Je suis rentré d’El Hierro ce mois de mars 2014 après une autre mission sur l’île. C’était ma dixième, au moins depuis l’été 1991, sans compter quelques-unes sur les autres îles des Canaries et un séjour sur l’archipel du Cap Vert.
Quelles sont les ombres sur El Hierro ? De mon point de vue, il y a un retard préjudiciable et trois ombres ou trois problèmes sur l’île.
Le retard du démarrage de la centrale hydro-éolienne
Maintes fois reporté, son démarrage vient d’être encore renvoyé à l’été 2014. Toutefois les essais des turbines de la centrale hydraulique ont commencé en février dernier alors que les éoliennes sont déjà prêtes depuis largement plus d’une année.
La faiblesse des connexions maritimes depuis près de deux ans
Elle découle des difficultés économiques aiguës du gouvernement autonome des Canaries pour assurer la continuité territoriale vers une île où le flux du transport est trop faible pour être bénéficiaire. Après un an et demi sans connexion maritime rapide, le bateau catamaran L’Alcantara Dos, en service seulement depuis novembre 2013, n’assure pas la liaison journalière avec l’île de Tenerife dès que la mer s’agite.
Il va être remplacé rapidement mais la nouvelle compagnie accréditée n’arrive pas à assurer également la réservation, plusieurs mois à l’avance, des voyages. Par conséquent, l’avion pour pistes courtes, du type ATR 72, reste le seul moyen sûr et rapide pour rejoindre l’île. Toutefois cela un coût sans compter la limitation du poids et du volume du fret qui doit passer par un navire ravitailleur qui est loin d’être journalier. Le surcoût sur El Hierro des travaux publics, par rapport à l’archipel canarien, y est maintenant de l’ordre de 30%. Il y a une forte crise économique en Espagne, ininterrompue depuis 2008. Au bout du pays soit aux Canaries, la crise frappe encore plus fort avec un chômage de l’ordre de 30%, soit le niveau de celui de l’Andalousie.
Les traces des crises sismiques et du volcanisme sous-marin
Les crises sismiques de 2011 et 2012 marquées par une éruption sous-marine, après des siècles de repos géologique, ont presque fait disparaître le tourisme et elles s’ajoutent ou se combinent aux problèmes de connexions maritimes. Bien qu’il n’y ait eu aucun décès et peu de dommages aux bâtiments, l’île reste quelque peu ostracisée et les voyageurs éventuels ont crainte de la fouler. Le rôle des médias espagnols et internationaux et, de façon plus précise, leur penchant au catastrophisme sont unanimement regrettés à l’échelle locale.
Le mitage du paysage par des constructions individuelles
Il se poursuit, bien que beaucoup de ces constructions ne soient pas en règle avec les plans d’urbanisme, et en sachant qu’il est exceptionnel aux Canaries qu’on fasse détruire un bâtiment illégalement construit. Cela ne signifie pas que l’île compte une grande population ; officiellement chiffrée à 11000 habitants, il semble qu’il n’y en ait pas plus de 8000 actuellement. Beaucoup ont émigré, au moins provisoirement, à Tenerife et à la Grande Canarie. Le mitage est donc la conséquence de la spéculation immobilière et de la construction de résidences secondaires qui s’intègrent mal dans une démarche MAB (Man and Biosphère) de l’Unesco. Toute l’île avait été classée Réserve de la biosphère en l’an 2000, à la demande de ses autorités.
Quelles sont les lumières sur El Hierro ? De mon point de vue, l’île a de nombreux atouts.
La force des réalisations dans le secteur primaire
Souvent organisés en coopératives regroupées commercialement sous le nom de Marca Hierro, agriculture, élevage et pêche constituent encore le substrat vivant de l’économie insulaire. Ainsi, avec presque 3200 hectares cultivés (soit plus de 10% d’une île aride), El Hierro est la première terre agricole des Canaries, par rapport à la taille de sa population, et elle maintient sa spécificité avec ses productions appréciées dans l’archipel de bananes, ananas, vins, fromages…
La volonté de ses habitants de construire une alternative
Je dirais une utopie, un rêve pour parler plus clairement, sur un socle, fortement ressenti dans l’histoire, d’isolement et de pauvreté. Le refus du choix du boom touristique, il y a plus de 40 ans, avait découlé de la crainte d’être noyé par celui-ci, avec seulement ses quelque 5 à 6000 habitants des années 1960 à 90. De toute façon, l’absence de grande plage et d’un aéroport international eût empêché tout développement touristique important. Ensuite, au début des années 1990, ce fut le rejet de la mainmise militaire sur l’île.
Après ces deux refus, il fallait choisir un chemin et ce fut la voie du développement durable, dans la foulée de Rio 1992, qui fut entreprise par les élus.
La politique locale : patience et longueur de temps des élus
Au service d’une vision, une démarche “slow action” a été suivie depuis des décennies et par conséquent c’est une politique véritable avec une planification. Ainsi concevoir, financer et construire une centrale électrique originale prit bien 30 années. Ce choix de la lenteur correspond bien au mode de vie dans les îles tropicales ou subtropicales ; il ne s’agit pas d’une quelconque fainéantise mais de l’adaptation aux rythmes agraires et à la rareté des connexions avec le “monde moderne” débouchant sur la quête de l’autonomie. Les élus sont progressivement devenus des experts en montage financier afin de bien faire vivre leur terre, au-delà de l’isolement imposé par la géographie. Il y a un bourgeonnement presque continu des projets de développement durable depuis des décennies. Les élus et les îliens bénéficient d’une bonne image nationale et internationale y compris auprès des financiers. Ainsi El Hierro canalise d’importants flux dans le cadre du développement durable européen, en étant située dans une région, les Canaries, fort aidée car dite ultra-périphérique. De nos jours, ce sont le projet Géoparc de l’Unesco – voir vidéo de janvier 2014 (en espagnol) – et le montage d’une filière biodiesel qui ont la cote.
Peut-être ces aides faussent-elles les lois du marché mais être vertueux n’est pas sans bénéfice.
La politique espagnole : la priorité aux énergies renouvelables
Cet élan national est déjà ancien et soutenu. Ainsi vous devez savoir que l’éolien est devenu, chez nos Amis d’Outre-Pyrénées, “la première source d’électricité en 2013… L’éolien, avec 21,1 % contre 18,1 % en 2012, dépasse pour la première fois sur l’ensemble d’une année le nucléaire, qui recule de 22,1 % à 21,0 % en 2013 ” selon le site Reporterre.
L’association des artistes au développement durable
Depuis les années 80 soit l’époque pionnière de César Manrique (1919-1992), avec son land art et son interprétation personnelle de l’architecture vernaculaire qui se sont cristallisés au restaurant du Mirador de la Peña, le flambeau ne s’est pas éteint. D’autres artistes se sont intéressés à El Hierro dont le guitariste des Queen Brian May, par ailleurs, un scientifique en astrophysique et un protecteur de la nature reconnu en Grande-Bretagne. Puis, ce furent fort récemment Rafael Jaen et Alejandro Beautell, deux architectes de Tenerife : le premier a travaillé au parc Las Cancelitas ; le second a construit un petit bâtiment minimaliste (aussi pour des raisons de coût) à Las Puntas et néanmoins il vient d’être lauréat du prix international Archidaily en 2013 avec l’ermitage Saint Jean-Baptiste.
C’est une très bonne intitiative de continuer à nous informer. Trop souvent, nous n’avons pas de suivi des projets après l’intervention d’un conférentier. Le blog est très clair et j’apprécie particulièrement le volet des informations culturelles et politiques. Le scientifique a aussi un regard sur les autres !
C’est moi qui remercie le Lycée La Merci de La Grande-Motte (Hérault) de m’avoir invité le 4 mai 2012 afin de présenter à ses élèves le projet de développement durable d’El Hierro tel un exemple.
L’émission « Les samedis du monde » est nourrie par les idées et donc nous nous permettons de faire des entrevues plus exhaustives que la norme.
L’émission est diffusée dans les quatre provinces de l’Ouest du Canada et nos entrevues sont souvent reprises au réseau de Radio-Canada.
http://www.radio-canada.ca/emissions/Les_samedis_du_monde/2010-2011/index.asp
Nos entrevues sont pré-enregistrées. On vous invite, donc, de nous corriger, d’ajouter ce que nous avons omis; vous pouvez refuser de répondre à une question…le tout sera ajuster au montage et l’entrevue diffusée sera présentée sur notre page Internet.
http://ici.radio-canada.ca/emissions/les_samedis_du_monde/2013-2014/chronique.asp?idChronique=287520
On voudrait vous parler de l’île El Hierro et de sa vision et son audace à se rendre indépendente d’importation d’énergie.
Robert Boucher
réalisateur
204 788-3241
Bonjour,
J’ai déjà répondu à votre demande par ailleurs sur le site et je remercie de votre intérêt.
Cordialement vôtre
Alain Gioda