El Hierro : 56 % d’EnR en 2018 dans le mix énergétique de l’île

Sur l’île d’El Hierro aux Canaries la montée en puissance des énergies renouvelables (EnR) dans le mix ou encore le bouquet énergétique, limité à l’électricité,  se voit aisément dans les pourcentages suivants :

– année 2018, EnR 56,4 % versus énergie fossile (fioul) 43,6 % ;
– année 2017, EnR 45,3 % versus énergie fossile 54,7 % ;
– année 2016, EnR 40 % versus énergie fossile 60 % ;
– année 2015, EnR 30 % versus énergie fossile 70 %.

En chiffres, cela donne en 2018, pour les EnR (produites uniquement par la centrale hydro-éolienne locale), 23 656 MWh soit 17 % de plus qu’en 2017 et, pour les énergies fossiles (ici, le fioul lourd qui est visqueux, chargé en soufre et connu pour dégager, lors de sa combustion, beaucoup de CO2 et des gaz toxiques), 18 268 MWh soit une baisse de 21,9  %, toujours par rapport à 2017.

La photographie a été prise lors de la fin de la construction de la centrale hydraulique en 2013. On voit bien, au dessus de celle-ci et à gauche, les deux longs tubes verts : l’un celui de la conduite forcée, issu du bassin supérieur (invisible car situé 650 m plus haut), et l’autre utilisé pour le pompage de l’eau du bassin inférieur, ici encore vide. Gorona del Viento, El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.

Attention ! La centrale hydro-éolienne d’El Hierro qui est terrestre n’a  rien à voir, à part son nom qui en est proche, avec l’hydrolienne du type Naval Energies qui devait être immergée dans l’océan.

Schéma de la station hydro-éolienne d’El Hierro. © http://gomollon.com.
Le schéma est très pédagogique mais il y a une simplification de la double conduite forcée qui ferme le circuit d’eau en unissant le réservoir du haut à celui du bas tout en donnant son énergie à la centrale hydroélectrique (voir photo précédente). L’eau de mer préalablement dessalée ne sert que ponctuellement pour compenser les pertes dues pour l’essentiel à l’évaporation mais la centrale peut aussi utiliser de l’eau douce souterraine du volcan. La plus proche usine de dessalement est située à plusieurs kilomètres (photographie suivante).
Détail de l’usine de dessalement de Valverde : tubes pour l’osmose inverse. C’est l’usine la plus proche de la centrale hydro-éolienne qui, bien que fonctionnant en circuit fermé, a besoin ponctuellement d’eau douce supplémentaire. Zone de l’aéroport de Valverde, El Hierro, Canaries.  © A. Gioda, IRD.

Dans le détail et toujours à l’échelle insulaire, le nombre d’heures consécutives à 100 % EnR croît régulièrement sur El Hierro, au fil des ans, montrant deux choses : la meilleure maîtrise de la machine complexe qu’est la nouvelle et originale centrale hydro-éolienne qui permet de stocker de l’énergie électrique grâce au pompage-turbinage de l’eau de ses deux bassins ; et la confiance, de plus en plus grande au fil du temps, que lui accorde le REE (le gestionnaire du transport de l’électricité en Espagne).

Salle des pompes qui remontent l’eau jusqu’au réservoir supérieur (soit 650 mètres plus haut) en utilisant uniquement le surplus de l’énergie éolienne. Station de pompage à l’aval du réservoir inférieur, centrale hydro-éolienne, El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.

Le Réseau Electrique Espagnol (REE) joue le rôle du RTE (le Réseau de Transport d’Electricité) en France mais c’est, chez nos Amis espagnols, une entreprise privée (complétement distincte de Gorona del Viento et des autres producteurs d’électricité, telle la compagnie Endesa). Le REE veille, à partir de Madrid, à la bonne qualité du service électrique sur tout le territoire espagnol (dont les îles et les deux villes implantées au Maroc) et à sa fiabilité. Par conséquent, le REE a tendance à brider les initiatives locales des ingénieurs et techniciens pour assurer d’abord la sécurité de l’approvisionnement en donnant, au préalable, des indications sur les mix énergétiques souhaitables.

– En 2014, soit à partir de juin quand fut inaugurée la centrale hydro-éolienne, les EnR ne fournirent jamais 100 % du mix.
– En 2015, pendant 2 heures et 1 minute, les EnR assurèrent 100 % de la production insulaire.
– En 2016,  durant 521 heures et 19 minutes, il en fut de même.
– En 2017, pendant 808 heures et 20 minutes, idem.
En 2018, les 100 % d’EnR, à l’échelle de toute l’île d’El Hierro, furent atteints durant 2 483 heures et 34 minutes.
Les deux plus longues périodes de fonctionnement sans interruption avec 100 % EnR furent  les suivantes : du 25/01/2018 au 12/02/2018 = 18 jours et 2 minutes ; et du 15/07/2018 au 2/08/2018 = 18 jours, 9 heures et 3 minutes.

L’ancienne centrale au fioul de Llanos Blancos, toujours en fonction mais de plus en plus secondaire, à quelques centaines de mètres de la nouvelle usine hydraulique. Notez qu’elle est peinte largement en vert et presque cachée par de beaux palmiers des Canaries (Phoenix canariensis). Oui, ceux que l’on retrouve sur la Promenade des Anglais à Nice et ils sont connus pour leur résistance à la pollution atmosphérique ! Plus sérieusement, le concepteur de la nouvelle centrale hydro-éolienne Tomás Padrón fut auparavant son directeur. El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.
L’ensemble des chiffres de 2018 m’a été communiqué, à titre gracieux, par Tomás Padrón, le père de la centrale et maintenant en retrait, mais ils n’ont rien d’officiels. Ce dernier suit la centrale, jour après jour, un peu comme son enfant. Ont conservé aussi des liens quasi filiaux avec elle, deux autres fils d’El Hierro, Juan Manuel Quintero (interview en espagnol), maintenant travaillant à Tenerife, et Juan Pedro Sánchez, lui toujours en force dans Gorona del Viento (interview aussi en espagnol). La centrale hydro-éolienne d’El Hierro est un projet et une réalisation, à l’échelle locale, typiquement bottom-up, qui a un impact mondial ; elle est devenue un exemple d’économie circulaire avec de larges retombées économiques sur l’île sachant que les 2/3 de ses bénéfices restent sur El Hierro. En effet, l’administration insulaire possède 66 %  des actions de la société Gorona del Viento, propriétaire de la centrale hydro-éolienne.

Toutefois, je ne voudrais pas que le lecteur pense que tout file sans anicroche sur El Hierro.  Si la demande électrique totale de l’île a atteint environ 41 900 MWh ou encore 41,9 GWh dont 56 % EnR en 2018, cette puissance est en baisse néanmoins de 3,9 %  par rapport à celle de l’année 2017. C’est la plus forte décroissance sur l’archipel des Canaries avec celle de la Gomera, l’autre petite île. Selon mon hypothèse comme il est sous-entendu, cette forte diminution est à mettre en rapport avec la petitesse des îles qui ne réussissent pas à retenir leur population, avec un exode surtout les jeunes pour aller à l’université ou ailleurs. Ce problème est exacerbé sur El Hierro qui est la terre la plus lointaine donc la plus isolée de l’archipel des Canaries. En outre localement, la crise qui continue à sévir en Espagne depuis 2007, a favorisé involontairement ou volontairement les économies des gens et donc elle les a obligés à limiter leur consommation électrique. Nous sommes bien au-delà de concepts pouvant paraître alors creux telles l’autonomie ou de l’indépendance énergétiques. Bref, à mon sens, la centrale hydro-éolienne d’El Hierro tourne rond, bien qu’elle puisse être encore complétée,  et de nombreuses initiatives locales vont dans la direction du développement durable. Toutefois l’exode reste un point noir pour les localités très isolées, telles celles qu’abritent El Hierro.

Le bassin supérieur de la centrale hydro-éolienne d’El Hierro en décembre 2014. Situé à 700 m, il permet une chute d’eau d’environ 650 m jusqu’au bassin inférieur qui active le turbinage afin de produire de l’énergie électrique (photographie suivante). L’originalité est dans son remplissage qui fait appel uniquement à un pompage par un surplus d’énergie éolienne. En contrebas dans le lointain, les 5 éoliennes du parc. El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.
Une des quatre turbines de la salle des machines de la centrale hydraulique de Gorona del Viento. Du réservoir supérieur, l’eau arrive (à gauche de la photo) par la conduite, de couleur brune, pour s’écouler dans la turbine hydraulique – verticale dans son carénage bleu et de type Pelton (à droite de la photo) – qui entraine l’alternateur produisant de l’électricité (en rouge, au second plan). Avril 2016, Club Jeunes, IRD. El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.

Maintenant que les crédits contractés pour la construction de la centrale hydro-éolienne ont été remboursés en 4 ans, les quelque 10 millions d’euros annuels générés, par le rachat des EnR, puis injectés dans l’économie locale pourront-ils  inverser cette tendance ?

Vue partielle du parc de cinq éoliennes de la société Gorona del Viento. Hauteurs de Valverde, El Hierro, Canaries. Cliché : A. Pavageau, ENSAM/Club Jeunes IRD 2016.

 

4 réflexions sur “ El Hierro : 56 % d’EnR en 2018 dans le mix énergétique de l’île ”

  1. Une erreur dans la proportion des ENR en 2018 : le titre de l’article annonce 58 % d’ENR en 2018 alors que la suite de l’article précise que 100 % d’ENR ont été produits durant 2483 heures sur l’année qui en compte 8760 soit une production ENR de 26% et non 56%

    1. Bonjour, Cher Monsieur.
      Je ne pense pas qu’il y ait une erreur. Il me semble que c’est clair : 56 % d’EnR en 2018 dans le mix ou le bouquet énergétique dont la proportion a pu varier de 0 à 100 % toute l’année 2018. C’est pendant 2 483 heures que les 100 % d’EnR ont été atteints.
      Attention! En amont, c’est le REE (Réseau électrique espagnol) équivalent français du RTE – mais totalement privé et coté en bourse – qui donne le la afin de garantir les obligations de service d’une bonne distribution d’électricité et d’un courant de qualité. Faire tourner la centrale au fioul permet aussi de soulager le personnel (de la même compagnie Endesa), plus habitué son fonctionnement et qui y reste attachée. El Hierro est réellement en transition énergétique.
      https://demanda.ree.es/visiona/canarias/el_hierro/total

      Tourner à 100 % EnR, pendant toute l’année, est un objectif ambitieux mais c’est en mettant haut la barre que les îliens ont bâti leur centrale hydro-éolienne. Maintenant, comme toute œuvre humaine, le travail sur El Hierro reste améliorable. Il y aura toujours des pannes de vent (surtout en hiver car les alizés des Canaries ne sont pas les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants de la Patagonie argentine). Par conséquent, il faudra passer par un barrage inférieur plus grand, des champs solaires, un captage géothermique… En pratique, rien n’interdit de conserver un peu de fioul dans le mix car les techniciens cherchent la simplicité plutôt qu’une hypothétique pureté.

  2. Merci beaucoup pour votre éclairage en particulier sur le risque d exode et sur les axes d amélioration techniques.
    El Hierro est déjà je l’espère une expérience généralisée à plus grande échelle. Nous irons nous baigner dans ses piscines naturelles en vacances pour notre plaisir et pour la “sponsoriser” à notre petit niveau. Y vivre paraît assez compliqué pour les jeunes mais les ingénieurs, paysans, touristes pourraient ensemble s y retrouver.

    1. Chère Madame,
      Oui, l’île d’El Hierro aux Canaries mène une belle expérience même si tout n’est pas parfait ; c’est une réalisation humaine faite dans un pays démocratique où le débat est toujours vif et non pas une utopie telle que l’entendent les purs penseurs. Le plus simple est bien sûr de s’y rendre afin d’en voir les ombres et lumières. Hors le prix du billet pour les non-résidents aux Canaries qui est assez cher en bateau ou avion à partir de Tenerife, le reste est de l’écologie qui respecte les 2B espagnols : bello, bonito y barato que l’on peut traduire par une écologie belle, bonne (pour les habitants et la planète) et bon marché. Cette dernière qualité est essentielle car les gens ne sont pas bien riches sur l’île.
      Bonne année à vos proche et à vous-même

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