Grâce au journaliste Aurélien Frances d’Euradio, je peux rédiger cet article à partir d’un jeu de questions-réponses faite pour cette radio FM « généraliste européenne », basée à Nantes . Le jeu se trouvera dans un second billet de blog afin de pas allonger trop celui-ci. Le journaliste m’avait demandé le 16 avril mon avis au sujet du projet d’îles flottantes artificielles pour les migrants, Oceanix. Ce dernier se retrouve aussi sous le nom d’Oceanix City, il est soutenu par l’ONU-Habitat. Il s’agit d’une proposition que je ne connaissais pas auparavant et que je vous présente à l’aide de cette vidéo.
Dans un monde idéal Oceanix serait donc une île virtuelle et vertueuse car autonome pour les migrants. Toutefois, j’étais au courant de l’autre face de Janus, le grand dieu des passages des anciens Romains qui est bifrons, celle du passé. L’histoire sur les îles, comme hélas aussi le présent voire même le futur proche, montre bien la face obscure de Janus pour les migrants, celle de la guerre, celle noire du camp de Mouria ou Mória, sur l’île de Lesbos en Grèce, doublé par sa tristement célèbre « jungle de Mouria ».
Quand ils sont trop sordides et obscènes à voir par leur misère devenant ainsi une honte nationale, ces camps sur le continent ont une vie brève. Ainsi, fut l’histoire du camp d’Idomeni, toujours en Grèce mais dans sa partie macédonienne et donc facilement accessible depuis la grande ville de Thessalonique. Il fut démantelé et donc effacé en mai-juin 2016, telle « la jungle de Calais» le fut, chez nous, en octobre 2016.
Grâce à l’usage de caméras thermiques utilisées par les armées à l’origine pour traquer l’ennemi et protéger les frontières y compris de nuit, Richard Mosse détourne ces objets de leur rôle pour en faire des armes de dénonciation de la violence des institutions . Le projet de Richard Mosse consiste à photographier des camps de réfugiés et autres sites de transit, de jour comme de nuit. Ici, pas de distinction de couleur de peau car, avec la caméra thermique, l’artiste irlandais ne met en évidence que des masses humaines et la chaleur vivante des êtres à sang chaud. Des vidéos fortes sont aussi disponibles en ligne et en voici une tournée en partie début 2016 sur l’île de Lesbos, à quelques encablures des côtes turques, et plus généralement dans des camps de réfugiés (Grèce, Bulgarie, Allemagne, Liban) « Heat Maps »ou le long de leur périple en mer « Incoming ».
Sur l’île de Lesbos, les réfugiés se retrouvent dans une sorte de no man land, même si formellement en Grèce, mais loin de tout car sur une île très éloignée d’Athènes et Thessalonique, les deux grandes villes du pays, et du grand port, pour l’Europe, de Patras dans le Péloponnèse. De l’autre côté du pays des hellènes soit l’oriental, les relations entre la Grèce et la Turquie sont traditionnellement difficiles depuis la partition de l’île de Chypre en 1974. La situation sur Lesbos s’est profondément dégradée jusqu’à devenir hors contrôle. Résultat : le camp de Mouria qui était prévu en 2015 pour accueillir quelque 2 à 3 000 migrants en compte, ce mois d’avril 2020, plus de 20 000 sur l’île qui débordent largement dans « la jungle de Mouria » c’est-à-dire la zone informelle du camp.
Une autre vidéo de Ricard Mosse qui résume son travail est ci-dessous et son oeuvre lui a valu la récompense la plus prestigieuse en photographie pour le développement durable le Prix Pictet en 2017.
« Le changement climatique crée plus de réfugiés que les guerres », « Bientôt 250 millions de réfugiés climatiques dans le monde », « Nous allons tous devenir des réfugiés climatiques »… Inquiétants, de tels titres laissent imaginer des hordes d’individus déferlant sur l’Europe pour demander l’asile aux pays industrialisés, émetteurs historiques de CO2. Cette question, qui a fait l’objet de plusieurs engagements internationaux, nécessite le plus grand sérieux. La Croix, le 09/12/2019.
Après avoir défini qui sont les migrants et réfugiés climatiques, il nous faudra les distinguer, si possible, des autres présents sur les camps insulaires, quelquefois de simple transit, qui parsèment les mers telle la petite île italienne de Lampedusa (seulement 20 km2) au large de la Tunisie et de la Libye.
Au niveau supranational, il n’y a aucun statut de réfugié climatique ou de déplacé environnemental, un autre nom plus générique avec lequel « ces gens-là » puissent être nommés.
Maintenant, les faits.La guerre civile syrienne, débutée en 2011 et toujours en cours, puise une bonne part de ses racines dans une crise agraire liées à de mauvaises récoltes dans un environnement déjà aride dont le caractère s’est accentué lors des dernières décennies, selon mes sources déjà anciennes. Plus modérées, des universitaires de Lund en Suède publient en ligne :
« Cet enchaînement d’événements souligne que la guerre [civile] syrienne est le produit de l’accumulation de plusieurs facteurs liés entre eux et qui ont germé des décennies durant. Il est certes aisé d’établir des liens entre sécheresse, migration et conflit. Mais ces liens, particulièrement difficiles à évaluer dans le cas syrien, ne sauraient être considérés comme des faits établis. On peut dire en revanche, avec plus de certitude cette fois, que les difficultés économiques engendrées par la vulnérabilité à la sécheresse, tout comme la baisse des subventions et des salaires pour les agriculteurs, sont des facteurs qui ont contribué à la large défiance envers le gouvernement [syrien]. Et cette défiance a fait office de cri de ralliement pour unifier les Syriens dans l’opposition. » concluent Eklund et Thompson, The Conversation, (21/072017).
Selon l’UNHCR, déjà en 2015 la tragédie syrienne avait causé plus de 10 millions de déplacés : 4 millions de Syriens avaient quitté leur pays et 7,6 s’étaient déplacés à l’intérieur de celui-ci, selon Le Monde Diplomatique, octobre 2015). En 2018, un rapport de la Banque mondiale anticipait 143 millions de « migrants climatiques internes » d’ici à 2050, en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Amérique latine, en l’absence de mesures concrètes pour le climat. […] Cette perspective ravive l’urgence d’un statut juridique (La Croix, 09/12/2019).
Maintenant sur le terrain où se joue la vie des gens, plus que sur Océanix et ses îlots artificiels modulaires, les autorités grecques cherchent à faire de 5 îles bien réelles, face à la Turquie et loin des grandes villes de Grèce, des terres pour y enraciner définitivement les migrants qui sont environ 37 000. Ce serait, du Nord au Sud en mer Egée orientale, sur les îles de Lesbos (1 633 km2, 90 600 habitants en 2001), Chios ou Chio (842 km2, 51 900 habitants en 2001), Samos (476 km2, 30 800 habitants en 2001), Leros (53 km2, 7 800 habitants en 2011) et Kos ou Cos (287 km2, 30 900 habitants en 2001). Cela au grand dam des populations insulaires locales.
Il reste aux Européens, dont je suis, à recoller les mille bouts épars d’un accord international pour faire que le grand écart se réduise vite entre une utopie, telle Oceanix City, et la réalité noire des camps de réfugiés ou de migrants sur les îles orientales de la Grèce qui aurait dû rester une dystopie de roman.
3 réflexions sur “ Oceanix et Lesbos : des îles face aux réfugiés et aux nouveaux climats ”
Merci, Alain, de contribuer à dévoiler cette réalité insoutenable, donc soigneusement dissimulée: 50 000 réfugiés à Lesbos !
Pour les Îliens et surtout pour les migrants, un tel confinement, (ou plutôt une telle “concentration”, pour employer un mot chargé de souvenirs sinistres), est in-ac-cep-ta-ble.
Merci Alain, un compte-rendu EDIFIANT, et que l’explosion démographique en cours en Afrique ne va pas arranger. le phénomène migratoire a aussi des causes multiples et enchevêtrées : il fait partie avec le respect de notre Terre des défis majeurs de ce siècle.
Amitié! : Arnaud
Merci, Cher Raymond du Club des Argonautes et Cher Arnaud de la société Bouillon Innovations.
Vos messages ont été l’occasion de mettre à jour, ce mardi 28 avril, mon billet grâce à une dépêche de l’AFP qui vient de tomber et donc j’ai extrait le suc.
Le NRC (Norwegian Refugee Council) co-publie depuis 1998 un rapport international annuel (situation en 2019 en ligne depuis le 28/04/2020) sur le déplacement interne : 33,4 millions de personnes ont dû abandonner leur foyer en 2019 tout en restant dans leur pays, portant le nombre total de déplacés internes à 50,8 millions, un record (ce chiffre est très supérieur aux 26 millions de réfugiés hors des frontières de leur patrie). Sur les 33,4 millions de nouveaux déplacés dans le Monde, 24,9 millions ont été contraints de fuir à cause de catastrophes naturelles. https://www.internal-displacement.org/ https://www.nrc.no/
Pour mémoire, la synthèse du rapport NRC et iDMC (internal Displacement Monitoring Centre) pour l’année 2018 au niveau mondial : https://www.internal-displacement.org/global-report/grid2019/downloads/press_releases/2019-grid-pressrelease-global-fr.pdf
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.
Merci, Alain, de contribuer à dévoiler cette réalité insoutenable, donc soigneusement dissimulée: 50 000 réfugiés à Lesbos !
Pour les Îliens et surtout pour les migrants, un tel confinement, (ou plutôt une telle “concentration”, pour employer un mot chargé de souvenirs sinistres), est in-ac-cep-ta-ble.
Merci Alain, un compte-rendu EDIFIANT, et que l’explosion démographique en cours en Afrique ne va pas arranger. le phénomène migratoire a aussi des causes multiples et enchevêtrées : il fait partie avec le respect de notre Terre des défis majeurs de ce siècle.
Amitié! : Arnaud
Merci, Cher Raymond du Club des Argonautes et Cher Arnaud de la société Bouillon Innovations.
Vos messages ont été l’occasion de mettre à jour, ce mardi 28 avril, mon billet grâce à une dépêche de l’AFP qui vient de tomber et donc j’ai extrait le suc.
Le NRC (Norwegian Refugee Council) co-publie depuis 1998 un rapport international annuel (situation en 2019 en ligne depuis le 28/04/2020) sur le déplacement interne : 33,4 millions de personnes ont dû abandonner leur foyer en 2019 tout en restant dans leur pays, portant le nombre total de déplacés internes à 50,8 millions, un record (ce chiffre est très supérieur aux 26 millions de réfugiés hors des frontières de leur patrie). Sur les 33,4 millions de nouveaux déplacés dans le Monde, 24,9 millions ont été contraints de fuir à cause de catastrophes naturelles.
https://www.internal-displacement.org/
https://www.nrc.no/
Pour mémoire, la synthèse du rapport NRC et iDMC (internal Displacement Monitoring Centre) pour l’année 2018 au niveau mondial :
https://www.internal-displacement.org/global-report/grid2019/downloads/press_releases/2019-grid-pressrelease-global-fr.pdf