Décidemment, Mars n’en finit pas de nous surprendre depuis l’arrivée du robot Curiosity sur son sol. Avant cette mission, la planète rouge était présentée comme très hostile à la vie, avec un sol à la chimie agressive, bourré de superoxydes (des perchlorates, notamment) ; avec aucune matière organique (ces composés riches en carbone « réduit » dont la biologie a besoin) ; et un passé certes aqueux au début de son histoire, mais une eau que l’on nous présentait volontiers comme acide et inhospitalière pour la naissance de la vie.
Depuis, Curiosity a changé tout cela. On découvre petit à petit une Mars beaucoup plus séduisante, au point où je me remets à rêver d’un terroir où les futurs colons installeront des serres à même le sol et—petit phantasme personnel—planteront des vignes.
Cette transformation de l’image de Mars s’est faite en plusieurs étapes au cours des deux années écoulées. Ce fut d’abord la découverte sur le site du cratère Gale d’argiles « neutres », dès les premiers forages, c’est-à-dire formés au fond d’un ancien lac qui n’était ni hyperacide, ni hypersalin, bref de l’eau potable… sinon à mettre en bouteille, en tout cas pour toute bactérie qui aurait voulu s’y développer.
L’absence de matière organique a elle aussi été battue en brèche. Avec la prudence qui s’impose, les chimistes—et notamment ceux du laboratoire français SAM installé à bord de la sonde—sont désormais de plus en plus convaincus que la cuisson des échantillons d’argile et la vaporisation de ses éléments volatils, entreprises par leur appareil, révèle que cette argile contient bien des molécules organiques et pas qu’un peu : environ 500 parts par million, c’est-à-dire 0,05 %. Ce n’est pas rien.
Précisons que la méthode de détection est indirecte : en chauffant l’échantillon, on détruit les molécules organiques en question et on ne mesure que le dioxyde de carbone dégagé par leur combustion. Mais des détails de l’opération permettent d’assurer que ce sont bien des molécules organiques qui ont ainsi été brûlées. Quant à leur origine, ces molécules auraient été apportées de l’espace par des météorites (certaines catégories de ces pierres du ciel en regorgent), la possibilité qu’une partie soit de nature biologique, conçue par une vie martienne, ne pouvant pas pour l’instant être écartée.
Que ces fragiles molécules n’aient pas été détruites en plus de trois milliards d’années (l’âge des sédiments) par les rayons cosmiques peut surprendre, mais les chercheurs ont une explication : en mesurant la quantité de gaz, tels que l’hélium, formés par l’impact de ces rayons cosmiques, ils ont montré que le sédiments du site étaient enterrés et bien protégés du rayonnement depuis cette époque, et n’ont été mis à découvert par l’érosion du vent qu’il y a 100 millions d’années ou moins.
Dernière découverte en date : Curiosity aurait découvert des nitrates dans le sol, autre ingrédient que la vie apprécie pour construire ses molécules. Là aussi, il s’agit d’une mesure indirecte après combustion de l’échantillon à des fins d’analyse : c’est du diazote (N2) qui est détecté. La bonne nouvelle, c’est que ces précieux nitrates sont partout—dans les sédiments et dans le sol poussiéreux distribué à l’échelle planétaire par le vent—et qu’il y en a beaucoup : entre 0,1 et 1 %. Leur création est imputée aux éclairs et autres ondes de choc dans l’atmosphère martienne, à partir de l’abondant diazote qu’il contient, par exemple lors d’impacts d’astéroïdes.
Il y a une dizaine d’années, lorsque je conduisais des simulations de séjour sur la planète rouge avec l’Association Planète Mars et la Mars Society, notamment dans l’Arctique, l’un de mes sujets d’étude était l’analyse et l’exploitation du sol martien à des fins agricoles, par exemple sous serre pour les plantes. À l’époque, en me basant sur les analyses des sondes Viking des années 1970 puis de Phoenix en 2008, je n’étais pas très optimiste. Prétendre planter un vignoble sur Mars, comme je me plaisais à fantasmer, était du domaine de l’impossible, et les cultures sous serre prenaient de plus en plus l’allure de cultures hydroponique sur substrat artificiel. Adieu le terroir martien et ses descriptions élogieuses sur les futures bouteilles de Château Amazonis et autre Côteaux-d’Olympus Mons.
Aujourd’hui, je me remets à sourire : on peut encore rêver…