Une entrevue sur Radio Canada, le 17 mai à partir de 9 h 14, avec la journaliste Karine Morin, basée à Winnipeg, dans le cadre de l’émission hebdomadaire Les samedis du monde produite par Robert Boucher. Pendant vingt bonnes minutes, nous avons parlé de l’île d’El Hierro grâce à son projet quasi finalisé 100% ENR (énergies renouvelables).
El Hierro, avec ses 10 000 habitants, n’est pas Utopia, l’île virtuelle et vertueuse créée dans la tête de l’humaniste Thomas More (1485-1535), mais seulement un lieu où élus et population ont décidé d’accorder idées, actes et réalisations. L’importance des leaders est à souligner, tant que moteurs du développement durable, mais, en regardant leur cheminement, il est facile de voir que ces personnalités ont souvent voire toujours évolué en tandem et en équipe. Ensuite, il faut rappeler qu’historiquement, sur El Hierro, la transition écologique est antérieure à celle énergétique, avec deux dates à retenir : l’an 2000, pour la première, et 2014, pour la seconde. Je vais évoquer quelques tandems qui, au fil du temps, depuis les années 1970 ont marché sur El Hierro, aux Canaries et à Bruxelles. Pour la transition écologique, Don Zósimo(1920-2004) et César Manrique (1919-1992) . Le premier (dont le nom au complet était Zósimo Hernández Martin) dirigeait les gardes forestiers sur l’île d’El Hierro, depuis les années 40, dans le cadre de l’ancien ICONA (Instituto para la Conservación de la Naturaleza), l’institut espagnol qui gérait les parcs nationaux. Le second était natif de l’île de Lanzarote aux Canaries où il effectua le retour définitif, à sa terre natale, dans les années 1960. César Manrique fut un artiste complet (architecte, sculpteur, peintre à la fois proche et pionnier du land art et de l’architecture vernaculaire), un défenseur de la nature et aussi un homme de succès. Un Fils Prodigue des Canaries où il laissa un héritage prodigieux. Sur El Hierro, son nom est attaché à la création du restaurant et du mirador de la Peña (bâti à la fin des années 1980) mais il participa avec Don Zósimo à la création de plusieurs miradors sur l’île. Son interprétation fantastique du lézard géant d’El Hierro (Gallotia simonyi) ouvre cet article du blog. Don Zósimo et Isidoro Sánchez sur Hierro et Tenerife sans oublier Bruxelles. Isidoro Sánchez García (1942-) était le cadet du premier mais son chef au niveau des Canaries. Il dirigea les Parcs nationaux de Tenerife (P. N. du Teide) et La Gomera (P. N. Garajonay) entre 1974 et 1987. Il participa à la vie politique des Canaries à partir de 1979, en tant que conseiller municipal de La Orotava (Tenerife). Ensuite, il fut conseiller du Cabildo de Tenerife, et, plus tard, de Puerto de la Cruz (une grande ville de Tenerife). Il fut aussi député au Parlement régional des Canaries et surtout au Parlement européen à Bruxelles (de 1992 à 2003 avec une interruption de quelques années). Il a publié autour d’El Hierro tout en soulignant l’apport séminal de Don Zósimo. A Paris dans les bureaux de l’annexe de l’Unesco (1, rue Miollis – XVe), Malcolm Hadley qui anima le réseau des réserves de la biosphère du MAB (Man and Biosphere) et la revue internationale et multilangue “Nature & Ressources” et Pier Giovanni Ayala, le président de l’ONG Insula dédiée au développement insulaire, firent beaucoup, en sous-main et avec chaleur, pour l’avancement des dossiers portés par les représentants élus et les scientifiques travaillant autour d’El Hierro.
“Je me souviens de Pier Giovanni d’Ayala, Sicilien aux yeux verts et aux cheveux roux, propriétaire d’une petite maison au pied d’un volcan, à Salina, dans l’archipel des Lipari, en Italie, fonctionnaire de l’Unesco, se comparant volontiers, dans un grand éclat de rire, à un pirate à l’assaut de cet organisme prestigieux, me racontant en me tenant par le bras, lors de notre premier voyage commun dans une île, l’histoire de l’archipel des Kerkennah, en Tunisie”. Louis Brigand, “Besoin d’îles”, Stock, 2009,
Pour la transition énergétique, il faut citer sans faute Tomás Padrón (1945-) et Ricardo Melchior (1947-). Tous deux étaient ingénieurs de l’Unelco, la compagnie de gaz et électricité des îles Canaries qui tournait à 95% avec une alimentation au fioul et autres énergies fossiles et qui fut absorbée totalement en 2002 par Endesa. Ils menèrent, pour faire avancer leurs idées autonomistes, également une carrière politique. Le premier domina la vie d’El Hierro, en tant que président du Cabildo de 1979 à 2011, l’année de sa retraite. Le second fut président du Cabildo de Tenerife de 1999 à 2013. Tomás Padrón fut aussi brièvement député au parlement régional des Canaries dans les années 1990 et c’est le père de la centrale hydro-éolienne et le paladin de l’indépendance énergétique insulaire. Melchior est docteur honoris causa de l’Université Nationale d’Irlande (2002) pour son travail sur les ENR. Un autre tandem, plus de terrain, est celui qui fut formé entre Tomás Padrón et Juan Manuel Quintero qui gère l’entreprise Gorona del Viento au jour le jour. Enfin, bien que sachant que la liste précédente soit incomplète ce dont je m’excuse par avance, je ne pouvais pas oublier de citer sans faute une femme politique trop tôt disparue Loyola de Palacio (1950-2006). Ce fut la première femme Vice-présidente de la Commission européenne à Bruxelles et une Commissaire aux transports et à l’énergie qui défendit, au plus haut niveau, le projet 100 % ENR d’El Hierro. En 2008, la Commission européenne a décidé de créer une chaire de recherches qui porte son nom dédiée à la politique énergétique commune.
Cette cérémonie sera précédée, les 25 et 26 juin à El Hierro, par un colloque Unesco. Pour plus d’informations à ce sujet, vous liriez sur le site de l’Unesco l’article correspondant sur www.renforus.net. La société mixte, dans laquelle les autorités insulaires ont le premier rôle et qui est derrière la centrale dès sa conception depuis la fin de l’année 2004, a pris le nom de Gorona del Viento en hommage aux bergers de l’île. Ces derniers, tout comme sur les autres îles hautes des Canaries, sont célèbres dans l’histoire pour leurs acrobaties, faites avec un long bâton d’appui de la taille et de la forme d’une lance, face aux abimes des volcans afin de regrouper leurs chèvres égarées, leur langage sifflé maintenant reconnu, protégé et diffusé, et ils bâtissaient traditionnellement des abris circulaires en pierre sèche (les goronas) pour se protéger du vent. La société de la nouvelle centrale hydro-éolienne a repris ce dernier nom afin de s’inscrire durablement dans l’histoire et aussi parce que les goronas sont liées au vent et que leur forme ronde, telle une couronne, se retrouve dans le cercle décrit par les éoliennes sans oublier le dessin des turbines hydrauliques.
Cette éruption, restée sous-marine mais très spectaculaire vue du ciel, mit El Hierro en avant sur tous les médias du monde et donc mobilisa un Collègue gravitant autour de Futura-Sciences. A son époque en 2011-2012, El Hierro était l’un des sept ou huit volcans en activité critique du globe. Les répercutions économiques négatives de ce phénomène paroxystique mais bref se font encore sentir aujourd’hui ; le tourisme, même choisi comme sur l’île, a horreur des crises et, si ces dernières sont amplifiées par les médias, leur impact est durable.
Un grand merci pour le don des photos à “Quique” dont le dernier livre de 2014 développe le thème des crises sismiques dans l’archipel. “Quique” est l’alias de Eustaquio Villalba Moreno de Tenerife, professeur universitaire, animateur de radio, homme-orchestre de la protection de la nature aux Canaries et auteur de livres de vulgarisation de haute tenue.
Des vues montrant l’avancement du chantier de la centrale hydro-éolienne d’El Hierro en février 2012 alors que celle-ci devrait démarrer le mois prochain en juin. Des images valent mieux qu’un long discours.
La plupart des constructions (l’ancienne centrale au fioul et les nouveautés tels les stations de pompage et de contrôle, la centrale hydraulique et le réservoir inférieur) sont toutes regroupées sur le même site ou à proximité immédiate des Llanos Blancos afin d’en limiter l’impact visuel et écologique. S’y ajoute la proximité du seul port de transbordement de l’île, celui de La Estaca. Il en va de même pour le site amont où le barrage supérieur et le parc éolien sont proches avec, de plus, un parcours parallèle et partiellement enterré des deux conduites : celle du pompage et celle de la chute d’eau forcée.
L’important est de comprendre que l’espèce importe peu pour obtenir un arbre fontaine. Ainsi, sur El Hierro, on trouve parmi les arbres fontaines des lauriers endémiques, des genévriers de Phénicie, des pins de Monterey, etc. Ailleurs, ce seront des oliviers (au sultanat d’Oman), des taras (une légumineuse d’Amérique du Sud), etc.
Par deux fois, l’exemple de l’île d’El Hierro aux Canaries (Espagne) a été mis en avant par l’AFP ces derniers temps : le 20 mars et le 5 avril. La large couverture de l’agence de presse et ses nombreux clients lui ont donné une forte lisibilité.
Dans l’espace francophone, la part des ENR – les énergies renouvelables y compris l’hydraulique – reste faible (de l’ordre de 20,7% en 2013 de la production énergétique française) mais elle est en hausse sensible.
Je suis rentré d’El Hierro ce mois de mars 2014 après une autre mission sur l’île. C’était ma dixième, au moins depuis l’été 1991, sans compter quelques-unes sur les autres îles des Canaries et un séjour sur l’archipel du Cap Vert.
Quelles sont les ombres sur El Hierro ? De mon point de vue, il y a un retard préjudiciable et trois ombres ou trois problèmes sur l’île.
Le retard du démarrage de la centrale hydro-éolienne Maintes fois reporté, son démarrage vient d’être encore renvoyé à l’été 2014. Toutefois les essais des turbines de la centrale hydraulique ont commencé en février dernier alors que les éoliennes sont déjà prêtes depuis largement plus d’une année.
La nature prise tel un modèle, mimétisme et homochromie nous ont guidé, Carlos Recio, Arnaud Bouillon et moi, afin d’obtenir une large acceptation des attrape-brouillard dans des localités protégées et sensibles, ainsi les Réserves de la biosphère.
L’arbre fontaine d’El Hierro – le Garoé dans la langue des aborigènes Guanches – ne fut jamais croqué par ceux l’ayant vu entre 1405-06 (l’époque de la conquête de l’île par Jean de Béthencourt) et 1610 (l’année de son arrachage par une tempête). Il fut recréé puis finement dessiné par des artistes, des illustrateurs, des graveurs voire des scientifiques à partir de descriptions d’explorateurs, militaires, marchands et gens d’église. Le plus célèbre de ces observateurs du Garoé fut Bartolomé de Las Casas, missionnaire dominicain, évêque au Mexique et grand défenseur de la cause des Indiens au XVIème siècle, entre autres lors de la controverse de Valladolid.
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.