Voyager proprement reste un rêve pour la plupart car gaspiller beaucoup d’énergie est souvent synonyme d’aller vite. L’île d’El Hierro en particulier et les Canaries restent liées, dans l’imagerie populaire, à une époque des découvertes où pourtant les navigateurs n’allaient pas vite. A la voile, bien des célébrités qui ont changé le monde ou sa perception sont passées par là : Christophe Colomb, le défenseur des Indiens Bartolomé de las Casas et l’inventeur de l’écologie scientifique Alexander von Humboldt qui décrivit entre autres avec émerveillement en 1799 l’île de Tenerife dominée par le volcan Teide et ses plus de 3 700 mètres d’altitude (en espagnol). Dans cet univers de voiliers et sur le chemin des alizés, les îles Canaries offraient des escales bénéfiques lors du long voyage de l’Europe vers l’Amérique tropicale. Elles étaient des terres de passage quasi-obligé jusqu’au XVIIIe siècle quand l’Amérique était essentiellement forte d’une économie sucrière prospère et un continent riche en or, argent et pierres précieuses c’est-à-dire avant le développement des Etats-Unis.
Il est moins connu que les Canaries servirent dans le sens inverse, de l’Amérique à l’Europe, de lieux d’expérimentations agricoles avec, par exemple, le Jardín d’Aclimatación de La Orotava sur Tenerife pour beaucoup de plantes avant leur passage aux célèbres jardins royaux d’Aranjuez près de Madrid. Le jardin de La Orotava fut créé au XVIIIe siècle en 1788 sous l’impulsion du monarque éclairé Charles III d’Espagne et nous en sauriez plus à son sujet avec son ancien directeur et mon Ami Arnoldo Santos pour la partie botanique (en espagnol).
C’est ce cadre soulignant le rôle central des Canaries entre les deux Mondes, l’Ancien et le Nouveau, qui permettra que Louis XIII énonce en 1634 que le méridien zéro passerait par El Hierro soit l’ultime île de l’archipel par rapport à l’Europe considérée alors le centre de la Terre. Le méridien zéro a donc, de façon virtuelle, chu de Paris sur El Hierro ou l’isle de Fer ou bien l’île de Ferro ou encore Insula Ferri, selon les différentes langues utilisées à l’époque.
Certainement sans que ses quelques milliers d’habitants se dédiant à l’agropastoralisme le sachent d’autant que l’île d’El Hierro dépendait administrativement de celle voisine de La Gomera. Sur cette dernière, se trouvait le plus proche port fortifié et donc retenu sûr face aux pirates : celui de San Sebastian de La Gomera où Christophe Colomb relâchait. L’île d’El Hierro, au point de vue maritime, est restée au fil des siècles un endroit fort calme d’un abordage pas facile.
Cette tranquillité fait que son petit port de pêche moderne de La Restinga qui ne remonte qu’aux années 1960 – il est né spontanément à partir du dépôt frigorifique d’un armateur de La Gomera – est souvent choisi par les voiliers comme ultime abri avant le grand large et les Amériques. El Hierro est, par conséquent, encore le point zéro de leur voyage. El Hierro a également retenu l’attention – grâce à son bon état écologique, ses énergies renouvelables et ses riches fonds sous-marins – de l’équipage du bateau à pile à combustible hydrogène, Energy Observer pour un prochain documentaire sur Canal+ programmé en avril 2018, selon les dernières informations.
Nous sommes à La Restinga loin de l’agitation du port international de Santa Cruz de Tenerife et de ses porte-conteneurs. Un cadre qui, joint au fait que l’El Hierro essaie d’être une terre propre, est idéal pour préparer un voyage fort original car totalement écologique : la traversée en solitaire de l’Atlantique à la godille qui est, d’une certaine manière, la continuation de l’épopée de 73 jours à la rame de Gérard d’Aboville faite en 1980. Le départ est prévu pour le 25 décembre. C’est le loup de mer habitué aux traversées atlantiques à la voile Hervé Le Merrer, venu de Trébeurden dans les Côtes-d’Armor, qui a porté sur ses larges épaules seul le projet et la construction du micro-bateau en s’appuyant sur quelques amis techniciens et un financement participatif. Le bateau a été construit spécifiquement pour la traversée de l’Atlantique. Il ne fait que 6,50 mètres de long et il est en contreplaqué stratifié, un matériau bon marché. Son coût a été limité puisque le financement récolté fut de l’ordre de huit mille euros.
Néanmoins son navigateur-constructeur n’a pas badiné avec la sécurité et le seul élément ultra-moderne est le matériau des cinq godilles embarquées qui est la fibre de carbone.
La lenteur et donc un autre rapport à la mer sont ce que recherche Hervé Le Merrer. La quête de la lenteur ou plus exactement celle d’un autre rythme sont sûrement des clefs pour réussir le développement durable.
Bon vent à toutes et à tous qui avaient suivi le blog Climat’O durant l’année 2017 et bonne année 2018 !
L’image mise en avant est tirée de la page Facebook d’Hervé Le Merrer et elle montre les derniers essais d’Eizh An Eizh dans le port de la Restinga avant le départ pour l’Amérique qui finalement a eu lieu le 28 décembre, la météorologie le permettant. Hervé Le Merrer était accompagné d’un autre merveilleux fou ramant sur sa drôle de machine. Lors de la transat en solitaire d’Hervé Le Merrer, vous pourriez suivre en direct la progression du micro-bateau Eizh An Eizh vers les Antilles.