Le 27/06/2016, la centrale EnR d’El Hierro a fêté ses deux années de fonctionnement. C’est une originale centrale électrique éolienne et hydraulique dans laquelle la seconde énergie est stockée grâce à la première et prête à la relayer à la demande ou en cas de panne de vent.
Laissons la place aux chiffres. A dix reprises, pendant le premier semestre de 2016, toute l’énergie produite sur l’île d’El Hierro (environ 300 km2 pour 6 000/7 000 habitants permanents) était 100% locale et 100% renouvelable. Le record de durée de fourniture sans interruption de courant 100% EnR est légèrement postérieur : 76 heures (3 jours et 4 heures – du 30/07 à 4h50 au 02/08 à 8h50). Il est advenu à cheval entre juillet et août 2016 avec un précédent record de 55 heures toujours en juillet 2016 (du 10/07 à 23h29 au 13/07 à 6h52). En juillet 2016, les EnR représentèrent en moyenne 67% du mix énergétique insulaire. Selon les données du Réseau Electrique Espagnol (REE), pour le premier semestre de 2016 (marqué par la grande faiblesse des vents en cette année caractérisée par El Niño exceptionnel), les EnR pesèrent 37,4% dans le mix énergétique de l’île. Il faut se souvenir qu’il avait, au niveau de la production électrique, 100% d’énergies fossiles sur l’île avant juin 2014.
Par conséquent, est-ce que l’île bénéficie du 100% EnR dans 100% des cas ou mieux dans 100% du temps ? La réponse est non. Je ne vais pas expliquer, dans le cadre de ce billet, le pourquoi et le comment de cet état de fait mais je vais rappeler que , dans un article académique de 2014 c’est-à-dire relu et critiqué par mes pairs et aussi en accès libre, j’avais analysé des limites de la réalisation publiées et signées, dans des médias espagnols, par essentiellement des ingénieurs des Canaries. Maintenant, donc en 2016, s’ajoutent des critiques de la centrale EnR d’El Hierro par le bloc des partisans nombreux de l’énergie nucléaire en France mais je ne vais pas les citer afin de pas polémiquer ; elles sont faciles à retrouver sur l’Internet. Aussi ai-je décliné cet été l’offre de l’expert en transition énergétique Alain Grandjean, toujours généreux avec les personnes, telle Fanny Picard, faisant bouger les lignes, de m’exprimer dans son blog très fouillé “Les Chroniques de l’Anthropocène”. Je préfère vous renvoyer à la tribune (en espagnol) de Tomás Padrón Hernández, publiée dans la presse de Canaries du 01/08/2016, et dans laquelle il est cité l’auteur principal des critiques du côté français. Tomás Padrón Hernández est le père – soit le concepteur – de la centrale EnR d’El Hierro mais il fut aussi le responsable technique, en tant qu’ingénieur, de l’unique centrale électrique thermique (au fioul) de cette île. Par conséquent, c’est “un fils du pétrole” car il travailla pendant des décennies pour la société Unelco (absorbée ensuite par Endesa, elle-même contrôlée de nos jours par l’Enel italienne). Toutefois, Tomás Padrón Hernández a fait sa mue et même il est sorti de la chrysalide pour bâtir dans sa tête, puis pratiquement de ses mains mais toujours avec le soutien populaire c’est-à-dire des électeurs, une centrale EnR. Son but était de donner l’autonomie énergétique à son île dans le cadre d’un projet politique se déroulant sur plus de quatre décennies. Qu’écrit (en espagnol) Tomás Padrón Hernández dans sa tribune du 01/08/2016 ? “Pratiquement jamais, nous n’avons reçu des jugements favorables de la part des secteurs proches des énergies fossiles ou de l’énergie nucléaire”.
De même en France, la greffe d’un spécialiste des énergies citoyennes et de la transition énergétique, Gérard Mangin le fondateur d’Energy Cities en 1990, dans le Conseil d’Administration d’EdF n’a pas pris, aboutissant à sa démission le 28/07/2016.
Autre thème ou plutôt autre terme pouvant chagriner certains : le 100% recyclable. Est-il atteint à ce jour sur El Hierro ? Non bien sûr mais la collecte différenciée est très avancée sur l’île avec jusqu’à sept types de conteneurs dont un pour le recyclage des huiles usagées dont celles de cuisine afin de fabriquer localement le bio-diesel des véhicules administratifs.
Autre chiffre clef : toute l’île d’El Hierro est à 100% incluse dans la Réserve de la Biosphère de l’Unesco depuis l’an 2000. S’y ajoute une partie de ses fonds sous-marins dont la plupart du Mar de las Calmas : la zone de l’Océan Atlantique, baignant la côte méridionale d’El Hierro, qui est à l’abri des alizés, les vents dominants .
Ce ne veut pas dire qu’il s’agisse d’un Parc National contrôlé par l’Etat central et un institut tel celui des Eaux et Forêts comme l’était, en Espagne, l’ICONA jusqu’au début des années 1990. Cela signifie que la plupart des activités économiques sont permises sur toute l’île avec une autogestion du territoire tandis que l’Unesco surveille, par des expertises régulières, le bon fonctionnement de la Réserve de la Biosphère qui est gérée par les techniciens locaux. Tout n’est pas parfait. Aussi, depuis les 25 années que j’arpente El Hierro, ai-je assisté au mitage du paysage (alors que finalement la population des résidents n’a guère augmenté) et le style des nouvelles constructions (de personnes riches : retraités étrangers, originaires de l’île de retour, îliens louant un nouveau bien) est loin de celui de la traditionnelle maison de l’archipel des Canaries qui est petite, cubique et sans étage, blanche et/ou couleur de lave (le matériau de construction local). Il est possible de regretter avec l’architecte Joanne Rasse ces méfaits. Depuis César Manrique décédé en 1992, nul grand architecte proche de la nature n’est intervenu, de façon significative, pour animer les esprits durablement. Il y en avait pourtant de disponibles et je pense par exemple à Edouard FRANÇOIS, avec entre autres “l’immeuble qui pousse” (tel un arbre), qui a une vision et des réalisations brutalistes de la rencontre ou mieux dit du choc entre son art et l’écologie. Bien sûr, là aussi il n’est pas à 100% vert pour d’aucuns de ses Collègues. Toutefois, à l’inverse, l’autogestion a permis l’appropriation du territoire par les îliens qui disent fréquemment “notre île”, en la chérissant, et maintenant un cadre normatif pour les nouveaux bâtiments a été adopté par l’administration locale.
A propos du Parc Marin d’El Hierro, se retrouve en 2016 le débat, ayant déjà agité l’île dans les années 1990, entre une gestion centralisée de la protection et de l’aménagement du territoire et une autre plus locale. Avec le gouvernement du pays (ad interim depuis les élections générales du 20/12/2015), la ministre espagnole de l’Agriculture, en charge aussi de l’Environnement, prône le classement du Mar de las Calmas en Parc National Marin qui serait le second en Europe après celui de Port-Cros en France. Dans ce cas, cela serait les 100% protection du milieu qui seraient recherchés. La responsable politique l’île et donc son élue principale exprime officiellement ses craintes de limitations des activités en tous genres et elle se prononce (en espagnol) pour un statut proche de celui des Parcs Naturels marins ou Réserves Marines en France, tel celui de la Mer d’Iroise en Bretagne, soit le maintien du cadre actuel. Au-delà du conflit ou de la tension entre protection et développement durable, il y a aussi la crainte des élus locaux de perdre la gestion administrative de leur territoire, grâce à la Réserve de la Biosphère qui couvrent 100% de l’aire de l’île et des zones marines proches de ses côtes, au profit de Madrid et donc de l’administration centrale des Parcs Nationaux.
Vous avez compris : le chiffres des hommes et femmes politiques sont là pour faire sérieux et ils ne sont surtout pas à prendre au sérieux (ou plutôt à la lettre si ce n’était point une faute de logique) dans ce prisme. L’écologie est une science, dont les fondations ont été grandement posées par Alexander von Humboldt au tout début du XIXe siècle, avant d’être aussi devenu un mouvement politique depuis les années 1960. Il en résulte un peu de confusion dans les têtes mais l’important sur El Hierro est le bon état de la Réserve de la Biosphère notamment au niveau forestier, que les fonds marins soient suffisamment riches et donc préservés par une pêche locale durable pour qu’on pense, au loin à Madrid, à en faire un Parc National c’est-à-dire un exemple au niveau espagnol.
Toutefois, sur l’île, le plus important est que ses habitants aient pris conscience de la richesse de leur environnement et qu’ils le soignent collectivement tel un bien commun tout en tissant une relation personnelle avec la nature.
Il reste en souriant à assurer les 100% autonomie économique et là c’est un long chemin : les activités actuelles sont trop faibles pour dégager de bons revenus et, depuis toujours sauf durant les booms, l’île s’auto-régule par l’émigration de ses jeunes. Changer la donne voudrait dire améliorer sensiblement les entrées du secteur primaire (agriculture, élevage et pêche) et du tourisme sans perdre le contrôle par les îliens de leur terre. Le défi de taille est à relever sachant que les gens d’El Hierro sont 6 000 à 7 000 et que, sur les autres îles de l’archipel des Canaries, en plus des résidents, campèrent 11,6 millions de touristes en 2015. Les planificateurs tablent déjà sur plus de 14 millions de touristes dès 2016 . Juste en face car le grand volcan Pic du Teide de l’île de Tenerife (3 718 m) et la Caldeira du Taburiente (avec le Roque de los Muchachos et ses 2 426 mètres) de l’île de La Palma se voient, à l’œil nu, sur les hauteurs, il y a le risque pour la lilliputienne population d’El Hierro de disparaître ou mieux dit d’être rapidement absorbée à 100%. Ces quelque 6 000/7 000 habitants et surtout leur mode de vie seraient submergés par les flux de l’industrie touristique. Ils s’éteindraient, si on pouvait faire un parallèle, comme bien des espèces insulaires, depuis celle du dodo en 1690 sur l’île Maurice (alors île Mauritius). Sauf sur El Hierro, l’Anthropocène aux Canaries est vraiment l’ère géologique actuelle.
En conclusion, puissent mes sinistres prophéties restées 100% virtuelles et ce chiffrage des 100% resté dans le domaine publicitaire.