El Hierro et France : la roue tournera en voiture électrique

Dans un cadre climatique marqué chez nous en Europe par la seconde vague de canicules mortifères de début août, après celle de juin, il ne faudrait pas oublier l’importance du fait suivant : à l’échelle de la planète, les étés sont de plus en plus chauds de façon indubitable en l’état des connaissances actuelles (en anglais). Le contexte peut se compléter par une analyse récente et assez désespérante des scientifiques qui devrait enterrer l’idée de contenir à +2°C en moyenne l’augmentation des températures terrestres enregistrées.  Un objectif qui subsiste encore dans toute COP (Conference of the Parties ou, en français, Conférence des Etats). Il n’y aurait plus seulement 5% de chances de respecter ce seuil de +2°C sur la Terre au-dessus de la température moyenne de la planète au début de la révolution industrielle. Cette dernière a été fixée à 1880 par commodité car elle est aussi l’année correspondant au début des observations météorologiques fiables à l’échelle du globe.
Agir afin d’abaisser l’émission des gaz à effets de serre devient crucial dans beaucoup de directions. Alain Grandjean, président du groupe de réflexion de la FNH (Fondation pour la Nature et l’Homme, l’ancienne Fondation Nicolas Hulot), écrit ces jours-ci au sujet de la mobilité en France :

« Notons tout d’abord que la question de la voiture individuelle est bien l’un des sujets clefs en matière climatique. Le transport en 2015 c’est 29 % des émissions de gaz à effet de serre de la France… ».

Dans ce contexte mais à une échelle locale, j’ai reçu la demande suivante d’Hélène Bienvenu, journaliste pigiste française mais basée à Budapest, à laquelle j’ai répondu ainsi.

Sur El Hierro, « je me demandais où en est notamment le programme d’électrification du parc automobile insulaire. Si je comprends bien, les stations de recharge (7) sont en cours d’installation ? Est-ce que vous pensez que la solution est vraiment porteuse ? ».

Sur le papier, c’est très bien sur El Hierro et vous liriez aussi l’analyse d’Alain Grandjean au sujet de la situation actuelle de la mobilité électrique en France. L’île d’El Hierro est petite (moins de 300 km2), très isolée (d’où les véhicules restent sur place en général) et très montagneuse (les voitures électriques sont très nerveuses et elles donnent du plaisir). Enfin, les déplacements y sont nombreux et courts. Maintenant acheter un véhicule électrique est un choix personnel ou dit autrement cela relève de la sphère privée. En effet, le choix de la voiture n’a rien de rationnel chez beaucoup de gens. Sinon personne ne roulerait en ville sauf les handicapés. C’est la conclusion partielle de l’Association Lame 66 (pour Pyrénées-Orientales) avec laquelle je collabore depuis 2015 – je suis visible sur cette vidéo Aussi, faut-il encore mieux comprendre les raisons de la non acceptation des comportements vertueux dont la mobilité électrique qui touche beaucoup de gens. Localement en Occitanie, j’essaie de connecter Lame 66, à sa demande, avec des universitaires comme je collabore avec l’association « Causses et Cévennes énergies nouvelles » de Pierre-Antoine Terry, encore active aux Rencontres Internationales des Véhicules Ecologiques (RIVE 2017), organisées au Pôle mécanique d’Alès (Gard) les 11 et 12 juillet dernier. C’est, grâce à ces deux associations, que j’ai connu Laurent Bouquin, le premier taximan en Tesla qui a réussi à faire financer, en partie avec un gros prêt sans intérêts, un moyen de travail qui soit plus propre. Ça vous fait rêver mais ça ne faisait pas du tout rêver le banquier, au début, très réticent à propos du projet…

« Heureusement, avec l’aide de la CMA 30 [Chambre des Métiers et de l’Artisanat du Gard] dans le montage du dossier, j’ai obtenu un prêt 0% Initiative Gard de 25 000 € . Bref, préparez bien votre dossier, prévoyez un expert comptable pour valider vos bilans et suivez attentivement les conseils de la CMA 30 : les démarches administratives font perdre un temps fou mais après ça roule ! » Laurent Bouquin.

Le taxi 100% électrique Tesla de l’artisan Laurent Bouquin de la région de Nîmes (Gard). Il a été acheté en partie avec l’aide de la CMA 30. Septembre 2015. © A. Gioda, IRD.

Sur El Hierro restée largement agricole et à l’habitat dispersé, il faut pour se déplacer ou transporter de lourdes charges un mulet, une moto ou bien une voiture (notez qu’à la base c’est une voiture à chevaux). Avant qu’il y ait un nombre significatif de véhicules électriques, les municipalités ou plutôt le Cabildo de El Hierro (l’autorité à l’échelle de l’île qui compte trois communes) font bien d’installer des bornes de recharge accélérée (*). Ces dernières deviendront sept, toutes modernes, au lieu des trois actuelles qui furent installées « afin de faire la pige » aux trois pompes à essence de l’île. De plus, l’énergie dispensée est et sera largement d’origine locale et renouvelable : 62% d’EnR dans le mix énergétique de l’île en juin 2017.

L’un des trois points actuels de recharge de 3,6 kW pour véhicules électriques. Mirador de la Peña, El Hierro, Canaries. Vous m’excuseriez pour la qualité de la photographie que je referai en octobre prochain. Février 2017. ©. A. Gioda, IRD.
Laissons la parole en ce début d’août à un aficionado éclairé de la mobilité électrique aux Canaries, l’expert Hector D. Rodríguez qui est le secrétaire de l’AUVE (Asociación de Usuarios de Vehículos Eléctricos) :

« Les [trois] points de recharge que l’on trouve sur El Hierro de nos jours ne fonctionnent pas correctement et ils ne sont que d’une puissance de 3,6 kW. Le Cabildo de El Hierro a mis au concours un nouveau marché  et il a adjugé l’installation de sept nouvelles bornes de recharge  accélérée de 22 kW (*). Il espère commencer à les installer à la mi-août et sûrement les nouvelles bornes seront en fonction avant la fin de l’année 2017 mais je rappelle que l’infrastructure actuelle n’est pas satisfaisante. Elles seront équipées de prises Mennekes, afin d’aligner le système espagnol aux normes européennes [il est à noter que cette entreprise est allemande]. Aujourd’hui des véhicules électriques sur El Hierro, il y en très peu : à la connaissance de l’AUVE, deux  Renault Twizy, un Renault Kangoo et guère plus. Nous espérons que, après notre présentation de voitures 100% électriques en juin 2017 et l’installation de nouvelles bornes, le nombre de ces véhicules sur l’île va commencer à décoller ».

Présentation d’un véhicule 100% électrique Hyundai Ioniq sur l’île d’El Hierro par l’AUVE, avec la collaboration de Cristina Morales de Gorona del Viento. Foire aux bestiaux de La Apañada, San Andrés, El Hierro, Canaries. Juin 2017. © H. D. Rodríguez.
Toutefois, au vu de l’habitat dispersé, il y a partout des prises et les gens peuvent et ils pourraient très bien recharger chez eux (plus lentement certes mais cela suffirait dans bien des cas à mon sens). Les prises et la recharge accélérée, c’est politique au sens d’exemplaire pour la citoyenneté : pour les touristes (mais il n’y a encore aucun véhicule électrique en location selon mes données) mais personne à ma connaissance dans l’administration n’a acheté un véhicule privé électrique. C’est un point aussi souvent reproché à la société Gorona del Viento mais cette dernière a hérité de véhicules d’Endesa ou elle les loue.
Il reste encore à résoudre le problème de la longue durée de vie d’un véhicule sur une île de paysans âgés et pas bien riches où rien ne se jette. A mon sens, tout cela va dans le bon sens mais il faudra une trentaine d’années pour changer, même avec des aides à l’achat, de façon significative le parc. Il y a presque autant de voitures que de gens ! Toutefois, sur les 6 000 voitures thermiques recensées,
beaucoup ne sont plus roulantes et quid de leur recyclage ?
Dans ce cadre, c’est très bien d’avoir commencé tôt, par rapport en général au reste du monde, pour l’administration dès 2011 avec une convention Renault-Nissan et de continuer de discuter et d’essayer avec les constructeurs allemands afin de créer une émulation.
En France, continuons à lire  Alain Grandjean, président du groupe de réflexion de la FNH :
« Le transport en 2015, c’était 29 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, soit 130 MtCO2e dont 70 MtCO2e pour les véhicules particuliers sur lesquels nous allons nous concentrer dans la suite. Ces derniers est de 33 millions (on ne compte pas les véhicules utilitaires qui sont plus de 5 millions ni les camions) et ils consomment en moyenne 6,5 litres au cent. Aujourd’hui 2 millions de véhicules sont vendus par an en France. Cela veut dire qu’il faut plus de 15 ans pour renouveler l’ensemble du parc. La réduction de nos émissions de gaz à effets de serre dans ce domaine d’ici 2050, c’est-à-dire dans 33 ans, doit se faire donc en deux remplacements complets de parcs ».

Dans le schéma d’Alain Grandjean, le renouvellement du parc serait en France deux fois plus rapide que sur El Hierro et, dans les limites de ce blog tourné vers les jeunes scientifiques, je ne rentrerais pas dans une discussion polito-politicienne.

Mise en avant, la petite Renault 100% électrique est celle de Jean-Jacques Pierron de Lunel (Hérault) qui, à son volant, a fait un tour de France de 6 100 km en 2014 (vidéo). © A. Gioda, IRD.
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(*) Un petit récapitulatif grâce à l’aide de Robert Morandeira de Lame66 :

  • charge accélérée pour les véhicules électriques : 22 kW
  • charge rapide : 43-50 kW
  • super-chargeur Tesla : 90 puis 120 kW voire 120 puis 140 kW
  • nouveau super-chargeur européen : 150 Kw
  • annoncé, super-chargeur V3 de Tesla : 350 kW
Tableau des charges et des temps de recharge d’un véhicule électrique.

2 réflexions sur “ El Hierro et France : la roue tournera en voiture électrique ”

  1. Ok pour le CO2 mais 33 millions de voitures électriques c’est le meilleur argument pour garder tous nos vieux réacteurs nucléaires, en plus des productions de ENR. La pure technologie ne peut pas tout résoudre. Impossible donc de ne pas aussi repenser en profondeur notre façon de se déplacer …..

  2. Bonjour et un grand merci. Vous noterez que, sur El Hierro, tous les efforts se font avec les EnR locales afin de contenir le poids des fossiles. En France, il faut mettre la barre haut car actuellement il y a moins de 1% de voitures électriques malgré des aides consistantes. Il n’y a aucun risque de pousser la consommation d’énergie nucléaire pendant plusieurs années par ce biais. Nous en reparlerons quand les véhicules électriques se multiplieront. Il me semble que l’urgence est d’enclencher un processus dans un moment favorable : épisodes chauds sans cesse plus nombreux et gênants pour tous, caractère difficilement respirable – pendant des périodes de plus en plus longues – de l’air de villes telles Paris, Lyon ou Grenoble, trucage des moteurs diesels par la plus grosse industrie européenne, etc. De façon plus globale, l’énergie civile nucléaire n’a pas le vent en poupe et, même en France, sa part recule. A propos de la sobriété, vous avez raison et d’ailleurs le marché a changé : je suis presque sûr (bien que je n’aie pas les chiffres précis en main) qu’en France, Allemagne et Italie il se vende, depuis quelques années, plus de bicyclettes que de voitures et de façon régulière. La crise économique est aussi passée par là en Europe du Sud pour être complet.
    http://www.bikeitalia.it/2013/10/30/in-tutta-la-ue-o-quasi-vendute-piu-bici-che-auto/
    J’espère avoir répondu à une partie de vos attentes.

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