La gravitation est-elle émergente ?

La vision usuelle de la physique suggère qu’il existe quatre forces fondamentales :
– la force électromagnétique
– la force nucléaire faible
– la force nucléaire forte
– la force gravitationnelle

Mais rien n’assure que ces forces fondamentales soient … vraiment fondamentales ! Elles pourraient émerger de quelque chose de plus fondamentale encore. Pour ce qui concerne la gravitation, quelques indices existent en ce sens : pourquoi est-elle si faible ?, pourquoi ne se laisse-t-elle pas quantifier simplement ?

Les ondes sonores, par exemple, sont émergentes. Elles proviennent d’effets collectifs dans les molécules de l’air. Elles ne sont pas des phénomènes fondamentaux et, pour cette raison, il n’est par exemple pas envisagé de les quantifier. La connaissance du processus d’émergence change notre façon de comprendre le phénomène de façon non-triviale.

La question essentielle est ici celle du « type » d’émergence. Il se pourrait par exemple que la gravitation émerge de la théorie des cordes. Il s’agit d’une description unificatrice du monde dans laquelle les entités fondamentales seraient des sortes de petits élastiques en vibration. C’est une hypothèse ancienne, spéculative, qui serait évidemment très novatrice mais à mon sens pas révolutionnaire au sens de l’émergence. Une autre possibilité serait celle de la gravitation quantique à boucles que je décris en détails ici.

Mais la forme d’émergence particulière que je veux évoquer dans ce billet est différente. Elle est thermodynamique. La thermodynamique est une science qui montre que les propriétés d’un système physique constitué d’un grand nombre de petits éléments peuvent être comprises indépendamment des détails des constituants fondamentaux. C’est une science extraordinairement belle et fiable.

Représentation imagée de la légende de la pomme de Newton (de LOTHARLORRAINE)

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Plaidoyer pour une économie de l’amour

(Cet article n’est pas strictement scientifique au sens usuel du terme. Je le publie néanmoins sur ce blog car il dit quelque chose du monde, au moins il propose un rapport au monde. Dans une visée absolument non-polémique.)

Ce que je voudrais exprimer ici est extrêmement simple, presque outrageusement désuet. Cela pourrait se résumer à : l’essentiel, ils ne peuvent pas nous le prendre. Ou encore : sans abandonner les luttes nécessaires, redonnons aussi à l’inaliénable son inestimable valeur. L’amour n’est pas à vendre et ne se laisse jamais acheter. C’est évident, trivial même, mais il faut l’écrire aujourd’hui parce l’ultime violence de notre temps serait peut-être celle-ci : nous contraindre à oublier l’incommensurable richesse qui échappe radicalement à toutes les formes de régulation, d’institutionnalisation et de marchandisation. Si le mot vérité a encore un sens – et je le crois – c’est bien celui de mémoire, celui qu’il avait d’ailleurs dès les origines, celui donc de l’anamnèse portée par la parole du poète.

En grec ancien, économie, oikonomía, signifie littéralement gestion de l’habitat. Mais il y a plus d’une manière de gérer et plus d’une manière d’habiter. La gestion pourrait n’être pas financière et l’habitat pourrait n’être pas la demeure. Ce qu’on pense usuellement comme « administration d’un foyer » pourrait aussi – c’est à nous d’en décider – signifier « réagencement de l’espace ».

Kandinsky

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Contre les “faits alternatifs”, la nuance radicale

La nouvelle administration américaine ne nous aura rien épargné. À la vulgarité, à la misogynie, au racisme, à l’ignorance, au mépris du pauvre et du faible, ils auront ajouté une nouvelle strate de bêtise dangereuse (qui n’est d’ailleurs pas hétérogène aux autres méfaits juste mentionnés) : la haine de la vérité.

Nier, par exemple, le réchauffement climatique n’est pas qu’un geste symbolique stupide et pathétique, c’est un acte criminel. C’est peut-être même commettre l’ignominie suprême : faire par avance payer à ceux qui ne sont pas encore (pas seulement les hommes mais aussi les milliers de milliards d’animaux concernés) le prix exorbitant, c’est-à-dire létal, du petit supplément de luxe que les privilégiés de note temps veulent s’octroyer encore, pour jouir sans frémir une dernière fois, jusqu’à l’ivresse.

Entraver la liberté de communication des scientifiques est un symptôme. Celui d’une angoisse pathologique qui traverse les hautes sphères de l’Etat américain : l’angoisse de la vérité.
Soyons donc parfaitement clairs et sans la moindre ambiguïté : ce comportement négationniste et falsificationiste, cette généralisation du mensonge délibéré, doivent être combattus et réfutés avec la plus grande virulence. Il est exclusivement nuisible et ne peut bénéficier d’aucune circonstance atténuante. C’est là, me semble-t-il, un point qui n’appelle aucune discussion supplémentaire.

Kellyanne Conway, conseillère de Donald Trump, ayant inventé un massacre qui n’a jamais existé. (Eduardo Munoz/ Reuters)

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Les ondes gravitationnelles révèlent-elles une physique au-delà de la relativité générale ?

Il y a peu, l’expérience LIGO a mesuré les ondes gravitationnelles – petites vibrations de l’espace – engendrées par la danse de deux trous noirs. Il ne s’agissait pas vraiment d’une découverte puisque les ondes gravitationnelles ont été détectées il y 40 ans grâce à un système binaire de pulsars (le prix Nobel a été donné il y a 20 ans pour cela). Il ne s’agissait pas vraiment d’une détections tout-à-fait directe puisque nous n’avons jamais accès à l’en-soi des choses en physique et toute mesure est une très complexe et très indirecte mise en évidence du phénomène recherché. Il ne s’agissait pas non plus d’une « preuve » de la théorie d’Einstein puisqu’aucune théorie n’a été prouvé en sciences de la Nature et aucune ne le sera jamais (pour la simple raison que toutes les théories sont fausses, elle sont seulement la meilleure proposition dont nous disposons à un instant donné).

Pour autant, ces mesures sont très loin d’être inutiles ! Tout au contraire, elles ouvrent un champ nouveau et fascinant ! C’est une véritable astronomie gravitationnelles qui va maintenant émerger et donner accès à des visages du cosmos qui nous sont pour le moment inconnu. Une nouvelle ère s’ouvre. Nous disposons d’un « nouveau sens » pour scruter et comprendre notre environnement.

Simulation d'Alain Riazuelo
Simulation d’Alain Riazuelo

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Gravitation quantique : où en est-on ?

Durant les 15 derniers jours, j’ai eu le plaisir de participer à deux congrès internationaux de recherche sur la gravitation quantique auxquels j’étais invité pour présenter les travaux réalisés avec mes proches collègues (en particulier Boris Bolliet, Julien Grain, Killian Martineau, Francesca Vidotto). Le premier « Experimental Search for Quantum Gravity » avait lieu à l’Institute for Advanced Studies de Frankfort, le second « Emergent Spacetime in quantum gravity and Fundamental Cosmology » se tenait à l’Institut Albert Einstein de Gölm.

Ce fut pour moi l’occasion de mesurer une fois de plus la formidable vitalité des recherches en cours sur ces thématiques ! Commençons par expliquer ce qu’est la gravitation quantique. Nous avons, en physique, deux grandes théories pour décrire le réel. D’une part, il y a la mécanique quantique. Elle rend compte du comportement de la matière, en particulier à l’échelle microscopique. D’autre part, il y a la relativité générale. Elle rend compte de la nature et de l’évolution de l’espace-temps. Autrement dit, la première renseigne sur le contenu, la seconde sur le contenant. Hélas, ces deux théories sont incompatibles l’une avec l’autre !

Variété de Calai-Yau en théorie des cordes (by Stewart Dickson)
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Une galaxie faite à 99.99% de matière noire !

La matière noire a une longue histoire. Son existence a été supposée pour la première fois en 1933 et a été confirmée de façon fiable en 1970. C’est un mystère qui dure et c’est rare ! Il y a quelques temps, une petite anomalie, peut-être un signe de nouvelle physique, a été détectée auprès du grand collisionneur LHC du CERN. S’ensuivit une intense excitation. Hélas il ne s’agissait que d’une fluctuation statistique : rien de sérieux. Au contraire, les indications en faveur de l’existence de matière noire ne font que s’accumuler avec le temps ! Il est maintenant presque certain que la matière noire existe bel et bien.

Mais qu’est-elle ? Ca, nous ne le savons pas ! Il existe de la matière noire « standard », composée de protons et de neutrons. Elle est sans doute 10 fois plus abondante que la matière visible (elle-même essentiellement faite d’étoiles). Mais il existe aussi de la matière noire « exotique » qui n’est pas faite de protons et de neutrons ! Nous ignorons tout des particules qui la compose. Et elle est environ 5 fois plus abondante que la matière noire standard et donc 50 fois plus abondante que les étoiles.

La galaxie Dragonfly 44.
La galaxie Dragonfly 44.

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Rayons gammas et trous noirs en rebond

Le satellite Fermi est dédié à l’étude des rayons gammas, c’est-à-dire des photons de très haute énergie se propageant dans l’Univers. Il a été lancé en 2008 et fonctionne encore. Il est capable de aniesurer, avec l’instrument LAT, ces rayons gammas à des énergies comprises entre 20 millions de fois et 300 milliards de fois celles de la lumière visible. Il a apporté des résultats importants pour la compréhension des phénomènes violents dans le cosmos : pulsars, quasars, microquasars, sursauts gammas, etc.

Le ciel "gamma" mesuré par Fermi
Le ciel “gamma” mesuré par Fermi

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Bon anniversaire, Carlo Rovelli !

Il y a quelques semaines, eut lieu à Marseille une conférence internationale un peu particulière. Il était en effet question à la fois de réunir les spécialistes de gravitation quantique à boucles pour discuter des dernières avancées de la théorie – comme il est d’usage dans les congrès – mais aussi de fêter le soixantième anniversaire d’une personnalité hors du commun : Carlo Rovelli.

Carlo Rovelli
Carlo Rovelli

Carlo Rovelli est d’abord un physicien exceptionnel. Il a inventé – avec Lee Smolin – la gravitation quantique à boucle qui est l’une des rares théories prometteuses tentant de concilier la relativité générale avec la physique quantique. Mais il a aussi contribué de façon notable à la mécanique quantique elle-même (surtout au niveau de l’interprétation) et à la relativité générale. Il a également lancé plusieurs directions de recherche qui se sont avérées très fructueuses. Enfin, c’est aussi un philosophe qui pense avec subtilité et lucidité sa discipline et le sens de la science en général.

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Pourquoi tester le principe d’équivalence ? Le satellite Microscope.

Le satellite Microscope a été lancé, il y a peu, par une fusée Soyouz pour tester le principe d’équivalence. Qu’est-ce que cela et pourquoi vouloir améliorer la précision d’une mise à l’épreuve de cet élément central de la physique déjà fort bien confirmé par de multiples expériences ?

Le principe d’équivalence est le constat suivant : tous les corps chutent de la même manière dans le champ gravitationnel, quelles que soient leurs masses. Il joue donc un rôle central dans la construction de la relativité général car c’est à partir de celui-ci qu’Einstein comprend que, parce que la gravité est la même pour tous, il est peut-être possible de la décrire comme une déformation de l’espace-temps – qui, précisément, nous contient tous – plutôt que comme une force agissant sur les objets.

Satellite Microcsope. Copyrigths CNES. (Illustration de D. Ducros)
Satellite Microcsope. Copyrigths CNES. (Illustration de D. Ducros)

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De la nouvelle physique, enfin !

Le 15 décembre dernier, était annoncé par le CERN une légère anomalie dans les données qui pourrait être interprétée comme une nouvelle particule. Il s’agit d’un excès de paires de photons à une énergie d’environ 750 GeV (soit 750 milliards de fois l’énergie de la lumière visible), potentiellement engendré par la désintégration d’une entité encore inconnue. Cette analyse a été menée conjointement par les deux plus grands détecteurs (ATLAS et CMS) installés sur le collisionneur de protons de 27 km de circonférence situé 100 mètres sous Terre, le LHC.

Le 17 mars, une nouvelle analyse a été présentée, en particulier par l’expérience CMS, et le signal est maintenant légèrement plus significatif.

Événement observé par l'expérience CMS
Événement observé par l’expérience CMS

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De la Vérité dans les Sciences

De la Vérité dans les Sciences est le titre de mon nouveau petit livre qui vient de sortir. C’est une modeste contribution à la question abyssale de l’articulation de la Vérité avec les différents champs cognitifs. Je tente d’y défendre un point de vue mesuré qui se distancie à la fois d’un scientisme hyper-rationaliste à mon sens naïf et d’un obscurantisme nihiliste à mon sens nocif. Il me semble que dans notre époque pétrie de certitudes, une invitation à la nuance, au doute, à la prise de recul, à la mise à distance, pour ne pas dire à la déconstruction, peut être bienvenue.

La science ne dit évidemment pas n’importe quoi. C’est indéniable et il faut le rappeler avec force. Mais tout me semble laisser penser qu’elle n’est pas non plus le dévoilement – suivant le schème de l’alètheia – de l’en-soi ultime du réel. Je tente de montrer qu’il est logiquement incohérent et éthiquement dangereux je considérer que la physique constitue l’unique vérité sur le monde. Pourtant, j’essaye d’arguer qu’elle constitue un magnifique moyen de tenter d’appréhender quelque chose de notre environnement qui dépasse nos simples fantasmes ou fantômes.

On peut voir ici une vidéo où je présente la première partie du livre sur l’excellent site “philosophies.tv”.

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L’énigme des sursauts radios se dévoile

Depuis une dizaine d’années, de mystérieux flashs sont observés dans le domaine des ondes radio. Il semble qu’ils témoignent de phénomènes cosmiques lointains libérant en un bref instant une quantité considérable d’énergie. Différents modèles ont été proposés pour expliquer leur origine. Les plus crédibles se fondent sur des objets astrophysiques bien connus. D’autres sont plus exotiques, comme celui que j’ai suggéré avec Carlo Rovelli et Francesca Vidotto (voir ici), utilisant des effets de gravitation quantique faisant rebondir les trous noirs en trous blancs.

CSIRO's Parkes radio telescope (credit: Swinburne Astronomy Productions)
CSIRO’s Parkes radio telescope (credit: Swinburne Astronomy Productions)

La nouveauté vient de ce que pour la première fois il a été possible, il y a quelques jours, d’identifier la galaxie qui hébergeait un sursaut ! Elle se trouve à 6 milliards d’années-lumière de la Terre.
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Sursauts gammas et fusions de trous noirs : des sirènes gravitationnelles ?

Récemment, l’expérience LIGO a annoncé la détection d’ondes gravitationnelles émanant de la fusion de deux trous noirs. Il s’agit d’une avancée majeure. Pour la première fois, nous avons observé sans ambiguïté des effets qui sont directement liés à la présence d’un horizon, la caractéristique essentielle des trous noirs. De plus, il a même été possible de mesurer l’énergie émise sous la forme de ces ondes d’espace et la vitesse à laquelle le trou noir final tourne sur lui-même.
(Crédit : SXS project)
(Crédit : SXS project)
Le satellite Fermi a annoncé avoir observé un sursaut de rayons gammas presque au même moment que la coalescence détectée par LIGO et provenant de la même direction. Cette annonce est sujette à caution car d’autres détecteurs ne l’ont pas confirmée et la position est très mal mesurée avec les deux antennes de LIGO. Si néanmoins elle s’avérait exacte, elle ouvrirait d’intéressantes perspectives.

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Big Bang et au-delà

Voici la nouvelle édition de mon petit livre « Big Bang et au-delà », juste publié chez Dunod.

Il s’agit une balade en cosmologie, sans prétention à l’exhaustivité. Je tente de passer en revue les avancées majeures de la science de l’Univers, mais aussi de souligner l’immensité de ce que nous ne comprenons pas encore. On y croise des trous noirs et des particules élémentaires, on s’y interroge sur les fondements théorique et les bases observationnelles du modèle du Big Bang. En conclusion, se pose la question des univers multiples. Quelques préoccupations philosophiques et poétiques, évidemment biaisées par mes intérêts propres et sans la moindre vocation au “panorama”, s’invitent ici et là.
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Pour souligner que la science est aussi une aventure humaine, je conte également — en filigrane — un certain nombre d’anecdotes personnelles, de révoltes et de positionnement sociétaux. La question de la souffrance infligée aux animaux ou de l’exclusion des plus faibles, quoique non directement reliée, ne peut pas ne pas se poser, je crois, quand on tente de scruter notre environnement.

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Et si le temps disparaissait proche du Big Bang ?

La relativité générale, la grande théorie d’Einstein, fonctionne remarquablement bien ! Nous venons d’en avoir une nouvelle confirmation avec la magnifique mesure des ondes gravitationnelles par LIGO. Elle nous apprend que l’espace est une entité dynamique et que l’expansion de l’Univers est en fait une dilatation de l’espace. Grâce à elle, il est possible de rendre compte de façon fiable et précise de l’essentiel de l’histoire de l’Univers. Hélas, elle ne fonctionne plus au moment du Big Bang ou juste autour de celui-ci. Il faudrait alors disposer d’une théorie « meilleure » que la relativité générale : une théorie de gravitation quantique, c’est-à-dire conciliant les deux piliers de la physique de 20ème siècle.
Illustration imagée de l'espace en gravité quantique à boucles (crédit : Carlo Rovelli)
Illustration imagée de l’espace en gravité quantique à boucles (crédit : Carlo Rovelli)
À l’heure actuelle aucune théorie consensuelle de gravitation quantique n’existe. Parmi les modèles les plus étudiés, on trouve la théorie des cordes et la gravitation quantique à boucles. Cette dernière fait apparaître des espèces « d’atomes d’espace ». Depuis une quinzaine d’années, elle a été appliquée avec succès à l’Univers lui-même et montre que le Big Bang disparaitrait et serait remplacé par un grand rebond, un Big Bounce. Il s’agit naturellement d’un modèle spéculatif mais il est cohérent.

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Vient-on vraiment de découvrir les ondes gravitationnelles ?

Les ondes gravitationnelles sont de petites vibrations de l’espace et la journée du 11 février fut historique pour celles-ci ! Nous venons de vivre un événement majeur.

La publication ‘historique’ est ici.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux commencer par commenter le titre provocateur de ce billet : il ne s’agit nullement de contester ou de dénigrer la magnifique détection opérée par l’expérience LIGO et moins encore d’en contester l’intérêt phénoménal. Il s’agit d’une mesure à la fois sidérante et émouvante. Voir des trous noirs de cette manière est sans précédent dans notre histoire et je vais y venir en conclusion. Mais je crois néanmoins qu’il est important de produire certains éclaircissements par rapport à différentes analyses un peu trop rapides qui fleurissent ici et là, de façon que cette avancée exceptionnelle soit appréciée pour ce qu’elle est vraiment !

1) Vient-on de découvrir les ondes gravitationnelles ?

Non. La découverte est ancienne. Une découverte, en effet, est une indication que l’on considère comme suffisamment fiable pour lui accorder notre crédit. Ce n’est jamais une preuve irréfutable. C’est un faisceau d’indices qui convergent. On ne peut pas être certain, par exemple que ce qu’a mesuré le CERN est bien le boson de Higgs prévu par nos théories. Mais cela semble si crédible que nous pouvons collectivement nous mettre d’accord sur ce qu’il s’agit très vraisemblablement de la découverte expérimentale du Higgs.
Et ce sens, je crois qu’on peut s’accorder à considérer que les ondes gravitationnelles avaient déjà, et depuis bien longtemps, été découvertes ! En effet, le système binaire de Hulse-Taylor, un pulsar tournant autour d’une étoile à neutron, étudié dès 1974 a permis de montrer que la variation de période orbitale observée était exactement expliquée par l’émission d’ondes gravitationnelles. S’ensuivit le prix Nobel en 1993. D’autres systèmes de ce type furent découverts, tous en parfaite adéquation avec ce que prédisait l’émission d’ondes gravitationnelles (cf figure ci-dessous). À ma connaissance, plus personne ne doutait de l’existence des ondes gravitationnelles. La détection a donc déjà eu lieu il y a des décennies.
On pourrait objecter qu’il s’agissait d’une détection indirecte tandis que celle, toute récente, de LIGO est directe. Je pense que cette distinction n’a aucun sens épistémologique. Aucune détection n’est jamais “directe” : on observe les effets secondaires d’un phénomène physique sur des objets utilisés comme outils de mesure. C’est ce qui a lieu dans les deux expériences considérées et la seconde (LIGO) n’est pas plus « directe » que la première. Je suis persuadé que si l’interféromètre de type LIGO existait naturellement et que nous avions nous-mêmes construit le système binaire c’est à ce dernier que nous donnerions le qualificatif de « détection directe ».

Mesure (points), indépendantes de la récente détection par LIGO, de l'évolution de la période et comparaison (trait plein) avec la prédiction due à l'émission d'ondes gravitationnelles, pour un système binaire.
Mesure (points), indépendantes de la récente détection par LIGO, de l’évolution de la période et comparaison (trait plein) avec la prédiction due à l’émission d’ondes gravitationnelles, pour un système binaire.

2) A-t-on enfin vu les gravitons ? Continuer la lecture

LSST : un géant pour le cosmos

Le grand télescope LSST est actuellement en construction au Chili. Il fait partie de la classe des 8 mètres (typiquement la taille des plus grands télescopes actuellement en fonctionnement). Mais il présente une caractéristique très particulière qui le distingue des autres instruments et va sans doute constituer une vraie révolution dans le domaine : il a un champ de vue extrêmement large ! Il ne cherche pas à regarder avec un très fort grossissement une planète, une étoile ou une galaxie, il cherche à réaliser une carte globale de l’Univers. Jusqu’à maintenant nous ne connaissons, jusqu’à des profondeurs importantes, que de petites zones du ciel.

L’instrument permettra de cataloguer plusieurs milliards de galaxies (et 10 milliards d’étoiles), améliorant considérablement notre image du cosmos à grande échelle. De plus, parce qu’il reviendra périodiquement sur les mêmes zones du ciel, plus qu’une photographie il réalisera en fait un « film » permettant de mettre en évidence d’éventuels phénomènes variables. C’est une première à ce niveau de qualité et de sensibilité.

LSST tel qu'il sera dans quelques années (crédits : LSST collaboration)
LSST tel qu’il sera dans quelques années (crédits : LSST collaboration)

Pour quels enjeux scientifiques ? Continuer la lecture

« Et le centre était une mo­saïque d'éclats, une espèce de dur marteau cosmique, d'une lourdeur défigu­rée, et qui retombait sans cesse comme un front dans l'espace, mais avec un bruit comme distillé. Et l'enveloppement cotonneux du bruit avait l'instance obtuse et la pénétration d'un regard vivant. » Antonin Artaud