Pour reprendre en les adaptant les mots du journaliste Jean-Luc Porquet, proche de l’écologie et aussi chroniqueur de théâtre, « ce sera notre quart d’heure de pensée positive » (Le Canard Enchaîné, 4 novembre 2020).
Le poisson multicolore a été photographié alors qu’il nageait dans les eaux de l’île d’El Hierro aux Canaries, montrant sa bouche ouverte en forme de bec, typique des poissons-perroquets, en fait sa superbe dentition fusionnée. Ce simili bec de perroquet, une évolution convergente, s’est développé à fin de se régaler de crustacés et de mollusques, tels crevettes, crabes, moules, gastéropodes, etc., et pour ronger les algues encroûtantes du corralligène sur les fonds de la région du volcan Togaro. Nous sommes au large du petit port de pêche côtière de La Restinga de cette île où j’évolue depuis 30 ans, cela dans le Mar de las Calmas, le bien nommé car à l’abri des vents ici les alizés. La photographie de la vieille, nommée Smiley, par Arthur Tielle Thelmann a été sélectionnée en septembre 2020 pour un concours mondial a priori amusant mais qui, au-delà de son sourire, cherche à protéger la nature par la promotion de sa beauté et de son étrangeté. Elle a été ensuite choisie parmi les gagnantes de l’année 2020 dans The Comedy Wildlife Photography Awards. La photographie montre aussi la résilience écologique de la vie dans l’Océan Atlantique dans des hauts fonds pourtant bouleversés, récemment en 2011-2012, par l’éruption sous-marine du volcan Tagoro, à quelques kilomètres au large de la côte sud d’El Hierro.
Venons en à la substantifique moelle de cet article : la sortie du dernier volume du chercheur, un biogéographe touche-à-tout et mondialement connu, Jared Diamond soit Bouleversement. L’édition française a été publiée chez Gallimard, il y a quelques mois.
Jared Diamond – Première de couverture de l’ouvrage « Bouleversement » de l’édition française chez Gallimard, publiée dans sa prestigieuse collection NRF Essais, 2020.
Jared Diamond. Première de couverture de « Collapse » (2005) chez l’éditeur Penguin Books USA. « De l’inégalité parmi les sociétés » est le titre en français de « Guns, germs and steel » (1997), prix Pulitzer 1998.
Cet ambitieux ouvrage, sans nul doute riche et discutable, fut bien reçu dans le monde académique. Ainsi Collapse bénéficia d’une excellente appréciation par le mammalogiste Tim Flannery, dans la revue nord-américaine de référence Science. De l’autre côté du spectre chez les collègues des sciences humaines et les personnalités politiques, la collapsologie (l’effondrement possible de notre civilisation) se développe y compris en France à partir de 2015, portée et diffusée notamment par l’ancien ministre de l’Environnement (2001-2002) Yves Cochet.
Le problème est que Jared Diamond ne fut jamais un adepte de la collapsologie. Dans son ouvrage Collapse, il développe plusieurs exemples de sociétés insulaires qui, dans l’histoire, ne sont non pas effondrées mais, bien au contraire, se sont épanouies malgré les fortes contraintes locales de l’insularité : ce sont Tikopia (Mélanésie, archipel des Salomon) par son agroforesterie intensive complétée par la pêche et la chasse locales, la Nouvelle-Guinée par son agriculture vivrière, le Japon grâce à sa gestion de la forêt.
Vue aérienne de l’île du Pacifique de Tikopia, très isolée dans l’archipel des Salomon, et qui nourrit correctement, sur seulement ses 5 km2, une population de 2 000 personnes vivant en quasi autarcie. Cela grâce à une savante agroforesterie et à la pêche, toutes deux traditionnelles. Cliché : Google Earth.
« Les réserves de la biosphère concilient conservation de la biodiversité et développement durable grâce aux efforts des communautés locales, mais également grâce au soutien du gouvernement et de connaissances scientifiques » selon le site de l’Unesco.
En réalité, Jared Diamond tient à continuer d’espérer en mettant l’accent sur l’apport des crises, ici celle de type sanitaire causée par le Covid-19, afin de propulser un changement sociétal plus rapide, malgré ou à cause de l’adversité.
« Mon espoir, c’est que, d’ici à un an ou deux, le fait d’avoir développé une solution globale face au Covid nous conduise à faire de même pour le changement climatique » J.D., Libération, 29 septembre repris par Jean-Luc Porquet (Le Canard Enchaîné, 4 novembre 2020).
Attention toutefois ! Ma Collègue Anne-Marie Moulin, médecin et historienne des sciences du CNRS et qui travailla pour l’IRD en Egypte, a constaté que les épidémies n’ont pas changé l’ordre du monde durant l’histoire. Néanmoins, j’ajouterais, dans le fil des idées d’Emmanuel le Roy Ladurie, qu’il s’agissait jusqu’au XIXe siècle, du moins pour l’Europe et les Etats-Unis, de mondes essentiellement ruraux c’est-à-dire où tous les changements étaient lents car guidés par les saisons et par des crises agricoles récurrentes et leur cortège de famines.
Par conséquent il faut éviter l’écueil de l’anachronisme historique dans les comparaisons et, là encore, Jared Diamond est précieux par un exemple contemporain dans Bouleversement. Il montre comment la Finlande a opportunément réagià la suite du Deuxième conflit mondial que le pays, impréparé, paya lourdement par trois guerres : celle d’Hiver quand il subit l’agression de l’URSS (1939-1940) ; celle dite Guerre de Continuation, déclenchée contre l’URSS et aux côtés des forces de l’Axe (1941-1944) ; et celle de Laponie contre le Reich allemand (fin 1944). Les conséquences de ces conflits successifs, tous azimuts, furent désastreuses : 100 000 morts soit une perte immense pour si un petit pays ; un territoire amputé de la riche région de la Carélie (10 % du territoire et 20 % de la population perdus) causant l’afflux d’environ 100 000 réfugiés ; et une économie ruinée. La Finlande en tira des leçons et elle dispose, encore aujourd’hui, d’un comité national de sécurité, doté de grands moyens financiers et humains, chargé d’anticiper 12 types différents de crises dont l’effondrement de la santé publique (repris par Le Canard Enchaîné du 4 novembre dans Ce qu’il aurait fallu faire [chez nous et que nous n’avons pas fait] de J.-L. Porquet). Ainsi, la pandémie du Covid venue, ne la trouva point dépourvue (pour singer La cigale et la fourmi).
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.