Bonjour à nouveau et je reprends le fil de la première partie, tournée vers Yves Delange du Muséum de Paris, pour vous présenter, au tout début de mon parcours professionnel, mon ancien directeur de recherche du CNRS italien (Consiglio Nazionale delle Ricerche ou CNR) Mario Govi. Dans la deuxième partie de sa carrière, dès 41 ans, Mario Govi dirigea le laboratoire connu officiellement sous le nom de l’Istituto di Ricerca per la Protezione Idrogeologica (IRPI) del bacino del Po, à Turin depuis sa création, en 1970, jusqu’en 1992.
Il fut mon co-directeur de thèse en géographie, ici en géomorphologie, entre 1976 et 1980 pour une soutenance en 1981. Pour évoquer les travaux de Mario Govi, j’ai mis en exergue de ce billet de blog une photographie des Alpes franco-italiennes mais du côté de la province de Coni, celle du hameau de Ferrere sur la commune d’Argentera. De l’autre côté de la frontière, il y a le village de Larche dans les Alpes de Haute-Provence. Pourquoi donc ? Parce qu’il aimait profondément les Alpes et parce qu’il s’était intéressé, avec son équipe au tout début du laboratoire IRPI sur le haut bassin du Pô en 1970-71, aux conséquences d’une grande crue touchant le versant franco-italien des Alpes, celle des 12-15 juin 1957. Govi travailla toujours, main dans la main, avec ses Collègues suisses, autrichiens et donc français. Vous trouveriez, dans notre langue, une longue évocation récente de cette crue historique dans la vidéo suivante.
Si je parle aujourd’hui de Mario Govi, après Yves Delange, c’est, qu’en 2019, deux célébrations sont survenues que l’écume des jours – au sens de l’agitation de ma vie – m’a fait oublier en leur temps. Rien de larmoyant dans cet hommage : Mario Govi (1927-2009) a été admiré et respecté de son vivant. Encore, dix ans après son décès – et sa chère cigarette a pu peut-être le hâter -, des anciens collaborateurs du CNRS italien se sont regroupés pour faire un florilège de ses nombreux articles (pour le lire en italien et partiellement en anglais, il faut taper cet identifiant Public_FTP, puis le mot de passe Public_FTP_IRPI).
De même et pour mémoire, Yves Delange (1929-2019) a eu une très belle et longue vie avec une foultitude de voyages, de rencontres et donc d’amis, avant de s’éteindre à 90 ans. Entre temps, il s’était occupé à faire de beaucoup de belles choses en sciences pour protéger la nature, grâce à une défense et illustration des botanistes l’ayant précédé, tout en soignant les collections nationales vivantes des plantes. Sa biographie partielle et partiale, parce que rédigée par moi-même, avait fait l’objet de la première partie de ce billet.
Mario Govi et Yves Delange furent deux maîtres dans mon cheminement scientifique et je suis heureux qu’ils soient célébrés, encore récemment, par les Collègues qui ont eu la grande chance de travailler avec eux ou de les côtoyer. Attention ! Aucune pompe ni esprit de mandarinat chez Govi et Delange mais un entrain et un allant, à l’épreuve des balles – si je peux me permettre une métaphore guerrière -, qui me firent aimer l’aventure scientifique au point de l’embrasser, pendant plus de 40 années.
Comment et quand ai-je connu Mario Govi ? Dans le cadre de ma maîtrise à l’Université de Nice en géographie qui concernait le terrain des Alpes cotiennes en Italie que j’avais choisi car j’y avais une maison de famille. Ce devait être en juin ou juillet 1975 quand je me suis rendu à Turin, la première fois, pour le travail. Je trouvais Mario Govi, entouré d’une dizaine de personnes entre chercheurs et techniciens, dans son petit laboratoire logé dans une villa proche du centre-ville.
Il était assis au centre d’un vaste bureau, entouré de très nombreux documents et nimbé des volutes de fumée de son éternelle cigarette, et la lumière allumée car, presque toujours, ses fenêtres étaient fermées. De toute façon, sa pièce de travail était toujours sombre car orientée au nord et, de façon générale, l’ensemble du bâtiment était peu lumineux avec les nombreuses hautes habitations modernes entourant la petite villa et l’ombre d’un arbre, aujourd’hui disparu, dans la courette.
Je le sus plus tard mais trois autres caractéristiques propres du laboratoire expliquaient le peu de lumière naturelle y régnant : l’importance tenue par la photo-interprétation, par vision stéréoscopique ; la grande somme rassemblée d’archives et de photographies, au sujet de l’histoire des crues et des glissements de terrain, qui sont des documents uniques et fragiles à consulter dans une certaine pénombre ; enfin, il y avait encore des micro-fiches, notamment d’anciens journaux, à consulter au binoculaire et donc à la lumière artificielle.
En 1976, bien avant la mise en place du programme européen Erasmus en 1987 impulsé à la base par la pédagogue romaine Sofia Corradi, dans le cadre des échanges bilatéraux entre la France et l’Italie, je décrochai, grâce en partie à Govi mais aussi au Prof. Maurice Julian de l’Université de Nice, une bourse d’études italienne. Le but était de rédiger et de soutenir (trois ou quatre années après) une thèse de 3ème cycle sur l’Italie du Nord. Mes études commencèrent à partir de la rentrée universitaire de 1976-1977, grâce à une double inscription aux Universités de Nice, en géographie (où mon directeur de thèse était Maurice Julian qui me suivait depuis la maîtrise), et de Turin, plus précisément à l’Istituto di Geologia dirigé par le Prof. Malaroda.
A quelques kilomètres du Palazzo Carignano, où je suivis des cours de géologie en 1976-77, le travail de recherche avait lieu au CNR IRPI via Vassalli Eandi.
Au laboratoire IRPI, de façon générale, c’était une tout autre époque, il y a près d’un demi-siècle, quant à la technique : jeux de photographies aériennes analogiques le plus souvent en noir et blanc, cartographie manuelle au Rapidograph de Rotring sur des tables à dessin, papiers calque et millimétrés, photographies de terrain, toujours en blanc et noir, avec des appareils suédois les plus professionnels et chers – ceux des missions humaines sur la Lune – soit les Hasselblad au format 6 x 6, cartes IBM et rubans perforés pour des calculateurs très bruyants (installés dans des pièces dédiées auparavant aux toilettes surnuméraires de la villa), machines à écrire IBM à boule (dites marguerite), 4×4 Land Rover de terrain, etc. En deux mots, c’était juste avant l’arrivée des premiers micro-ordinateurs dans des laboratoires. Une révolution, en particulier dans le cas de ceux de l’IRPI, tournés vers les activités de terrain dérivées de la géologie (le charbon et le plomb surtout en Italie), de l’hydrologie (la houille blanche ou l’énergie hydraulique), de la géomorphologie et de la potamologie alpine chère à Maurice Pardé. La plupart de ces branches scientifiques avaient été florissantes auparavant : du XIXe siècle au milieu du XXe siècle.
Mario Govi représentait une autre facette, plus moderne de la géologie : la protection des hommes et des biens face aux risques naturels tels les séismes, les volcans et, dans son cas, les crues, inondations et glissements de terrain causés par des évènements météorologiques extrêmes. En bref, c’était de l’écologie appliquée avant que cela soit à la mode. Parmi les mots-clefs de ses travaux, je cite les suivants : éboulements, embâcles torrentielles et débâcles glaciaires, laisses de crue, laves torrentielles, coulées de boue, etc.
L’IRPI était né en 1970 de la volonté nationale de prévenir et de limiter les catastrophes naturelles, sur l’ensemble du territoire italien, à la suite de la crue de l’Arno qui inonda et dévasta Florence en novembre 1966 : 34 morts (dont ceux de la province homonyme) ; des dommages considérables aux habitations, biens mobiliers, monuments et bibliothèques ; et la perte irrémédiable de milliers d’œuvres d’art, manuscrits, archives…
A l’origine, l’IRPI comprenait, au niveau national, trois laboratoires : Turin (Piémont) pour l’Italie du nord, Pérouse (Ombrie) pour le centre, et Cosence (Calabre) pour le sud du pays et la Sardaigne. Mario Govi connaissait à fond tous les laboratoires pour avoir aussi exercé brièvement la direction des deux autres centres de Pérouse et Cosence, lors de périodes de transition. Son héritage, avec des Collègues de sa génération, tient en chiffres : de moins de 50 personnes, l’IRPI est passé à plus de la centaine et s’y sont ajoutés deux centres : Padoue (Vénétie) où se trouvait le siège de l’Institut Hydrographique du Pô et Bari (Pouilles) auxquels se sont agrégés des chercheurs de… Florence issu de l’Istituto per lo Studio degli Ecosistemi. Symboliquement, la boucle, voire la brèche ouverte en 1966 par l’inondation désastreuse de Florence, est donc fermée.
Pourquoi la prégnance, au-delà des décennies, du souvenir de Mario Govi ? En un mot, grâce à son charisme au travail. Au bureau, il passait plus de 10 heures, toute l’année hors ses courts congés, finissant sa journée vers 21 heures. C’était donc un puissant moteur entraînant les autres, par son exemple, mais cet aspect de sa personnalité qui pourrait être purement mécanique se conjuguait avec une grande gentillesse. Ainsi remerciait-il souvent ses subordonnées, ses étudiants, etc. De plus, intellectuellement, il était toujours curieux, vif, pétillant car attrapant et jonglant avec les idées des autres. Etudier à ses côtés était un plaisir, une fête et non plus un travail.
Sur le fond, la raison d’être des laboratoires, devenus des instituts de recherche, IRPI reste hélas actuelle. Ainsi l’étude des conséquences de la crue d’octobre 2018 en Vénétie qui a réactivé le glissement de terrain du Tessina est sous surveillance, depuis avril 1992, par le laboratoire IRPI de Turin, alors encore dirigé par Govi.
Alors que j’achève de rédiger ce billet au sujet de l’actualité du travail de Mario Govi, la tempête Alex provoque les très grandes pluies tombées, sur les Alpes maritimes franco-italiennes, du 1er au 3 octobre. Les précipitations causent des grands dommages liés aux crues, inondations et glissements de terrain qui sèment la mort. Un peu plus bas, est montrée l’impressionnante crue du 2 octobre 2020 du torrent Gesso, important sous-affluent du fleuve Pô, qui nait, immédiatement au nord du Parc national du Mercantour, sur les hauts versants alpins de la province de Coni. La petite station thermale de Valdieri (1 370 mètres d’altitude) est le cadre de la vidéo, mise en ligne par le quotidien La Stampa.
L’absence d’un plan d’aménagement général d’un territoire aussi riche et densément peuplé (l’Italie compte 200 habitants/km2) est telle une plaie ouverte face aux risques naturels qui sont, déjà à la base, fort importants dans un pays géologiquement jeune : séismes fréquents à l’est, au centre et au sud ; grands dénivelés dans les Alpes et les Apennins auxquels se marient, par exemple, les redoutables dépressions tournoyant dans le golfe de Gênes pour causer des épisodes et crues quasiment cévenols sur l’Apennin ligure et piémontais…
Mario Govi, bien que conscient d’une tâche quasi prométhéenne, se retroussa les manches, avec ses collaborateurs, afin de constituer une base de données de référence des désastres naturels de l’Italie du nord depuis le tout début du XIXe siècle. Cela passa par la collecte interrompue de tous les documents, y compris et surtout des archives uniques ou rarissimes, sur des centaines et des centaines de communes permettant de bâtir les fondations d’une histoire du climat à partir d’une étude systématique des dommages des crues et des glissements de terrain. Vous percevrez faiblement le résultat grâce à une photographie récente d’un espace archivistique qui lui est dédié à l’IRPI de Turin.
Voila, j’ai fini ce double hommage et, en conclusion, je dirai aux plus jeunes, pourquoi ai-je choisi de faire de la recherche toute ma vie de travail ? C’est parce qu’on y rencontre parmi les plus belles personnalités qui, modestement pendant des décennies, s’attaquent à des défis a priori impossible à relever ! Pour Yves Delange, ce fut la réhabilitation et la valorisation des héritages du biologiste Lamarck et surtout du naturaliste Jean-Henri Fabre afin de promouvoir l’amour de la nature dans une France qui ne l’apprécie guère. Pour Mario Govi, ce fut la constitution d’un corpus de données robustes, afin de protéger les hommes et leurs biens, des désastres naturels, dans le territoire italien où le cadre politique et administratif est globalement adverse à une planification organique. Chapeau bas, mesdames et messieurs, deux hommes, Yves Delange et Mario Govi, toujours debout !
Ciao Alain,
grazie per il tuo ricorro di M. Govi e del nostro IRPI.
La tua relazione è veramente ben fatta e mi ha ricordato anni meravigliosi.
Saluti da Franco Godone.
MERCI!
Cher Franco,
Un grand merci, un très grand merci, de ton message sur mon blog CLIMAT’O. Aussi, je t’adresse, sur ta boîte à lettres personnelle, mes deux récents billets de blog qui sont frères et qui expliquent, à mon niveau, pourquoi devient-on, dans la joie, un professionnel de l’écologie via l’hydrologie et puis l’histoire du climat. C’est par la fréquentation poussée de Collègues modestes, enthousiastes, travailleurs et honnêtes, etc., tel Mario Govi. Bien évidemment, je n’ai pas été le seul à le distinguer : Domenico Tropeano dès 2009, les chercheurs et techniciens F. Baruffi, M. Ferri et F. Giuriato de l’Autorité de bassin (ADBVE) de Venise en 2014, l’ensemble du nouveau personnel du CNR IRPI de Turin en 2019 et je dois en oublier beaucoup. De ma part, c’était un minimum vis-à-vis de toutes les belles choses offertes par Mario Govi (pendant ” des années merveilleuses “, dis-tu si bien), sans compter que j’ai publié cet hommage bien tard.
En même temps que j’achève de rédiger ce billet, les très grandes pluies tombées sur les Alpes Maritimes franco-italiennes, du 1er au 3 octobre, causent des grands dommages liées aux crues, inondations et glissements de terrain qui sèment la mort. L’immensité des dégâts montre la prégnance du travail initié par Mario Govi en Italie. A mon billet, j’ai ajouté la vidéo de la crue du 2 octobre 2020 du torrent Gesso, sous-affluent du Pô, qui nait, au nord du Parc national du Mercantour, sur les hauts versants alpins de la province de Coni. La vidéo est tournée à la petite station thermale de Valdieri, bâtie à 1 370 mètres.
Avec mes amitiés,
Alain
Merci, Alain, de m’avoir envoyé ce blog, très intéressant, puisque j’ai connu Mario Govi et aussi puisque je m’occupe encore des prévisions et du monitoring des crues.
Je suis content qu’on se rappelle de la crue de Florence de 1966, puisque je montrais souvent à mes élèves de l’Institut technique [de Turin] une longue vidéo à ce sujet, et aussi parce que je me souviens de la boue que j’avais emportée… et, peut-être, c’est pour ça que je m’occupe d’hydraulique.
Je vais t’envoyer les données de notre modèle Idroprev au sujet de la crue du 3 octobre 2020 [en Italie], Ciao