Le mystère du méthane sur Mars

méthane couverture
La sonde Curiosity et son analyseur SAM ont découvert des bouffées de méthane sur Mars

Le rover Curiosity, qui analyse sur son chemin l’atmosphère martienne grâce à sa suite d’instruments embarqués, a détecté d’infimes traces de méthane dans le cratère Gale, selon un rapport publié le 18 décembre par l’équipe en charge dans la revue Science. Alors que le niveau de base du méthane est minime (environ une part par milliard, soit 0,0000001 %), un taux dix fois plus important a été mesuré sur un intervalle de deux mois, comme si une bouffée avait été relâchée quelque part sur la planète Mars. Elle interpelle les chercheurs, puisqu’une activité biologique n’est pas exclue pour l’expliquer, faisant resurgir le spectre de la vie sur Mars.

La vie sur Mars, primitive et discrète si elle existe, pourrait être trahie par ses échanges gazeux avec l’atmosphère martienne. À ce titre, les chercheurs accordent beaucoup d’importance à la détection du gaz méthane (CH4) qui est bien connu sur Terre pour provenir entre autres du métabolisme de certaines bactéries, et qui a la particularité d’être très instable : une fois émis, il est rapidement attaqué et dissocié par le rayonnement solaire et d’autres gaz comme l’oxygène, de sorte qu’il diminue de moitié sur Mars tous les 300 ans (sa « demi-vie » chimique). S’il est présent aujourd’hui en quantités discernables, c’est qu’il a été émis récemment par « quelque chose ».

C'est dans la région de Dingo Gap, en décembre 2013 et janvier 2014, que Curiosity a détecté le passage d'une bouffée de méthane. (NASA)
C’est dans la région de Dingo Gap, en décembre 2013 et janvier 2014, que Curiosity a détecté le passage d’une bouffée de méthane. (NASA)

Pour ce qui est de ce « quelque chose », il y a plusieurs sources possibles de méthane : la vie évidemment (bactéries méthanogènes), mais aussi le volcanisme et sources hydrothermales associées ; ainsi que certaines réactions chimiques comme l’altération du basalte par de l’eau ; ou bien encore la fonte de glaces contenant du méthane (mais pour ce dernier cas, il faut expliquer d’où vient en premier lieu le méthane, donc on en revient aux explications précédentes). Le fait que le méthane apparaisse sur Mars « par bouffées » semble exclure une simple altération de la roche (car dans ce cas, pourquoi maintenant et pourquoi par bouffées ?). Les explications biologique et volcanique restent donc au premier plan. Mais voyons en détail les nouvelles données de Curiosity.
Le niveau de base de méthane sur Mars, relevé par l’instrument SAM (Sample Analysis at Mars) de Curiosity est près d’une part par milliard (exactement 0,69 ppb ±0,25 —ppb voulant dire part par milliard). C’est infime. Par comparaison, la concentration atmosphérique du méthane sur Terre est de 1800 ppb, soit plusieurs milliers de fois plus, ce que nous devons à notre biosphère et au volcanisme.

La sonde européenne Mars Express avait déjà détecté du méthane depuis orbite, épisodique et localisé (ESA)
La sonde européenne Mars Express avait déjà détecté du méthane depuis orbite, épisodique et localisé (ESA)

Mais le fait même que le méthane existe sur Mars demande donc une explication. D’autant que ce n’est pas la première fois qu’on l’y découvre, et il s’agit donc d’une confirmation. Les nombres ont d’ailleurs varié de par le passé et engendré de vives discussions. La première annonce est à créditer à la sonde orbitale européenne Mars Express et à son spectromètre français PFS, en mars 2004, à hauteur de 10 ppb en moyenne, mais avec des pointes plusieurs fois plus élevées (jusqu’à 45 ppb) et variables au cours du temps (notamment maximales en été dans l’Arctique martien). Les nombres sont controversés, car les données complètes de l’instrument sont difficiles à vérifier par des chercheurs indépendants. Mais la sonde américaine Mars Global Surveyor, avec son spectromètre TES, a également enregistré des nombres comparables : 5 à 60 ppb de méthane, fluctuant au cours du temps, notamment au-dessus des régions volcaniques de Tharsis et Elysium.
Des astronomes aussi ont cru détecter les raies spectrales du méthane dans l’atmosphère de Mars, observées au télescope depuis la Terre, résultats qu’ils ont publié également à partir de 2004. Le niveau de base se situe également autour de 10 ppb, avec les mêmes variations temporelles brusques (jusqu’à 45 ppb environ).
Ces résultats, concordants en apparence, posent deux problèmes. D’une part les chercheurs peinent à identifier le moyen d’éliminer très rapidement du méthane une fois qu’il est apparu dans l’atmosphère, élimination rapide que les instruments semblent indiquer. D’autre part les différentes mesures sont parfois contradictoires : sur le site Gale, vu depuis orbite, la sonde européenne Mars Express voit les concentrations de méthane grimper de 15 à 30 ppv en hiver, alors que la sonde américaine Mars Global Surveyor enregistre une tendance inverse : 30 ppv en automne chutant à 5 ppv en hiver. Qui a raison ? Ou ont-ils tort tous les deux ?

L'instrument français SAM de Curiosity, et son laser permettant de mieux détecter du méthane (ESA/Spaceflight)
L’instrument français SAM de Curiosity, et son laser permettant de mieux détecter du méthane (ESA/Spaceflight)

Les mesures au sol par la sonde Curiosity font donc office de juge de paix pour trancher la question, car son instrument est très sensible (le SAM utilise un laser pour exciter un échantillon de gaz martien recueilli, puis analyse la chambre vidée de son gaz comme contre-expérience). Sur la douzaine de mesures effectuées entre octobre 2012 et juillet 2014, si la plupart tournent autour de 0,5 à 1 ppb (d’où la moyenne de 0,69 ppb), quatre mesures successives entre le 29 novembre 2013 et le 28 janvier 2014 affichent entre 5,5 et 9,3 ppb (avec une marge d’erreur de ±2 ppb), série d’autant plus troublante que la concentration croit de la première à la quatrième mesure. Puis, comme par magie, lors de la mesure suivante le 17 mars 2014, le taux retombe à 0,5 ppb.

La douzaine de mesures de méthane effectuées par le SAM de Curiosity et ses quatre maxima groupées
La douzaine de mesures de méthane effectuées par le SAM de Curiosity et ses quatre maxima  de suite, relevés lors des sols 466, 474, 504 et 526 (jours martiens), entre fin novembre 2013 et fin janvier 2014.

Curiosity ne s’était déplacé que de quelques centaines de mètres entre les mesures durant ces deux mois et le vent aurait de toute façon uniformisé les concentrations d’un site à l’autre, donc ces variations ne semblent pas d’ordre local. Il s’agit apparemment d’une fluctuation temporelle du méthane : une « bouffée » surgie d’on ne sait où et transportée par le vent à travers le cratère Gale. Un petit impact dans le cratère est à exclure (par exemple sur un sol riche en méthane), car on n’en a pas observé ; un impact plus grand hors du cratère non plus. Qu’est-ce qui peut bien fabriquer épisodiquement du méthane sur Mars, par bouffées ? Les paris sont ouverts. Les deux réponses les plus simples—métabolisme d’êtres vivants ou volcanisme actif—sont toutes les deux fascinantes : ce serait un vrai cadeau de Noël. À moins qu’il s’agisse de tout autre chose…

crédit : winter-phantom
crédit : winter-phantom

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