Ce billet naît d’un article de synthèse publié dans le journal écologique numérique Reporterre ces jours-ci, le 2 mars 2017. La nomenclature officielle de la géologie manquait d’une signature ou de signatures minéralogiques pour officialiser la reconnaissance de la période de l’Anthropocène, après celle du Pléistocène. Toutefois cet article de vulgarisation scientifique montre que l’on progresse de ce côté.
A l’amont, la personnalité qui diffuse la notion d’Anthropocène est un poids-lourd en sciences, permettant ainsi d’avancer vers la reconnaissance de cette période géologique : Paul Josef Crutzen, météorologue, est Prix Nobel de chimie 1995 « pour ses travaux sur la chimie de l’atmosphère, particulièrement en ce qui concerne la formation et la décomposition de l’ozone ». Depuis l’an 2000, il popularise cette nouvelle période géologique du Quaternaire qui aurait débuté au XIXe siècle avec la révolution industrielle et pendant laquelle l’influence de l’homme sur l’écosphère terrestre serait devenue prédominante. Bien auparavant Buffon, Stoppani, Theilhard de Chardin et quelques autres scientifiques dont le géologue Pavlov (qui cogna ce terme d’Anthropocène dès 1922) avaient commencé à creuser ce sillon. Il faut donc citer, chez les précurseurs du concept d’Anthropocène, le plus grand géologue italien et un vulgarisateur scientifique au XIXe siècle, l’abbé Antonio Stoppani (1824-1891) qui définissait, dès 1873, l’homme comme « une nouvelle force telluriquequi ouvre vers une nouvelle ère, l’Anthropozoïque ». Grâce au lien précédent, vous avez une traduction (en anglais) de ce texte fondateur.
Qu’attendent les géologues versés en stratigraphie les plus réticents quant à la reconnaissance de l’Anthropocène ? Ils attendent un marqueur aussi fort, à l’échelle terrestre et c’est important la notion planétaire à ce niveau, que la forte concentration d’iridium (Ir) dans la strate argileuse séparant les ères du Secondaire (correspondant à la fin de la période du Crétacé) et du Tertiaire. Ce marqueur de couleur sombre date aussi l’extinction des dinosauriens (à l’exception des oiseaux), des ammonites et de bien d’autres formes de vie – soit la cinquième extinction en masse dans l’histoire de la Terre, il y a 66 millions d’années. Cette dernière est dite aussi extinction K-T (de l’allemand Kreide-Tertiär).
Néanmoins, selon l’Anthropocene Working Group (AWG) de la commission de stratigraphie de l’IUGS, notre époque se distingue de toutes les autres grâce à des marqueurs stratigraphiques spécifiques, décelables dans les roches partout sur la planète, et légués par les activités humaines à partir de 1945. Radionucléides, phosphates et nitrates utilisés dans l’agriculture industrielle, prolifération de particules de plastique, particules de béton et d’aluminium, modifications chimiques à grande échelle du cycle du carbone sont parmi les éléments qui signalent l’entrée dans cette nouvelle époque caractérisée par des changements rapides et irréversibles dans le système Terre. « Le milieu du XXe siècle coïncide avec le plus clair et le plus distinct ensemble de signaux imprimés dans les strates récentes », estime l’AWG. Un autre phénomène qui rapproche l’Anthropocène d’une nouvelle période est la sixième extinction de masse bien qu’il soit difficile de la faire commencer en 1945. C’est un thème qui m’est cher car je suis membre-expert de l’UICN-France depuis 1992. L’UICN est fameuse pour son livre rouge des espèces en danger (en anglais), mis à jour chaque année. Afin de contrecarrer cette sixième extinction en cours, rien de significatif durant ces dernières décennies n’a été fait depuis le célèbre, en son temps, « Avant que nature meure » de Jean Dorst (1965).
Je ne partage pas l’optimisme raisonnable ou mesuré de l’écologue Robert Barbault, dans sa suite plus de 40 après, “Pour que nature vive”. Cet auteur met l’accent sur quelques succès dont j’illustrerais un exemple parce que je le connais.
Néanmoins, de telles réussites sont des exceptions rendues possibles par le travail désintéressé de quelques-uns tel mon Ami disparu Don Zósimo sur l’île d’El Hierro aux Canaries (en espagnol). A l’inverse, par exemple mais comme bien d’autres espèces, de petits escargots arboricoles de Polynésie, découverts par le capitaine Cook, viennent de s’éteindre. Les derniers exemplaires en captivité de Partula faba, ceux du zoo de Bristol, viennent de disparaître en 2016. lls étaient déjà éteints dans la nature victimes d’un escargot carnivore – oui, cela existe et je ne le savais pas – Euglandina rosea, introduit à Tahiti des Amériques en 1974 à des fins de lutte biologique. Les autres espèces de Partula, toutes endémiques de la Polynésie, ne sont guère mieux loties.
Partula faba, un exemplaire juvénile du petit escargot terrestre de Polynésie, endémique des îles Ra’iātea et Tahaa. C’est une espèce très vraisemblablement éteinte depuis 2016.
« Et cette accélération fantastique du temps est encore aggravée par Ia puissance de compétition de certaines des nouvelles espèces introduites. Ajoutons encore que, avant Ia venue de l’homme au XVIe siècle, aucun mammifère terrestre, aucun reptile, batracien et poisson d’eau douce n ‘existaient dans ces îles. Aujourd’hui, on y trouve des animaux d’élevage (vaches, chevaux, mules, poules), des chèvres, des chats, des chiens, des rats, des coatis, des lapins, des souris, des moineaux, des pigeons, des crapauds, des araignées, des fourmis, des guêpes, des cochenilles, des puces, des, pucerons, etc. (Ia liste n’est ni exhaustive ni close). Tous sont arrivés par l’entremise des hommes, introduits de manière volontaire ou involontaire ». Danton, Acta Botanica Gallica, Botany Letters, Vol. 153, 2006 – Issue 2.
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.