Estérel, El Hierro et La Réunion : tortues, oiseaux marins et leur futur

La bonne nouvelle et un antidote à la sixième extinction (de masse des espèces animales)  dans le milieu naturel  : le 22 juillet 2016, la ponte d’une tortue marine de l’espèce Caretta caretta, dite communément caret ou caouanne, sur la plage de Saint-Aygulf (Estérel, département du Var) ; puis, le 30 septembre, la naissance de trois petites tortues sur la vingtaine d’œufs pondus. Enfin, le 4 octobre, une autre tortue de 4 cm de longueur a été relâchée et elle a rejoint la mer par ses propres moyens. C’est tout à fait un phénomène exceptionnel tant au niveau ponte qu’éclosion sur les côtes françaises même si la tortue caret est la plus commune des trois espèces marines présentes en Mer Méditerranée.

Tortue caouanne ou caret, à peine éclose, rejoignant la mer. Taille : environ 4 cm. ©Axel Falguier.
Tortue caret ou caouanne, à peine éclose, rejoignant la mer. Taille : environ 4 cm. ©Axel Falguier.

Ce résultat a été obtenu grâce aux bons soins des baigneurs et touristes, des associations tel le Réseau tortues marines de Méditerranée française (RTMMF) et des Services techniques de la ville de Fréjus sous la houlette dans ce domaine  de M. Jacob, directeur du Service Environnement & Développement Durable.  Le nid avait dû être déplacé, hors de la plage, car les températures après la mi-septembre avaient trop chuté à la suite d’un épisode pluvieux.
Comment ai-je connu cette bonne nouvelle ? Parce que j’avais été invité par la CAVEM (Communauté d’Agglomération Var-Estérel-Méditerranée) et plus particulièrement par le Service de l’Environnement dirigé par M. Ferrero, en liaison avec le site de Futura-Sciences (FS). Nouvelle économie égal nouvelle localisation : FS est basé à Agay, une petite localité balnéaire de l’Estérel sur la  commune de Saint-Raphaël, créé par une famille issue de l’Oise dont le webmaster avait été étudiant en Bretagne au début des années 2000. La CAVEM avait organisé à la rentrée 2016-2017, les 15 et 16 septembre, son premier forum de l’environnement et du développement durable, dans le sillon de la COP21, au théâtre intercommunal de Fréjus (Var).

Lors de ma dernière mission sur l’île d’El Hierro dans l’archipel des Canaries à la fin d’octobre 2016, j’ai pu connaître, en le tenant entre mes bras (!), un de ses hôtes les plus discrets. Pourquoi cette discrétion ? Parce qu’il est nocturne, présent seulement quelques mois par an et uniquement en bord de mer dans les localités escarpées. C’est le puffin cendré (Calonestris borealis).

Puffin cendré (français), pardela cenicera (espagnol), cagarro (portugais), Calonestris diomedea (latin) . ©José Luís Ávila Silveira & Pedro Noronha e Costa, Wikipedia Communs.
Puffin cendré (français), pardela cenicienta (espagnol), cagarro (portugais), berta maggiore (italien), Calonestris borealis ou C. diomedea (latin) . ©José Luís Ávila Silveira & Pedro Noronha e Costa, Wikipedia Communs.

Le puffin cendré est protégé sur El Hierro et aux Canaries en général mais il doit faire face à de multiples dangers qui expliquent sa régression constante. Le puffin cendré n’est pas un oiseau qui s’adapte à la modernité c’est-à-dire à un milieu côtier toujours plus anthropisé à l’inverse du goéland dont il possède, à peu de choses près, la taille. Il est hyper-spécialisé comme l’albatros dont il partage la parenté, celle de l’ordre des Procellariiformes qui regroupe des oiseaux marins ou encore hauturiers caractérisés, sur le bec, par leurs narines tubulaires portant des glandes à sel leur permettant de boire l’eau de mer. Le puffin cendré s’alimente au large pour l’essentiel de calmars qui sont, la nuit, le plus souvent fluorescents dans la zone de surface. D’où il peut les confondre avec la lueur des lampadaires lorsqu’il est sur terre pour pondre, couver ou alimenter sa progéniture. Au sol, il ne peut pratiquement pas décoller, encombré par ses longues ailes en forme de faux, hors la solution de se  jeter d’un a-pic. Déjà, le puffin adulte décolle difficilement sur l’eau, tel un cygne, en battant longuement la mer de ses ailes .

“L’Albatros” selon Charles Baudelaire in “Les Fleurs du Mal” (1862) :

“A peine les [les marins] ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime en boitant, l’infirme qui volait !”

Le gros poussin de puffin cendré ne pouvant décoller du sol soit meurt de faim (ne pouvant s’alimenter que de calmars et de poissons) soit il est dévoré par un chien ou un chat soit encore il est écrasé par un véhicule. Il doit, après des journées de jeûne imposée par ses parents tels chez les albatros, se jeter à l’eau mais, en cas de mer agitée, le poussin est drossé sur les écueils.

Les écueils du Charco Manso un jour de grande houle dans laquelle flottait un poussin de pudffin cendré. 24 octobre 2016, île d'El Hierro. ©A. Gioda, IRD.
Les écueils du Charco Manso un jour de grande houle dans laquelle flottait un cadavre, ailes déployées, de poussin de puffin cendré. Le corps est à peine discernable au centre de la photographie dans la zone la plus agitée du rentrant, à la limite de l’ombre (où il est à demi-couvert d’écume) et de la lumière. 24 octobre 2016, île d’El Hierro. ©A. Gioda, IRD.

Cette hyper-spécialisation marine en fait un oiseau extrêmement fragile sur les côtes et les îles peuplées par les hommes et leurs commensaux tels rats et les chats féraux ou harets, des lieux qu’il ne fréquente que de nuit et lors des périodes de reproduction. Aux Canaries, les municipalités pour les jeunes puffins mènent des campagnes de prévention, caractérisées par l’extinction de l’éclairage public, et de sauvetage très actives notamment en liaison avec la presse, le milieu scolaire et les associations de protection de la nature. J’ai pu sauver un (gros) poussin de plus d’un kilogramme, le dimanche 30 novembre vers 21 heures, à la localité Las Puntas de Frontera sur l’île d’El Hierro.  Avec la complicité de la Guardia Civil et la police locale, il est parti, dans sa boîte en carton spécifique (voir la photographie mise en avant), en avion vers le centre de soins pour la faune sauvage de Tafira (île de Grande Canarie, face à l’Université homonyme ou UGC en abrégé) . Là-bas, il a été relâché, après quelques jours d’un jeûne naturel facilitant son envol.
En Europe, un grand succès a été obtenu sur une île déserte en 2012 par l’éradication des rongeurs  qui auparavant décimaient au nid les poussins de puffin des Anglais (Puffinus yelkouan), une espèce plus petite que le cendré (en italien). C’est l‘île de Montecristo. Cette petite terre de 10 km2 est proche de celle d’Elbe (Mer Tyrrhénienne, Italie), dans le canal de Corse.

Dans cette île de l’archipel toscan, Alexandre Dumas plaça en partie la fiction de son roman historique peut-être le plus célèbre : “Le Comte de Monte-Cristo” (1844). Son héros, Edmond Dantès, découvre sur l’île homonyme le trésor des Spada qui lui permettra d’assouvir sa vengeance.

Dans une troisième partie, nous parlerons des Suds, sachant que je travaille pour l’IRD. De plus, vous savez que ce blog a une certaine inclination insulaire, aussi évoquerons-nous l’île de La Réunion et ses oiseaux marins. Pour la sauvegarde des puffins et pétrels de l’île de La Réunion, il existe un programme européen spécifique dans le cadre de Life. Les pétrels sont toujours des membres de la famille des Procellariiformes mais ils sont bien plus petits que les puffins et a fortiori que les albatros. Sur l’île de La Réunion, nichent différents puffins et pétrels. Deux de ces derniers sont endémiques : le pétrel de Barau (Pterodroma barau), dit localement taille-vent, et celui de Bourbon (Pseudobulweria aterrima), appelé en langue créole “timize ».

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Gros plan de pétrel de Barau, oiseau marin endémique de l’île de la Réunion. © Martin Riethmuller.
Pétrel de Bourbon, oiseau marin endémique de l'île de la Réunion et eput-être l'oiseau le plus rare de France y compris l'Outre-Mer. © Parc National de La Réunion.
Pétrel de Bourbon, oiseau marin endémique de l’île de la Réunion et peut-être l’oiseau le plus rare de France y compris l’Outre-Mer. C’est donc un des plus menacés au Monde. Ses habitudes exclusivement nocturnes sur l’île qu’il ne fréquente que pour nicher, sa couleur noire, sa taille modeste comme sa zone de nidification localisée firent crurent longtemps qu’il était éteint tels beaucoup d’oiseaux insulaires. © Parc National de La Réunion.

Selon fin 2016 l’UICN-France (l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature), les collectivités françaises d’outre-mer sont quasiment incluses dans de points chauds de la biodiversité mondiale, c’est-à-dire des régions très riches en espèces mais également très menacées : îles Caraïbes, îles de l’océan Indien telle La Réunion, Polynésie-Micronésie, Nouvelle-Calédonie.
En conclusion, en élevage la reproduction des tortue est possible, avec de bons résultats chez beaucoup d’espèces terrestres. De plus, le succès de programmes de conservation font douter certains scientifiques de la sixième extinction massive qui serait en cours. Le doute est nécessaire et indispensable en science y compris à propos de la sixième extinction mais il est indiscutable que le nombre des grands animaux est en fort déclin sur la planète Terre. Au-delà de ce constat, de nombreuses espèces d’oiseaux insulaires ont disparu à cause de l’homme et de ses activités dont le plus emblématique est le dodo ou dronte de l’île Maurice (Raphus cucullatus). Ajoutons qu’il y en avait encore un autre dronte sur l’île Rodrigues, la dernière terre de l’archipel des Mascareignes dans l’Océan Indien qui comprend aussi l’île de La Réunion. Ici, cela ne fait plus du tout sourire car les oiseaux sont bien les robustes descendants des Dinosauriens , ceux qui ont survécu à ces derniers et par conséquent ceux qui se sont développés grandement (avec les mammifères) après la cinquième et indiscutable extinction massive (Crétacé/Tertiaire) qui avait marqué la fin de l’ère Secondaire, il y a quelque 65 millions d’années. Néanmoins l’homme a été capable d’exterminer, en un siècle environ, un des oiseaux les plus communs au Monde et qui se comptait par milliards (peut-être jusqu’à cinq) : la tourte voyageuse ou pigeon migrateur américain (Ectopistes migratorius).
Toutefois, reprenons de la hauteur, tels les beaux oiseaux marins, avec une citation de bon auteur. Après Charles Baudelaire et Alexandre Dumas, apprécions Umberto Eco  – ayant récemment rejoint les nuages les plus élevés le 19 février 2016 –  dans “N’espérez pas vous débarrasser des livres”. J’ai utilisé une citation tronquée et enlevée afin de vous inciter à lire cet essai délicieux, écrit à deux mains avec Jean-Claude Carrière :

“[…] Mais, en même temps, il [l’être humain] n’a pas cessé de faire la guerre à ses semblables, de se tromper, de détruire son environnement, etc. La balance entre la haute vertu intellectuelle et la basse connerie donne un résultat à peu près neutre”.

 

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