L’UniverCité Ouverte de la ville de Gif-sur-Yvette, avec l’association Culture & citoyenneté et la Mairie, m’a invité à donner une visioconférence en histoire climatique, le 2 mars 2021, lors du cycle « Des climats et des hommes ». J’ai cherché à l’illustrer pour montrer que l’histoire du climat et la météorologie ancienne étaient des sujets passionnants et importants, notamment dans ce premier chapitre, grâce à la belle série, publiée en 2010, de la chercheuse Valérie Daux.
Pensant que cet exposé pourrait intéresser au-delà de Gif-sur-Yvette, abritant l’Ecole normale supérieure (ENS) et bien des chercheurs de l’université de Paris-Saclay, je l’ai repris, en le modifiant légèrement comme son titre, afin de lui donner un format compatible avec ce blog. Par contre, j’avais certainement commis un péché : celui de négliger les apports d’autres civilisations que celles baignant dans le christianisme. Ainsi, un lecteur, M. Jean Monné, m’a rappelé que la date de floraison des cerisiers au Japon était suivie depuis l’an 812 et que la plus précoce, de toute la période postérieure, est advenue tout dernièrement, le 26 mars 2021. La tendance est vers plus de précocité surtout en ville.
Les archives religieuses, en particulier celles recueillies par les bénédictins, permettent de reconstituer les climats anciens selon les saisons, années, décennies et siècles à partir du Moyen-Age. C’est la seule source abondante d’informations – dont celles climatiques – disponibles jusqu’au développement de l’imprimerie au XVIe siècle (soit la fin de rarissimes premiers ouvrages imprimés dit les incunables) ; auparavant le clergé, en particulier les moines et moniales, fournissait quasiment les uniques lettrés et copistes – parmi les femmes, citons Herrade de Landsberg, Hildegarde de Bingen et les moniales-copistes de l’abbaye de Vallbona (en catalan) -. Il en découle que les registres paroissiaux sont les ancêtres des états civils et vous pourriez lire le classique (car publié en 1967) ouvrage L’histoire du climat de l’Europe depuis l’an mil d’Emmanuel Le Roy Ladurie et l’importance du latin à ce sujet. Par exemple, les archives de l’abbaye d’Einsiedeln en Suisse remontent au Xe siècle, époque de la fondation du complexe religieux, et elles couvrent environ 1 000 mètres linéaires de rayonnages. Elles sont exemplaires par leur qualité et donc leur continuité.
Le complexe religieux d’Einsiedeln (en allemand) constitue l’un des trésors historiques – la fondation de l’abbaye remonte à l’an 945 – et elle est située au cœur géographique de la Suisse ; elle est située dans le canton de Schwytz, l’un des trois originaux de la Confœderatio Helvetica de 1291, qui a aussi donné son nom au pays. A partir de la fin de la première décennie du XXIe siècle, les bâtiments des archives ont été modernisés et ravalés côté façade mais surtout leur intérieur et donc le rangement des archives ont fait l’objet de profonds changements.
Les archives climatiques les plus précieuses sont celles du Frère bénédictin Josef (Joseph) Dietrich (1645-1704). Elles furent amoureusement conservées par Konrad (Josef Nikolaus) Hinder (1933-2012), l’un de ses lointains successeurs qui en savait toute la valeur et qui fut, depuis des décennies, le météorologue du monastère. Entre 1671 et 1701, les archives d’Einsiedeln sont riches en informations précises sur les conséquences d’hivers extrêmement rigoureux, comme le rapportait en 2007 le Frère Konrad Hinder.
« Le 11 janvier 1684, le vin de messe s’est congelé dans le calice et cela n’est jamais arrivé depuis que j’ai été ordonné prêtre » témoigne Frère Josef Dietrich, qui ajoute : « le 13 janvier 1684 à Einsiedeln, le gel fut pire encore et jamais il ne fit si froid de mémoire humaine ».
Ces témoignages, maintenant numérisés, sont mis en ligne depuis 2009.
Ils sont venus s’ajouter à la grande banque de données Euro-Climhist, une collection d’archives (dont celles photographiques et audio-visuelles) qui raconte l’histoire du climat en Europe depuis l’an mille ou mil. L’historien suisse Christian Pfister l’a initiée à la fin des années 1970 et l’a en suite patiemment construite, avec Urs Dietrich-Felber et de nombreux collègues, pour donner « un système convivial de recherche ». Le projet est soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), l’Université de Berne et le National Centre of Competence in Research on Climate (NCCRs, Suisse). Les chercheurs peuvent consulter cette base qui a été mise en ligne par l’Université de Berne, porteuse de cette réalisation.
Après ce chapitre liée à la république alpine, je regagnerai mes pénates mais, toujours avec les archives religieuses. L’objectif est de montrer leur apport en histoire du climat en France, grâce à l’exemple des vendanges : le vin est un produit précieux y compris dans la liturgie catholique dans toute l’Europe et dans d’autres parties du monde.
« Emmanuel Le Roy Ladurie souligne l’importance, en histoire du climat, de la compilation des dates de vendange, de toutes les régions de France, réalisée par Alfred Angot en 1883 qui s’était appuyé sur les travaux des commissions départementales météorologiques, mises en place par Urbain Le Verrier. Les séries des dates de vendange de la Bourgogne ont été reprises, dans le cadre d’un programme de l’Agence Nationale de la Recherche, afin d’obtenir une base de données d’observations phénologiques pour reconstruire le climat de l’Europe (ANR-OPHELIE) », selon la fiche Wiki d’Alfred Angot.
Précisément, un apport daté de 2013, est important : Les dates de vendange à Beaune (1371-2010) des chercheurs Thomas Labbé et Fabien Gaveau qui ont utilisé notamment les archives des comptes de la collégiale ou basilique de Notre-Dame de Beaune, en Bourgogne, pour les XIVe et XVe siècles.
Afin de placer cette contribution régionale dans un cadre plus général, je me tournerai vers la synthèse de l’histoire du climat, toujours à partir des dates de vendange, publiée en 2010 par Valérie Daux dans la revue de la Bibliothèque nationale de France (BnF).
« Je ne mentionnerai ici que quelques-uns des éléments […] que des sources historiques confortent et, par là, renforcent.
- La période chaude de 1415 à 1435 inclut la famine « d’échaudage » [donc touchant le blé, l’orge, etc.] de 1420 en Ile-de-France et en Angleterre et l’extrême précocité des récoltes cette même année en Lorraine.
- L’été très chaud de 1473 : les chroniqueurs rapportent une extraordinaire précocité des cultures (fèves, pois, etc.). L’année est décrite comme très chaude de juin à décembre.
- Le rafraîchissement lors de la seconde moitié du XVe siècle se manifeste notamment par la famine de 1481, consécutive à la pluie et au froid.
- Les décennies chaudes des années 1520, 1530 et 1550 sont attestées, par exemple, par l’échaudage qui entraîna une disette et des incendies en Normandie, une production inhabituellement importante de sel marin en Charente en 1556. L’année 1523, qui est la deuxième année la plus chaude de toute la série après 2003, n’est pas signalée comme particulièrement caniculaire en France par le Docteur Fuster (1845). En revanche, dans le pays de Bade (Allemagne), elle est décrite comme chaude et sèche… Les seules autres dates de vendange disponibles pour cette année, qui proviennent d’Ile-de-France et de Suisse, sont des dates normales pour les régions dont elles proviennent. La réalité du caractère caniculaire de 1523 reste donc à confirmer.
- La période froide des années 1560 à 1600 est contemporaine d’une forte avancée des glaciers alpins ; ces derniers atteignirent leur extension maximale au cours de la décennie 1600-1610. Cette période inclut les années de famine 1573 et 1587, au cours desquelles les moissons ont été extrêmement réduites du fait du froid et de l’abondance de précipitations.
- La période globalement chaude de la fin du XVIIe siècle coïncide avec le recul des glaciers de Grindelwald [Canton de Berne, Suisse] et de Chamonix à partir de 1640, les moissons abondantes de 1636-1638 et 1669-1671, mais aussi les épidémies de dysenterie liées à des vagues de chaleur et de sécheresse, et le [grand] incendie de Londres qui s’est produit lors de l’ardente (!) année 1666.
- Les quelques étés froids qui entrecoupent la fin du XVIIe siècle : celui de 1675, particulièrement « glacial », a été rendu célèbre par les correspondances de Madame de Sévigné (« le procédé du soleil et des saisons est tout changé Lettre à Mme de Grignan du 24 juillet 1675, dans Correspondance… »).
- Les étés froids de 1687 à 1700 : au cours de ces années catastrophiques pour l’agriculture, une famine, sans précédent par le nombre de victimes, a décimé la France, l’Écosse et surtout la Scandinavie.
- Les épisodes chauds qui entrecoupent la longue succession d’années fraîches débutant un peu avant 1700 : parmi eux, l’été très chaud de 1719, accompagné d’un déficit de pluie, a entraîné une immense vague de dysenterie qui a fait de nombreuses victimes (400 000 morts supplémentaires pour une France trois fois moins peuplée qu’actuellement).
- Le XVIIIe siècle frais qui renferme plusieurs séries d’étés chauds à très chauds : suivant l’intensité de la chaleur, et de la sécheresse qui souvent l’accompagne, ces années furent des années de surproduction agricole (1778-1781), ou, au contraire, d’échaudage fatal au blé (1788, 1794) entraînant disettes et émeutes de subsistance.
- Toujours au XVIIIe siècle, quelques étés particulièrement froids : ce sont ceux dits du pot au noir (1725, 1740, 1770), qui furent des années de disette voire de famine en France et en Allemagne.
- Les étés de la première partie du XIXe siècle (jusque dans les années 1860) sont globalement froids : les glaciers alpins sont redescendus dans les vallées. Au sein de cette période de froidures du XIXe siècle, un record de froid estival fut atteint en 1816 (« l’année sans été » [liée aux poussières diffusées à partir de l’éruption explosive en 1815 du volcan Tambora en Indonésie]). Il a été suivi d’une disette consécutive au manque de récolte et d’une crise économique en 1817. Néanmoins quelques étés chauds voire très chauds se distinguent dans cette période : c’est le cas des étés 1811 et 1846, par exemple, au cours desquels les blés furent « grillés sur pied », ce qui a entraîné disettes et émeutes, et de l’été 1822, qui est reconnu comme très chaud dans toute l’Europe de l’ouest.
- A partir de 1893, les étés sont plutôt chauds. Depuis les années 1970, les températures estivales augmentent ; cette tendance s’accentue depuis les années 1990. L’année 2003 est l’année la plus chaude de la série depuis 1370 » [la synthèse de Valérie Daux publiée en 2010 s’arrête à la première décennie du XXIe siècle. Malheureusement, j’ajoute que ce record de 2003 a été battu régulièrement ces dernières années, au niveau national, en 2014 puis en 2018 et encore en 2020].
Les archives religieuses avec l’importance du vin dans la liturgie, et donc des vignobles – avec la date des vendanges, de la véraison des grains… – structure en Europe l’histoire du climat au moins jusqu’à l’avènement de la science moderne. Cette dernière, grâce à Copernic, Kepler puis Galilée, passe par l’astronomie, l’étude des météores et donc de la météorologie qui se met en place au XVIIe siècle, essentiellement en Italie, avec l’apport aussi des jésuites.
Au sens large, un météore désigne un phénomène atmosphérique dont font partie : les électrométéores (tonnerre, foudre, aurore boréale ou polaire, lumière de séisme, phénomène lumineux transitoire tels farfadet, elfe et jet) ; les hydrométéores (précipitations) ; les lithométéores (aérosols, brume sèche, tourbillon de poussière, météoroïde, etc.) ; les photométéores (arc-en-ciel, halo, mirage, etc.), d’après Wikipedia.
Auparavant en France, l’apport savant et progressiste des bénédictins est reconnu depuis plus d’un millénaire. Les bénédictins et plus précisément la branche des cisterciens sont en partie à l’origine du boom économique du Moyen-Age (le mal nommé) qui fut favorisé par l’Optimum Climatique Médiéval (OM son abrégé en science) entre le Xe et le XIIIe siècles. Ce dernier est très connu – y compris par les climatosceptiques ! – par la colonisation du Groenland dit « vert » à partir de l’Islande. Il en va de même pour la période de prospérité (précédant le Petit âge glaciaire ou PAG, en abrégé) des fermes de la Norvège, décrite par la géographe Jean Grove, le pays d’origine de cette grande migration scandinave vers les terres océaniques occidentales.
Toujours lors de l’Optimum Climatique Médieval, l’abbaye bourguignonne de Clairvaux essaime en Europe avec ses 80 abbayes-filles, poussée par Saint-Bernard, l’âme de la réforme cistercienne (dont le nom vient de l’abbaye antérieure de Cîteaux fondée en 1098). Les nouvelles abbayes se transformèrent aussi en de prospères entreprises agricoles. Saint-Bernard de Clairvaux, conservateur dynamique, réforma l’ordre de bénédictins (de Saint-Benoît de Nurcie), l’un des plus anciens ordres monastiques datant du Ve siècle. A côté de cette réforme, il s’agit, pour les bénédictins qui restèrent de stricte obédience, d’un clergé régulier avec une riche vie conventuelle donc en partie hors du monde. Les moines et les moniales y furent souvent copistes au Moyen-Age et donc protecteurs des archives. Cette forte affinité avec l’écrit restera vivace encore du XVIIe au XVIIIe siècles (bien après l’invention de l’imprimerie en 1545) ainsi avec la monumentale Histoire générale du Languedoc (131 liasses de documents recueillis en 30 années de labeur, entre 1715 et 1745, et résumés en 5 fort volumes) rédigée par Dom Devic ou de Vic et Dom Vaissète ou Vaissette (qui a sa rue à Montpellier). Elle a assis, avec d’autres travaux de grande ampleur, la réputation de précision dans l’érudition des bénédictins.
Ces deux moines étaient membres de la très savante Congrégation de Saint-Maur, une autre branche des bénédictins, basée à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont il firent un pôle du savoir, du XVIIe siècle jusqu’à la Révolution (1792). La tradition intellectuelle du Quartier latin, c’est-à-dire celui de l’université parisienne où la langue de César était largement pratiquée par les étudiants de toutes origines, s’en trouva renforcée. Une station de métro, une rue et un restaurant universitaire (où j’ai mangé moult fois en 1981-82 !) y sont dédiés à Dom Mabillon. En français, un travail de bénédictin est un labeur qui a demandé beaucoup de persévérance.
Dans sa thèse, publiée en 1966 et toujours disponible chez Flammarion, Les paysans du Languedoc, Emmanuel Le Roy Ladurie (dont vient de sortir la biographie de son vivant !), utilisa abondamment l’Histoire générale du Languedoc de Devic et Vaissette. Cette dernière lui permettra d’écrire une histoire des masses quand le paysannat était le moteur principal de l’économie. Pour les travaux ultérieurs de Le Roy Ladurie, ainsi L’histoire du climat [de l’Europe] depuis l’an mil publiée en 1967, elle donnera une branche vigoureuse, née du tronc de l’économie, dont les fruits se développeront jusqu’à la fin des années 2010. A suivre…
La photographie mise en avant est celle de la salle d’apparat de la bibliothèque et des archives de l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln. Canton de Schwytz, centre de la Suisse. © Kloster Einsiedeln.
Damme, le jeudi 1 avril 2021
Bonsoir Alain,
Félicitations sincères pour cet article,
Gaston
Merci mais M. Jean Monné m’a justement reproché d’oublier ou de négliger d’autres archives phénologiques à côté de celle, classique chez nous, de la vigne et donc les dates de vendange.
« Les Japonais le font aussi pour les cerisiers depuis 1200 ans ».
https://www.courrierinternational.com/article/japon-kyoto-la-floraison-des-cerisiers-na-jamais-ete-aussi-precoce-depuis-812
Ainsi, il en va de la date de la floraison des cerisiers, suivie depuis 812 dans l’arboretum de référence sur les flancs du Mont Takao au-dessus de Kyoto, l’ancienne capitale impériale (de 794 à 1868), juste en face à la montagne sacrée du Japon, le grand volcan Fuji.
https://www.japan-guide.com/blog/sakura13/130408_tokyo.html
Par conséquent, j’ai modifié quelque peu le début de mon texte afin d’intégrer cet apport de civilisations non chrétiennes mais il doit y avoir bien d’autres.