Tessy-Bocage : 1) La famille Delport vers l’autonomie énergétique totale

L’article est dédié au Professeur Juan Diaz qui enseigna dans les années 1970-80  à l’Ecole d’Architecture (Unité Pédagogique n°7 ou UP-7 en abrégé) née de la réforme de 1968 et qui était installée à Paris, dans l’aile Sud du Grand Palais des Beaux-Arts dont la verrière ouvre ce billet.

Ce mois-ci, je laisserais volontiers la parole à Dominique Delport dont je connais l’implication, depuis des décennies, dans le monde rural : système de l’Internet avec répétiteurs en boîte de lait ou Ricoré® recyclées pour le bocage normand et plus moderne pour les fermes isolées du Larzac, création d’un système d’échange local (SEL) avec la monnaie la Fleur de sel, soutien et accueil de plasticiens et auteurs aux champs grâce à la structure d’art contemporain Usine Utopik de Tessy-Bocage, organisation de conférences au vert au Centre international de Cerisy, etc.

Dominique Delport dans un jardin de Tessy-Bocage (Manche). Avec un background industriel et d’architecte, Dominique est l’incombustible artisan de maintes initiatives en milieu rural. @ www.actu.fr, 30/06/2015.

Mais baste ! Aujourd’hui, il nous parlera de ce qu’il fait pour changer son mode de vie avec son long cheminement vers l’autonomie énergétique totale, une quête qu’il partage avec sa compagne de longue date, Jocelyne Richard.

Je vis et réside dans la petite bourgade de Tessy-Bocage dans le Cotentin et, au moment où je commence à rédiger ce petit mémo, nous entamons la troisième semaine du confinement de 2020, à cause d’une pandémie dévastatrice démarrée quelques mois plus tôt quelque part sur la planète.

Vu du ciel, le village principal de Tessy-sur-Vire de la commune de Tessy-Bocage dans le département de la Manche, au sud de Saint-Lô. Tessy-Bocage est une toute nouvelle commune née, en 2016, de la fusion de deux puis, en 2018, de trois entités. Sa population totale dépasse 2 300 habitants. © CC Wikipedia.

Voici une anecdote qui pourrait inciter chacun d’entre nous à profiter du confinement pour pousser le plus loin possible des raisonnements ou des intuitions qui d’habitude ne durent qu’un déjeuner de soleil ou que les premières secondes d’une sieste bien méritée :  « En janvier 1665, Isaac Newton obtient le titre anglais de bachelier ès arts et sciences [BA] et envisage de préparer la maîtrise. Cette année-là, l’Angleterre est frappée par une épidémie de peste noire [the Great Plague ou Grande peste de Londres], si bien que l’université de Cambridge ferme ses portes à l’été 1665 et renvoie les étudiants chez eux.

La Grande peste de Londres de 1665. Une terrible et véritable peste bubonique qui fit 75 000 morts, soit environ 20 % de la population de la capitale. Les hommes ont des pipes à tabac dont la fumée était sensée faire fuir la peste ou plus exactement  ses miasmes fétides et mortels. @ CC Wikipedia.

Newton part pour Woolsthorpe-by-Costerworth [un hameau, 100 km au nord de Cambridge, où résidait sa famille dont sa mère], c’est là-bas qu’il progresse fortement en mathématiques, physique et surtout optique. Lorsqu’il en revient [en 1666], il va révolutionner la science de l’époque » d’après Wikipédia. Belle émulation, non ? En tout cas, moi cela me motive dur !
Au temps du coronavirus par un concours de circonstance, ma compagne Jocelyne [Richard] et moi, nous venons in extremis de terminer les travaux de restructuration de notre maison après environ 14 mois de travaux tous corps d’état.

De gauche à droite, Jocelyne Richard, architecte, Didier Lepage et Jean Haupais, adjoints, Laurent Godard, maçon, et Michel de Beaucoudrey, maire, lors d’une réunion de travail en 2016 pour créer deux logements dans le presbytère vacant de la commune de Beaucoudrey (135 âmes). © Eliane Ruel-Richard pour La Manche Libre.

C’est donc dans une maison refaite à neuf que nous avons débuté notre confinement avec notre fils cadet Thomas et la maman fort âgée de Jocelyne, Agnès momentanément déracinée de sa Touraine et replantée en Normandie pour éventuellement l’assister.

La famille Delport, Jocelyne et Dominique, entre sa maison de village fraîchement rénovée de fond en comble donc restructurée, selon les critères écologiques, et ses véhicules : un VE (Renault Zoé de 42 kWh qui assure 95 % de ses déplacements soit 60 000 km en 2 ans) ; et un autre au GPL (dit « propre » : gaz butane et propane dérivés du raffinage du pétrole et du traitement du gaz naturel). Tessy-sur-Vire, commune de Tessy-Bocage (Manche). © F. Delport.

Ce projet de restructuration, nous y tenions énormément car notre absolue certitude est qu’il faut cesser de grignoter la campagne pour étendre sans discernement les lotissements villageois au lieu de rénover les centres des bourgs, les “ cœurs de villes ”, qui partent en lambeaux et se désertifient à vue d’œil. Jocelyne, ma compagne architecte à la retraite, milite pour cette cause, notamment au sein du Conseil municipal de Tessy-Bocage, mais les idées reçues ont la vie dure.

Tessy-sur-Vire, le village principal de la nouvelle commune de Tessy-Bocage (plus de 2 300 habitants). Place du marché au centre de l’agglomération. © CC Wikipedia.

Il nous fallait donc être démonstratifs, voire exemplaires, pour ce qui concerne le parti architectural et son expression visible au centre même du village, mais également pour la partie technique. Le but était, là aussi, de montrer qu’une autonomie énergétique quasi totale était parfaitement envisageable même en Normandie et dans la Manche, un département fort nucléarisé c’est-à-dire avec une production d’électricité très centralisée.
Cette profession de foi prend ses origines il y a environ  45 ans. Depuis cette époque, de concours de circonstance en rebondissement successifs, il nous a fallu beaucoup de temps pour que nous puissions mettre en accord nos convictions et nos réalisations et actions mais je crois que ça en valait la peine ! Octobre 1974. Je sors tout juste de 12 mois de service militaire pour intégrer l’Ecole d’architecture de mon choix, UP-VII ou UP-7 [devenue ensuite l’Ecole d’Architecture de Paris-Tolbiac jusqu’à sa fermeture en 1998], installée alors sous la voûte vitrée de l’aile sud du Grand Palais, cours La Reine, à Paris. En fait l’UP-7 était accueillie alors par les Beaux-Arts de Paris (ENSBA) et donc par une institution et dans des locaux de grand prestige.

Le Grand Palais (des Beaux-Arts) de Paris, bâti pour l’Exposition universelle de 1900 , vu du ciel. Situé à droite de la grue jaune, son aile Sud bien visible (surmontée d’un toit bleu et dominant la Seine) abritait, dans les années 1970, l’UP-7 soit une partie des étudiants, professeurs, techniciens et administratifs de l’Ecole d’Architecture de Paris. En face du Grand Palais, vers la droite, le Petit Palais. © CC Wikipedia.

Un an plus tard en 1975, je rencontre Jocelyne et, depuis cette période, nous ne nous sommes plus jamais quittés.
L’Unité Pédagogique n°7 est réputée alors pour sa formation très technique, moins « artistique » que les autres unités. Elle avait été créée dans le bouillonnement post-1968 dans le cadre de la loi Edgar Faure. Physique statique, résistance et comportement à la chaleur des matériaux, informatique, législation, voirie et réseaux divers. Peu de matières reliées directement à l’acte de bâtir nous sont épargnées. D’autant plus que, saine émulation, au début de 1976 de jeunes ingénieurs fraîchement diplômés de l’Ecole Centrale avec option architecture débarquent, équivalence oblige, directement dans l’atelier où nous travaillions au début de notre 3ème année.

Les ateliers du Grand Palais des Beaux-Arts de Paris, vers 1973. Témoignages fugitifs d’une époque libertaire. Coll. part. in Amandine Diener (2018).

Par conséquent, nous sommes donc tous contraints, étudiants et professeurs, de nous hisser à leur niveau en ce qui concerne l’approche scientifique du métier. A eux, le défi de nous rejoindre en ce qui concerne la créativité. Ce sera chose faite environ 4 ans plus tard. De plus, au fur et à mesure, ces centraliens sont devenus des amis et ils nous ont fait connaître pléthores d’autres ingénieurs de notre âge et de toutes écoles de haut niveau (Ecole Normale Supérieure physique et mathématique, Polytechnique, Mines & Ponts, Télécom, etc.) dont certains travaillaient déjà dans le domaine de l’énergie solaire et avaient démarré l’équivalent des start-up actuelles.
Parmi les cours techniques que nous suivons avec assiduité, il en est un qui sort du lot de façon incontestable. Je ne me rappelle plus exactement de son intitulé mais parfaitement de son instigateur Juan Diaz et de son contenu. A cette époque pré-Internet, pré-ordinateur personnel, pré-CAO, pré-téléphone portable, pré- everything, cet homme nous a ouvert les yeux sur l’immense domaine des énergies renouvelables et du rôle de l’habitat dans l’environnement. Tout y est passé : panneaux photovoltaïques, murs Trombe, effet de serre, éoliennes, hydroliennes, pompes à chaleur, planchers chauffants, énergie solaire, énergie hydraulique, hydro-électricité au fil de l’eau, bélier hydraulique, pompage-turbinage, de l’influence de l’inertie thermique sur l’impression ressentie de confort, du rayonnement, de la convection et de la conduction sur ce même ressenti, de la néfaste influence du point de rosée, du comportement des matériaux de construction qu’ils soient porteurs, couvrants ou isolants, etc. Pendant nos 3ème et 4ème années, nous progressons à pas de géant dans tous ces domaines. Nous allons même, sur nos temps de vacances, visiter le four solaire d’Odeillo (Pyrénées-Orientales) où plusieurs ingénieurs de nos amis, mènent des recherches sur la conversion de l’énergie solaire en chaleur.

Grand four solaire d’Odeillo à Font Romeu, Cerdagne française, Pyrénées-Orientales. Laboratoire CNRS PROMES, UPR 8521. © CC Wikipedia.

Toujours dans ce département qui correspond à la Cerdagne française et fait partie de la Catalogne de chez nous, nous visiterons la centrale solaire Thémis de Targassonne, alors en cours d’achèvement. Tout va bien pour nous jusqu’au moment où nous effectuons notre 5ème année pendant laquelle notre chef d’atelier sera Jean Willerval, un architecte dont les motivations sont très éloignées de nos propres convictions mais il faut faire avec. Ce dernier nous tient régulièrement au courant d’une partie de ses grands projets : le design des tours d’évaporation des centrales nucléaires – alors en gestation – et leur intégration (?) dans les différents paysages de la campagne française ; et celui de la couverture des Halles, initialement attribué à l’architecte catalan Ricardo Bofill.
Cette même 5ème année en 1980, notre mentor Juan Diaz nous assène brutalement, toutes promotions confondues dans l’amphithéâtre de l’Ecole d’Architecture, une terrible vérité. L’ensemble des cours qu’il nous avait enseigné depuis plusieurs années était bon pour la poubelle ! Ce professeur avait parfaitement anticipé la conséquence de la réalisation de la bonne cinquantaine de réacteurs nucléaires : le gaspillage de l’énergie causée par une relance sans équivalent du chauffage électrique à tout crin, par convection par-dessus le marché, sans pour autant limiter les déperditions. Il nous a prédit tout cela parce qu’il savait que l’Etat, prêt à fermer Les Charbonnages de France (faute de gisements nationaux exploitables à faible prix) et après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, allait tout faire pour forcer à surconsommer l’énergie électrique et ainsi justifier et financer son déploiement nucléaire. Et c’est ce qui s’est passé en fin de compte.  Ainsi la centrale solaire de Targassonne, couplée au réseau en 1983, cessa son activité dès 1986, sans avoir essaimé.

Centrale solaire Themis raccordée au réseau électrique en 1983 et débranchée en 1986 ; le coût du kWh produit avait été jugé trop élevé en son temps. Photographie d’époque. © Solarpedia.net

D’un coup en 1980, nos convictions d’étudiants se sont évaporées et nous étions bien forcés de passer à autre chose. L’ère du tout nucléaire venait de commencer et… depuis 40 années se sont écoulées. Avec Jocelyne, nous avons été, tous deux, diplômés architectes DPLG. Elle a finalement exercé le métier alors que j’ai bifurqué vers celui de l’informatique puis des réseaux hertziens et nous voici à présent de jeunes retraités définitivement implantés dans le Cotentin. Cependant, quatre événements, survenus il y a peu à l’aune d’une vie, sont venus nous remettre sur ce que certains appelleraient « le droit chemin ». A suivre…

Grand Palais des Beaux Arts de Paris. Détail : rosace de la verrière achevée en 1900 pour l’Exposition Universelle. CC Wiki.

La photographie en avant est celle de la nuit étoilée au travers de la verrière du Grand Palais des Beaux Arts de Paris. La verrière de 17 500 m2 est la plus grande d’Europe. Dans la seconde moitié des années 1970, c’est au Grand Palais que Dominique Delport et Jocelyne Richard firent leurs études d’architecture durant lesquelles ils se connurent. « Cinq ans là dedans, ça ne peut que marquer, non ? » m’a confié Dominique. © Le Grand Palais – Exposition : Les salons de Treca, 12/07/2019.

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