De l’île d’El Hierro, je ne vous ai pas parlé pendant des mois, depuis février 2020, dans ce blog ; la grande presse s’en est chargée presque quotidiennement. Pourquoi ? Parce que, avec deux autres îles des Canaries Graciosa et La Gomera, El Hierro a pratiquement échappé à la pandémie de Covid-19 ou coronavirus. Par conséquent, El Hierro a été toujours dans le wagon de tête du déconfinement en Espagne qui a connu 4 phases.
Ces trois îles partagent bien des caractéristiques : elles sont toutes petites, peu peuplées et plus isolées encore soit géographiquement soit du fait des connexions très moyennes avec les grandes îles de l’archipel espagnol que sont Tenerife et Grande Canarie.
Ces trois îles, outre celle de Formentera aussi la plus petite et la moins peuplée (83 km2 et 12 000 résidents) de l’archipel des Baléares, ont été les premières terres espagnoles à sortir de la quarantaine. L’Espagne avait été divisée en 4 zones géographiques distinctes, selon l’ampleur de la pandémie du coronavirus. Ce petit bloc de seulement 4 îles (pour environ 40 000 résidents au total) fut le moins touché par la pandémie, Graciosa étant même indemne : il faut dire qu’elle ne compte que 700 habitants sur 29 km2. De nos jours, El Hierro (5 à 6 000 habitants permanents sur 270 km2) n’a connu que 4 cas et heureusement aucun décès (par exemple, les données du 6 avril parlent de 3 cas de personnes positives, lors du test du coronavirus, et la première ne fut diagnostiquée que le 20 mars). Certes, sur l’île de La Gomera (370 km2 et 22 000 habitants), il avait été enregistré le premier cas positif de toute l’Espagne (dès le 31 janvier sur un touriste), mais les personnes atteintes n’ont été finalement que 10 (avec aucun cas dépisté depuis le 29 mars), les malades hospitalisés durablement ne furent que 3, et aucun décès n’a été rapporté.
Le calendrier espagnol du déconfinement comportait aussi 4 phases décidées le 28 avril au plus haut niveau gouvernemental. Le 11 mai ce fut la date de la première phase au plan national, celle de la réouverture progressive des activités, mais, dès le 4 mai, il était possible en théorie de se rendre sur les îles canariennes d’El Hierro, La Gomera et Graciosa comme sur celle de Formentera aux Baléares.
Hormis la connexion El Hierro-La Gomera car les deux îles sont assez voisines – mais cela n’était envisageable que pour un plaisancier -, la plupart des liaisons commerciales furent interrompues car elles se faisaient à partir des autres îles de l’archipel (surtout Tenerife et Grande Canarie) dont le calendrier de fin de quarantaine était lui décalé d’une semaine supplémentaire soit le 11 mai.
« A partir du 4 mai [sur 4 îles dont El Hierro et seulement sur celles-ci dans tout le territoire espagnol], il sera permis l’ouverture de locaux avec des activités individuelles après la prise d’un rendez-vous (cela touche les dentistes et les kinésithérapeutes) et l’entrainement individuel des sportifs de haut niveau dont les professionnels. [Il en sera de même pour] les petits commerces, les terrasses des bars et restaurants (limitées à 30 % de leur capacité), les hôtels et les gîtes ruraux qui seront ouverts mais en interdisant l’accès aux espaces communs. Un horaire préférentiel des activités extérieures pour les personnes âgées sera conseillé du fait de leur plus grande vulnérabilité [face au Covid-19] . Enfin, les activités de la pêche et de l’agroalimentaire redémarreront, avec quelques restrictions, et les lieux de cultes seront ouverts de nouveau, toutefois avec une assistance limitée ». D’après http://www.medicosypacientes.com/articulo/la-desescalada-tendra-cuatro-fases-arranca-el-4-de-mayo-y-durara-ocho-semanas-hasta-finales
Dans la nuit du 20 au 21 juin à partir de minuit, l’Espagne a autorisé la reprise du rythme normal des activités, en passant sur tout son territoire en phase 4, mais tout le système éducatif ne reprendra qu’en septembre. Le bilan provisoire de la pandémie en Espagne est de 28 327 décès le 25 juin, selon l’Université Johns Hopkins (la référence pour le suivi du coronavirus) tandis que 247 086 cas de positivité y ont été confirmés et 150 376 personnes y ont été hospitalisées à ce jour. Bref, un cadre désolant, en particulier dans les agglomérations des plus grandes villes Madrid et Barcelone. Aussi je ne vais pas me réjouir de bons résultats obtenus par les endroits insulaires les plus isolés, les plus petits et les moins peuplés d’Espagne et vraisemblablement aussi parmi les moins pollués car engagés depuis longtemps dans la démarche du développement durable. Toutefois, je soulignerais seulement que « Small is beautiful », telle l’organisation de la Suisse à l’échelle des cantons, selon Leopold Kohr soit une formule reprise par Ernst F. Schumacher dans son livre homonyme.
Bien sûr, tout n’est pas si simple pour une petite île. Ainsi l’hôpital d’El Hierro est toujours en équilibre instable, avec une équipe médicale difficile à fidéliser du fait de l’isolement insulaire, sans compter les restrictions budgétaires qui affectent toujours son fonctionnement, comme tout petit établissement public. Enfin et afin de prendre un peu de hauteur, citons Anne-Marie Moulin, une ancienne Collègue de l’IRD médecin, historienne des sciences et philosophe, dans sa tribune de Libération du 17 mars : tous oublient l’avertissement, lancé par le poète John Donne, dans sa Méditation XVII, qui sera repris et adapté par Hemingway, « Aucun homme n’est une île, c’est pourquoi ne demande pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi ».
En élargissant le thème nous pourrions espérer que la crise sanitaire actuelle puisse nous servir d’avertissement à propos de la gravité de la crise climatique et nous fasse réagir. Toutefois, à l’instar de Jean-Luc Porquet le journaliste du Canard Enchaîné, je crains que nous ne prenions les mesures qu’une fois cette dernière déclenchée avec des impacts forts devant notre porte et des dégâts à réparer de façon urgente dans notre maison (numéro du 24 juin). Pour l’instant malgré des impacts sur le milieu catastrophiques, les conséquences de la crise climatique restent trop loin de nos yeux et de nos oreilles. Ainsi le cadre est tout à fait alarmant mais en Sibérie orientale, au-delà du Cercle Polaire : une température maximale de + 38 °C enregistrée le samedi 20 juin 2020 à Verkhoyansk !
Pourtant traditionnellement, Verkhoyansk (1 300 habitants par 67° 33′ 0″ N, 133° 23′ 0″ E) est célèbre en climatologie pour être l’un des lieux habités les plus froids du Monde dans un territoire, la Yakoutie, aussi funestement connu pour le gel terrifiant de ses camps du Goulag des mines d’or de la Kolyma (seulement 15 minutes à l’extérieur, lors des grandes froidures, conduisaient à la mort même les plus robustes). Le thermomètre dans l’ancienne petite cité sibérienne de Verkhoyansk, fondée au XVIIe siècle, a atteint une température minimale absolue de −67,6 °C le 15 janvier 1885, selon le Service météorologique russe. D’après d’autres sources, on parle même de −69,8 °C, un record atteint en février 1892.
La zone voisine riveraine du fleuve Indigirka dont la ville d’Ust-Nera, créée en 1937 par et pour les prisonniers des Grandes Purges staliniennes, était appelée « le Goulag à l’intérieur du Goulag ». Dans le village de 500 âmes d’Oymyakon ou Oïmiakon, la température-record du froid de l’Hémisphère Nord, pour un lieu habité, aurait été atteinte avec −71,2 °C le 26 janvier 1926 (donnée extrapolée) mais il a été homologué par la météorologie le record de la température la plus basse de Russie et d’Asie : −67,8 °C le 6 février 1933.
Toutefois, la petite cité de Verkhoyansk est connue aussi pour détenir le record mondial de l’amplitude thermique avec 106 °C, l’écart entre les −67,8 °C hivernaux (15 janvier 1885) et les tout récents +38 °C estivaux (20 juin 2020). La climatologue Valérie Masson-Delmotte rappelle que « l’Arctique se réchauffe […] deux à trois fois plus vite que le reste de la planète ». Un phénomène dû à « un ensemble de mécanismes amplificateurs », comme la réduction de l’albédo – le pouvoir réfléchissant d’une surface – due à la perte de la glace de mer et de la couverture neigeuse. En Yakoutie, une bonne partie de la Sibérie car elle couvre plus de 3 millions de kilomètres-carrés, le réchauffement climatique provoque la fonte de sols jusqu’alors constamment gelés (le permafrost ou pergélisol). D’après Wikipedia, des milliers d’habitations menacent de chavirer dans la boue en été et les villages du nord sont submergés par des inondations (car tous les grands fleuves dont la Léna et la Kolyma grossissent dans cette direction, avant de se jeter dans la Mer de Laptev ou la Mer de Sibérie Orientale). Proie déjà de nombreux incendies, la Sibérie a enregistré, déjà en mai 2020, des températures supérieures de 18 °C à celles observées en moyenne pour ce mois (début ici des observations globales en 1979 par le Copernicus Climate Change Service).
La plupart de nos citoyens et dirigeants notent seulement (et donc ils ne contestent pas le fait) que le mois de mai 2020 a été le plus chaud sur la planète depuis le début des observations météorologiques soit la seconde moitié du XIXe siècle. Dans un petit coin de leur esprit avant de le ranger dans le rayon des souvenirs, ils ont noté également que l’Union Européenne c’est-à-dire les pays qui la composent pourrait faire mieux pour le développement durable et la lutte contre le réchauffement climatique.
Au sujet des leçons de la pandémie du Covid-19 (lire les conseils de lecture issus de ce blog pointu) nous pourrions être, au-delà de l’activisme, aussi pessimiste. Néanmoins les habitants de l’Asie du Sud-Est où les individus portent ou acceptent traditionnellement des masques, évitent de se toucher y compris lors des salutations, etc., pourraient avoir acquis – au fil du temps long et au contact des maladies transmissibles par l’homme qui sont plus fréquentes dans la partie du Monde la plus densément peuplée – des réflexes de distanciation car ces derniers sont largement répandus dans les collectivités y compris rurales.
P.-S. : malheureusement, la station touristique estivale 2020 est passée par là et, El Hierro avec près de 40 cas positifs recensés lors des tests du coronavirus fin août-début septembre, l’île a dû se fermer ou presque. Cela concerne surtout les plages et les rares établissements proches.
La photographie mise en avant est celle de la façade de l’hôpital d’El Hierro à Valverde qui date de 2003. Ile d’El Hierro, Canaries, Espagne. © http://www.gacetadelmeridiano.com, 15/03/2020.