut décimée par une chasse facile, commencée vraisemblablement dès l’époque romaine. Nous sommes bien loin du Golfe du Saint-Laurent au Canada où existe encore une population relictuelle de 400 exemplaires ce qui en fait la plus rare baleine au Monde. Ce géant des mammifères, atteignant entre 40 et 70 tonnes, est une espèce dont la survie n’est pas assurée. Elle est, par conséquent, en danger critique d’extinction pour l’UICN, tout comme l’est quasiment sa cousine, la baleine franche du Pacifique. Ces deux espèces, dites « gravement menacées » depuis 2020 toujours par l’UICN, devraient être du cortège funéraire de la sixième extinction, tout en espérant me tromper.

La photographie mise en avant illustre une campagne écologique de l’administration locale dont le but est double : le recyclable du verre ; et la protection de l’arbuste endémique insulaire Bencomia sphaerocarpa. El Matorral, route Tigaday-Las Puntas, Frontera, El Hierro, Canaries. Août 2021. Cliché : Alain Gioda, IRD.
 
 
 
 
 

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