Concord : Walden et autres écrits de H. D. Thoreau

En écologie appliquée, deux grandes écoles m’étaient connues : celle de la préservation de la Nature issue des écrits et des actions de John Muir (1838-1914), le créateur du Yosemite, le premier Parc National aux USA, et du Sierra Club ; et celle de la conservation — qui passerait de nos jours pour le développement durable– prônée par Giffort Pinchot (1865-1846) aux USA également.
John Muir se réfère souvent à son aîné Henry David Thoreau (né et décédé à Concord, Massachusetts, Etats-Unis, 1817-1862) car il connut bien son ami fidèle depuis Harvard et diffuseur de ses idées Raph Waldo Emerson (1803-1882). Ce dernier eut une vie terrestre bien plus longue que Thoreau. Toutefois pour moi, tout cela n’était que des généralités car je dois confesser n’avoir lu, jusque il y a peu, aucun de ces textes fondateurs de l’écologie, hors ceux de Humboldt, sans doute par paresse. Un séjour récent en Italie m’a fait rencontrer dans une ancienne et petite bibliothèque familiale, une bonne part des écrits de Thoreau. Il s’agissait d’une version originale au sens d’américaine qui regroupait les grands textes de l’auteur auxquels s’ajoutaient des extraits d’écrits moins connus, tels son Journal et les récits de promenades naturalistes. Le livre de poche de Bantham Classic était dans son édition de 1962 et cette dernière avait été préparée et introduite par Joseph Wood Krutch lui-même écrivain, essayiste et naturaliste reconnu.
Thoreau WaldenLire Thoreau fut un choc et une découverte : un homme qui vécut en accord avec ses idées exprimées dans ses textes. Cette limpidité en fait une personnalité-culte car cette simplicité est si difficile à atteindre. Sa vie et son œuvre inspirèrent les plus grands : Léon Tolstoï, Gandhi et Martin Luther King plus les écologistes et l’écrivain et féministe Louisa May Alcott, son élève, surtout connue pour “Les quatre filles du docteur March“. Au milieu du XXème siècle la Nouvelle-Angleterre fut le berceau d’une génération exceptionnelle d’écrivains et intellectuels . Outre Thoreau, Emerson et Alcott, citons Nathaniel Hawthorne (un proche aussi), Henry James Senior, Walt Witman et Edgar Poe.
Les deux textes les plus connus de Thoreau sont les suivants :
– daté de 1854, “Walken ou La vie dans les bois” le nom d’un étang, proche de la petite ville de Concord (voir sa photographie mise en avant dans cet article ), sur les berges de laquelle il vécut seul, pendant peu plus de deux années (juillet 1845-septembre 1947), dans une cabane démontable, presque une hutte indienne, construite de ses mains ;
– et de 1849 est “Désobéissance civile” écrit, à la suite de sa très brève incarcération en juillet 1846, conséquence de son refus de payer l’impôt pour montrer son opposition dans un pays où la traite des Noirs était normale. En fait, Thoreau refusait seulement d’acquitter celui dit poll tax ou l’impôt par capitation et cela durait plusieurs années jusqu’à sa mise en prison. Quelle que soit la loi en vigueur, son opposition civile à l’esclavage  et à toute forme d’arbitraire, en tant qu’objecteur de conscience, est aussi exprimée dans “La vie sans principe“. Ce libertaire est un pionnier de la lutte des droits de l’homme par la non-violence. Un intellectuel se doit d’être toujours en avance sur la législation en vigueur.
Toutefois revenons au bord de l’étang de “Walken“. Thoreau y établit sa résidence pendant quelques années mais son choix de vivre dans les bois ne fut pas celui d’un ermitage, d’une retraire spirituelle à la Saint François. La cabane était seulement à quelques kilomètres de sa bonne ville natale où il avait tout sa famille. Son choix fut de vivre au contact de la Nature, le plus simplement possible, mais sans négliger de fréquenter ses amis  intellectuels et de se promener quelquefois en ville.

Reconstitution de la cabane de Thoreau au bord de l'étang de Walden. Copyright : blog de Nicholas Santoleri
Reconstitution de la cabane de Thoreau au bord de l’étang de Walden. Copyright : blog de Nicholas Santoleri et peinture de l’auteur (1991).

Il reste que Thoreau, sans famille à charge, se contentait de peu. Bien que diplômé de l’Université de Harvard, il refusa toute carrière intellectuelle, dispensant seulement des cours particuliers, donnant quelques conférences publiques et il vécut souvent de ses mains en fabriquant des crayons de papier, l’activité traditionnelle et modeste de sa famille. Une vie rangée et un peu grise ou plutôt en retrait, scandée toutefois par des voyages naturalistes en Nouvelle-Angleterre allant jusqu’à l’Etat du Maine, au Cap Cod, etc.
Son goût pour l’ombre lui valut d’être taxé d’excentrique et de n’être apprécié que par peu et donc d’être sous-évalué lors de  sa vie qui fut raccourcie par la tuberculose, une plaie familiale.
L’excentricité est aussi plus fondamentalement la conséquence des idées et du comportement de Thoreau qui étaient réactionnaires à l’époque de l’industrialisation des Etats-Unis qui connut, en son berceau la Nouvelle-Angleterre, une force rarement égalée depuis lors dans l’Histoire et dans le monde. Les dernières paroles de Thoreau, en s’éteignant, auraient été “l’élan et les Indiens” (le grand cervidé des bois et ceux qu’on massacrait allégrement alors bien qu’ils aient donné leur nom à l’Etat du Massachusetts).
En France, Thoreau n’eut jamais beaucoup de succès même s’il bénéficie pour Walden d’une belle et fouillée page sur Wikipedia. Il faut dire que le texte de Marcel Proust “Contre Sainte-Beuve” fut une bible pour beaucoup d’intellectuels : on y a appris à distinguer soigneusement l’homme de l’œuvre et, hors chez Thoreau, les deux ne font qu’un. Thoreau est clair comme de l’eau de roche et cohérent tel un galet de calcaire. C’est la montée en puissance du courant de pensée écologiste qui le fit découvrir en France avec son motto : “Simplicity, simplicity, simplicity“. Le philosophe Pascal Onfray, en 2012 et à l’occasion de la publication de son Journal resté inédit en France pendant un siècle et demi, le qualifia de “Diogène du siècle industriel (le XIXème)” et, dans sa bouche, c’est un compliment.  Quelquefois, il est appelé aussi “le Jean-Jacques Rousseau américain”. Toutefois, Thoreau ne fut pas le clochard céleste, décrit par Onfray, et il fut bien inséré par son activité dans la société puritaine et abolitionniste de son temps et de son pays : le Nord des Etats-Unis*.  Ainsi son œuvre résonne fortement encore dans l’âme des grands écrivains nord-américains du XXème siècle tels Melville et Hemingway. Toutefois, sans doute ne sont-ils, aux yeux de la plupart d’entre nous, les Européens, que de grands enfants.

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* Tiré de Wikipedia : la guerre contre le Mexique (1846-1848) contre  avait été largement soutenue par les Démocrates et rejetée par les Conservateurs dont le futur président Abraham Lincoln qui fit abolir l’esclavage dans tous les Etats au terme de la Guerre civile en 1865. Nombre d’abolitionnistes du Nord voyaient en la guerre contre le Mexique une tentative des esclavagistes d’étendre l’esclavage et d’assurer leur influence sur le gouvernement fédéral. Henry David Thoreau écrivit et publia en 1849 “La désobéissance civile” dont le titre original était “Resistance to Civil Government” et il avait refusé de payer de l’impôt destiné à soutenir la guerre qui lui avait valu la prison en 1846. L’ancien Président des Etats-Unis John Quincy Adams (1825-1829) exprima également son opinion selon laquelle, la guerre contre le Mexique visait à étendre l’esclavage. En 1846, le congressiste démocrate  David Wilmot déposa le Wilmot Proviso visant à interdire l’esclavage dans tous les nouveaux territoires gagnés sur le Mexique. La proposition de Wilmot fut rejetée, mais elle attisa la querelle entre les factions.

Ulysses S. Grant, abolitionniste et futur Président des Etats-Unis (1869-1877)
Ulysses S. Grant, abolitionniste et futur Président des Etats-Unis (1869-1877) qui combattit le KKK.

Dans les années 1880, Ulysses S. Grant qui s’était battu dans l’armée américaine au Mexique  – puis lors de la guerre de Sécession, en tant que général nordiste couvert des lauriers de la victoire, avant de devenir le Président des Etats-Unis -, disait ceci : « La rébellion du Sud [contre le Nord] fut l’avatar de la guerre avec le Mexique. Nations et individus sont punis de leurs transgressions. Nous reçûmes notre châtiment sous la forme de la plus sanguinaire et coûteuse guerre des temps modernes [la guerre de Sécession]. »

 

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