Ce mois-ci, je laisserais volontiers la parole à Dominique Delport dont je connais l’implication, depuis des décennies, dans le monde rural. Le premier épisode de ce feuilleton sur mon blog chez Futura, regardait la formation professionnelle de ce couple d’architectes, Dominique Delport et Jocelyne Richard, notamment à Paris à Ecole du Grand Palais puis en Cerdagne autour des EnR, particulièrement de l’énergie solaire, dans les années 1970. Le second billet était à propos des personnes les ayant influencés parmi lesquelles gentiment les Delport m’ont compté. Ici Dominique, dans ce troisième billet, continue à nous parler de son cheminement vers l’autonomie énergétique totale, plus précisément vers celle de leur ancienne maison de village, et de son véhicule électrique. Une quête que Dominique partage avec sa compagne de longue date, Jocelyne Richard qui anime maintenant le Conseil municipal de Tessy-Bocage (Manche), dans le cadre d’une récente retraite (fort active) d’architecte .
Événement n°4 : la restructuration de notre maison
En 2018, nous décidons, après de longues tergiversations, de restructurer notre maison, située en plein centre du village normand de Tessy-Bocage, dans le département de la Manche. C’est un geste militant afin de montrer l’importance des centres des villages, lieux de vie traditionnels, qui ne doivent pas être abandonnés mais revalorisés pour limiter l’empreinte au sol de l’occupation humaine qui, chez nous en France, a abouti au mitage définitif, par des lotissements infinis, des paysages.
Le projet architectural, entièrement conçu par Jocelyne [Richard], sera le projet de notre vie ! Les travaux, débutés tout à fin de 2018 et s’étalant sur 14 mois, seront terminés quelques jours avant le début du confinement du 17 mars 2020 permettant d’emménager in extremis dans notre nouvelle maison. Outre le parti architectural, qui consiste notamment à démolir un gros morceau de l’enveloppe extérieure (façade et toiture) ainsi que toutes les cloisons et doublages intérieurs, nous voulons réduire la surface de planchers chauffés de 400 à 250 m2.
Nos impératifs techniques sont clairs : isolation bien au-delà des normes réglementaires en matériaux naturels à base de chanvre (efficaces hiver comme été) ; menuiseries extérieures mixtes (bois intérieur et aluminium extérieur) ; panneaux photovoltaïques de 7,2 kW ; et batterie-tampon de 12 kWh. Nous avions également prévu une chaudière gaz à condensation, en lieu et place de notre vieille chaudière au gaz de ville, et la dépose pour réemploi des radiateurs en fonte. Les parquets en chêne devaient également être déposés pour leur réutilisation mais ils vont voler en éclats en cours de réalisation !
Alors que nous sommes en négociation avec les entreprises pressenties (toutes locales et sises dans un rayon de 15 km maximum), je profite de notre allant initial pour reprendre contact avec Jean-Baptiste Segard. Il faut programmer la modification de notre Zoé pour tracter un EP Tender. Jean-Baptiste Segard m’apprend qu’il en développe un nouveau de type électrique (batteries lithium-ion au lieu de groupe électrogène) et que, par conséquent, le poids de l’EP Tender passera de 300 à 400 kg. Ce surpoids le rendra incompatible avec son attelage actuellement homologué. Il faudra donc attendre encore un peu pour qu’il repasse une nouvelle homologation. Dans la discussion, Jean-Baptiste Segard m’annonce également que cette future version d’EP Tender emportera un pack de 60 kWh et un chargeur CCS combo, capable d’atteindre 70 kW en puissance de charge.
L’EP Tender électrique pourra également se charger directement à partir des panneaux photovoltaïques et il y aurait, moyennant l’installation d’un onduleur, la possibilité d’alimenter directement la maison, en courant 220 V alternatif monophasé, et de charger directement la Zoé, en courant continu. Exactement, telle une grosse batterie murale de 7 à 10 kW Powerwall® de chez Tesla, mais en bien plus puissant et avec une fonction V2G. Bien sûr, sa fonction première resterait l’augmentation de l’autonomie de la Zoé, sans oublier la possibilité de se recharger soit sur une borne CCS Combo à 70 kW soit sur une borne T2 ou T3 à 22 kW, en passant par la Zoé dans ce second cas. Sacrée information !
Dans le cas de la maison, nous comptions atteindre l’autonomie énergétique électrique avec 7,2 kW de panneaux photovoltaïques et une batterie de 12 kWh avec une production de chauffage et d’eau chaude sanitaire assurée par gaz naturel (une énergie fossile plutôt propre et à haut rendement). A ce moment-là, l’EP Tender, en tant qu’extenseur d’autonomie domestique, ne m’apparaissait pas clairement utile. Je fais quand même modifier le projet photovoltaïque en conséquence, afin d’augmenter notre production photovoltaïque grâce à environ 15 m2 de panneaux hybrides (électricité et eau chaude) en y intégrant les éléments suivants : d’une part, les câbles entre les futurs panneaux et l’onduleur ; et, d’autre part, les tuyaux entre ces mêmes panneaux et la chaufferie (l’eau chaude produite alimenterait un ballon-tampon chargé du préchauffage de l’eau chaude sanitaire). Je prévois également de pouvoir intégrer un pack de batteries supplémentaires dans le schéma fourni par le fabricant du système photovoltaïque retenu : la société allemande SolarWatt.
Toutefois, cela ne va pas se passer exactement comme prévu !
Une partie des démolitions consiste à déposer le plus proprement possible les parquets en chêne, du rez-de-chaussée et du premier étage, en vue de leur réutilisation, une fois la maison rénovée. Cette épisode se soldera par un échec total. Cloués sur lambourdes, les parquets n’iront pas au-delà de leurs 70 ans d’âge ; bien que magnifiques en surface, ils sont complètement délabrés en sous-face et les clous de fixation sur les lambourdes sont devenus autant de points de corrosion massive. Il faut tout mettre à la benne ! Dépités, nous nous retrouvons, sur le rez-de-chaussée et les 2 étages, avec un vide à combler de 6 cm environ par rapport au niveau prévu fini des planchers mais c’est pile-poil l’épaisseur d’un plancher chauffant !
Notre artisan plombier-chauffagiste a déjà réalisé ce type de chauffage. Il l’a fait à partir de pompes à chaleur eau/eau fabriquées sur mesure par l’entreprise Lemasson dont l’usine ne se trouve qu’à une vingtaine de kilomètres de Tessy-Bocage. Nous allons visiter, à la fois, l’entreprise et l’un des clients de notre chauffagiste afin de recueillir son avis d’utilisateur. C’est le type d’installation, combinée à des forages géothermiques, qu’il nous faut !
Après le chiffrage complémentaire, nous changeons radicalement notre projet de chauffage qui se structurera désormais de la façon suivante :
– 3 forages géothermiques verticaux (déclarés au BRGM puis autorisés), chacun des 60 mètres de profondeur nécessaires pour allonger les sondes dans notre jardin ;
– 800 mètres de tuyaux, équipés dans le sous-sol de sondes géothermiques, assurant en circuit fermé – et donc sans prélèvement dans la nappe phréatique -, la circulation d’eau pure (au sens d’eau du réseau d’adduction donc ici sans antigel soit de l’éthylène glycol, plus connu sous le nom abrégé de glycol) entre les tréfonds et la surface ;
– une pompe à chaleur eau/eau ;
– et 250 m2 de planchers chauffants, en eau pure également, dont un tiers au rez-de-chaussée, en forte inertie (dalle béton sur isolant), et le reste soit les 2 étages, en faible inertie (complexe sec).
Chaque plancher (rez-de-chaussée et les 2 étages) sera régulé indépendamment des deux autres. Leur « mise en sommeil » et leur « réveil » pourront être pilotés aussi individuellement de manière locale et depuis l’Internet.
L’ensemble des travaux de forage de la société Brébant et de l’installation vers la maison du chauffage d’origine géothermique, exécutée par les établissements Lemasson et l’artisan Sebire, a fait l’objet de petites vidéos et de photographies facilement accessibles en cliquant sur ce lien actif.
Conseillés par la société Lemasson le maître d’œuvre technique de l’opération, nous optons également pour un échangeur de « free cooling ». Du coup en été en cas de surchauffe ou même de canicule, il sera possible de refroidir les planchers en y faisant circuler « une eau rafraîchie » (dans une certaine limite) parce qu’au contact de l’eau (12° C) des sondes géothermiques et donc sans utiliser la pompe à chaleur. Et cela via un simple échangeur à plaques.
La technique du « free cooling » permet théoriquement d’obtenir, à l’intérieur de l’habitation, seulement une température moindre de 5° C par rapport à celle de l’extérieur. Néanmoins, elle consomme peu d’énergie et ne rejette pas de chaleur dans l’air ambiant.
Pour l’ensemble de la maison restructurée, notre nouveau choix implique l’augmentation sensible de la consommation d’énergie électrique ; il faudra bien alimenter la pompe à chaleur et les circulateurs nécessaires au bon cheminement de l’eau des sondes et planchers. Le seuil de « bruit » engendré par la consommation des circulateurs est d’environ 200 W en permanence, été comme hiver, et la pompe à chaleur demande une puissance de 3 kW lorsqu’elle fonctionne c’est-à-dire de 5 à 10 mn/h en première approche. Toutefois, dans ce nouveau cadre, l’option EP Tender revêt une haute importance car la batterie 12 kWh, prévue dans la configuration SolarWatt, sera insuffisante lors des grands froids. L’EP Tender sera, au contraire, parfaitement taillé pour supporter, même plusieurs jours d’hiver sans soleil, et, en été, il sera disponible à tout moment pour de grandes ballades en VE. Reste à le recharger de manière vertueuse à la maison, d’où peut-être la possibilité d’augmenter la puissance photovoltaïque par des panneaux hybrides, en complément de ceux prévus initialement.
« Parce qu’il est conçu pour la location ou l’autopartage, l’achat par un particulier d’un EP Tender représente un coût important, voire dissuasif, si ce matériel n’est utilisé que ponctuellement. En revanche, exploité au quotidien comme unité de stockage reliée à une production d’énergies renouvelables, il est déjà nettement plus intéressant » plaide Dominique Delport.
Suggestion complémentaire de notre fils aîné Géraud : pourquoi, à ces moments-là correspondant aux beaux jours, ne pas mettre notre EP Tender en autopartage avec les clients potentiels de l’entreprise de Jean-Baptiste Segard ou avec des voisins convaincus ? Suggestion supplémentaire de Jean-Baptiste Segard : pourquoi ne pas, en période de surproduction, réinjecter l’excédent de courant dans un stockage virtuel, par exemple géré par Enercoop, afin de pouvoir le réutiliser en mobilité avec ou sans EP Tender ? C’est parti !
En conclusion en ce qui me concerne, après 40 années d’obscurantisme causées par la société vis-à-vis des énergies renouvelables, me revoilà dans la course en tant qu’utilisateur final cette fois-ci. C’est finalement un vieux rêve d’étudiant qui est en train de se réaliser. Jocelyne, elle, au travers de son métier d’architecte avait évolué de façon plus vertueuse de son côté, certes sporadiquement par rapport aux énergies renouvelables, mais quand même. Sa très bonne connaissance des matériaux et techniques de construction moderne nous a permis de ne pas faire d’erreur du côté architectural et de porter ainsi toute notre attention sur les techniques photovoltaïques et géothermiques ainsi que sur la mobilité électrique associée. Nous sommes en phase d’harmonisation entre EP Tender et SolarWatt pour finalement aboutir à une solution qui pourrait probablement faire son chemin parmi des particuliers ou de petites collectivités locales désireux de progresser dans cette direction. Les échanges vont bon train malgré ou grâce au confinement. Reste encore d’être en mesure de financer cette dernière étape.
Mais revenons à nos moutons. Actuellement pour le chargement au garage personnel de la batterie de la Renault Zoé, voici le chemin à emprunté afin de le rendre aisé… sans décharger l’alimentation de notre maison.
Ma borne de charge pour VE est, quant à elle, une T2 de 7,2 kW maxi mais je la bride à 4 kW. Pourquoi ? Parce que la puissance délivrée par mes panneaux solaires est le maximum autorisé pour pouvoir injecter le surplus de courant produit vers le réseau, L’énergie stockée dans mes batteries SolarWatt est de 12 kWh. Supposons une belle journée ensoleillée, par exemple le 15 avril 2020 à Tessy-Bocage. La pompe à chaleur de la maison ne produit que de l’eau chaude sanitaire. La consommation « bruit de fond » ou en veille est d’environ 200 W la nuit et 400 W le jour en moyenne. La batterie de la maison s’est partiellement ou totalement déchargée la nuit, il faudra donc la recharger en premier. Le système photovoltaïque va donc produire entre 0 et 6 kW pendant la montée du soleil jusqu’à son zénith puis redescendre à 0. Pendant tout ce temps, il lui faudra fournir l’énergie consommée par la maison et, en plus, charger la batterie de la maison jusqu’à son maximum de 12 kWh. Une fois la batterie de la maison chargée, et seulement à ce moment là, je peux charger la Zoé. Mais si je chargeait à 7 kW la batterie de mon VE, le système devrait pour y parvenir soit décharger la batterie de la maison soit il me faudrait acheter, en sus, du courant sur le réseau type EDF. Et ça, il n’est absolument pas question car je ne serais plus autonome !
Par conséquent, 4 kW maxi pour la charge de la batterie de la Renault Zoé mais seulement quand la production de mon électricité autonome est, elle-même, supérieure à 4 kW.
« Enfin, merci à Marie-Monique Robin, Jean-Baptiste Segard et Alain Gioda, pour toutes leurs idées et suggestions, directes ou indirectes, qui nous ont permis de peaufiner notre projet. Pour moi, il s’agit vraiment d’une rédemption morale et d’un retour aux sources de mes toutes premières ambitions » conclut Dominique.
Je reprendrais la main en tant que rédacteur de ce blog. « Tout ça est bel et beau », mais combien ça coûte, la maison de village et la voiture aux alimentations électriques autonomes ? A suivre… et Dominique est prêt à vous répondre, via les commentaires, à toutes vos questions.
La photographie mise en avant est la maison de village de la famille Delport, totalement restructurée afin d’être autonome énergétiquement, et son VE en charge à partir du garage. La surface habitable a été fortement réduite par l’ablation de la partie au-dessus du garage, lui conservé. Le toit est équipé de 15 m2 de panneaux solaires mais bien d’autres interventions, invisibles de l’extérieur, ont été faites. Avril 2020, rue Saint-Pierre-et-Miquelon, Tessy-Bocage (Manche). © D. Delport.