Archives pour la catégorie Science, philosophie et société

La physique de « High Life »

High Life est un film de la réalisatrice Claire Denis, avec Robert Pattison et Juliette Binoche, sorti il y a peu en France.

Commençons par le dire clairement : High-Life n’est pas réaliste au niveau astrophysique et ne cherche pas à l’être. Dans « science fiction », il y a « Fiction » ! On ne reproche pas à Homère le fait que les exploits d’Achille sont peu réalistes. Je ne reprocherai pas à Claire Denis les largesses prises avec les lois de la physique. Nous ne sommes pas dans le documentaire et cela n’a *aucune* importance. Le film de Claire Denis se situe tout à fait ailleurs. Il joue avec le huis-clos, avec l’étrangeté du temps, avec la folie du corps, avec la peur de l’oublié, avec l’inévidence des fluides. C’est tout sauf un reportage sur la physique des trous noirs ! Il est du droit et même du devoir d’une oeuvre d’art de ne pas se plier aux même contraintes qu’un article de science.

Pour autant, oui, la physique a joué un rôle. J’ai passé beaucoup de temps avec Claire Denis depuis 5 ou 6 ans. Elle est même venue à l’un de mes cours d’astrophysique à Grenoble ! Nous avons discuté très longuement et souvent profondément de relativité générale et de physique des trous noirs. Je vais donc ici expliquer les points de physique qui ont joué un rôle – direct ou indirect – dans l’élaboration du film.

Simulation d’un trou noir. Crédit : Alain Riazuelo.

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Non, Einstein n’avait pas raison !

Je le précise dès la première ligne : le titre est une provocation.

Commençons par les faits. Il y a peu, de nouvelles observations réalisées à l’aide du grande télescope européen VLT ont permis de cartographier en détails le mouvement des étoiles autour du trou noir qui se trouve au centre de notre galaxie. Ce trou noir géant a une masse égale à environ 4 millions de fois celle du Soleil. Les clichés ont été pris durant plusieurs décennies et montrent les mouvement elliptiques des étoiles qui « frôlent » le trou noir. Ces observations sont magnifiques car elle requièrent de tenir compte d’un « double » effet relativiste.

D’une part, il faut tenir compte de la « relativité restreinte » car les vitesses en jeu sont élevées (environ 8000 km/s) et, d’autre part, il faut tenir compte de la « relativité générale » parce qu’on se trouve dans un champ gravitationnel intense. Les observations sont pratiquement impossible à expliquer avec la gravitation universelle classique de Newton. Pour la première fois, on montre donc des effets purement « einsteiniens » autour d’un trou noir supermassif. C’est un résultat remarquable (même s’il était évidemment attendu).

orbites des étoiles autour du trou noir central. ESO/Calçada/spaceengine.org

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Hommage à mon premier maître : l’astronome Audouin Dollfus.

(Pourquoi rendre hommage ? Pourquoi écrire quelques lignes à propos d’un homme disparu depuis déjà plusieurs années alors même que les hommages tout juste rendus à d’Ormesson et Halliday ne m’ont, pour le moins, pas exactement ému ou enthousiasmé ? S’il s’agit d’une déclaration d’amour, faisons-là aux vivants ! On ne dit jamais assez aux vivant aimés qu’on les aime : cet excès de pudeur relève presque du tragique. Et c’est une insulte aux défunts que de les canoniser à l’instant de leur mort. Mais il peut aussi s’agir, par l’hommage, de faire connaitre à ceux qui ne l’ont pas encore découvert un personnage fascinant qui, ne cherchant pas désespérément la lumière médiatique, a contribué à rendre notre monde un peu plus vivable. Et c’est là – bien plus qu’a l’Académie – que se joue l’immortalité véritable : par les effets illimités d’une vie brillante dont les conséquences perdurent. Achille, déjà, j’avais bien compris : en allant à Troyes il mourait pour devenir éternel. Le sens de « vérité » en grec ancien est proche de celui de « mémoire ».)

Alors que je sortais tout juste des classes préparatoires, cet astronome presque mythique et auréolé de tant d’exploits (lui-même élève de l’immense Bernad Lyot) m’a accueilli dans son laboratoire avec une sidérante bienveillance. Avec la générosité évidente – et rare pourtant – de ceux qui n’ont rien à prouver, rien à montrer, rien à demander.

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Science et Vérité, une dernière fois !

Je reproduis ici un petit éditorial invité qui m’a été demandé par une revue Suisse.

La vérité n’est pas négociable. Elle ne devrait évidemment l’être nulle part mais, en sciences peut-être plus qu’ailleurs, aucun compromis n’est en ce domaine acceptable. Les récents débats autour d’une ère « post-vérité » (bien que le phénomène ne soit en réalité absolument pas nouveau) ont souligné la dangerosité de tout laxisme avec l’exigence de vérité. Le respect de la vérité est plus qu’un guide : il est la condition de possibilité du discours rationnel.

Pour autant, comme cela fut rappelé avec finesse par Foucault et Deleuze (parfois victimes d’une lecture à contre-sens radical), il ne suffit pas de proclamer – à la manière d’un rituel presque magique – son attachement inconditionnel à la vérité. Encore faut-il avoir le courage de questionner la vérité pour mieux la comprendre, pour mieux la servir.

Que cela plaise ou non, ça ne fait pas question : le concept de vérité a évolué avec le temps. Et sauf à nous croire les incarnations de la « fin de l’histoire », il nous faut convenir qu’il évoluera sans doute encore. De plus, même à une époque donnée, il n’est pas le même pour toutes les cultures. En Grèce antique il était parfois synonyme d’éloquence et de capacité à convaincre, sans lien ferme avec ce qui peut advenir hors du discours – en opposition presque totale avec l’acception usuelle contemporaine. Respecter la vérité exige donc de la scruter, de la travailler et de la comprendre dans la diversité de ses significations (fut-ce pour en réfuter certaine).

La Vérité, abstraction personnifiée, toile de Jules Joseph Lefebvre — Art Renewal Center

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Vérité dans les sciences, encore …

Ce petit billet est issu de 3 questions qui m’ont été posées par Christophe Pébarthe, Maître de conférences en histoire grecque ancienne à l’Université Bordeaux Montaigne, pour un interview destinée au mensuel du SNESUP.

1) Comment définiriez-vous la vérité en sciences Pensez-vous qu’une vérité puisse être qualifiée de scientifiquement démontrée ?

Déjà, je me réjouis qu’on pose la question de la définition et qu’on prenne conscience qu’elle ne va pas d’elle-même. Le premier affront fait à la vérité consiste à la supposer transparente et évidente. En réalité, le concept a drastiquement évolué à travers le temps et, à un instant donné, est également très variable d’une culture à l’autre. Et même au sein d’une société et d’une époque, il n’est pas sans variations essentielles entre différents modes de création ou de découverte. Je viens de relire « Le temps scellé » du génial réalisateur Andreï Tarskovski – son Saltker en dit autant sur le monde qu’une équation de physique quantique. Le mot Vérité y revient sans cesse, presque obsessionnellement. Mais il est parfaitement évident qu’il ne signifie pas la même chose que pour un physicien évoquant son modèle.

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Plaidoyer pour une économie de l’amour

(Cet article n’est pas strictement scientifique au sens usuel du terme. Je le publie néanmoins sur ce blog car il dit quelque chose du monde, au moins il propose un rapport au monde. Dans une visée absolument non-polémique.)

Ce que je voudrais exprimer ici est extrêmement simple, presque outrageusement désuet. Cela pourrait se résumer à : l’essentiel, ils ne peuvent pas nous le prendre. Ou encore : sans abandonner les luttes nécessaires, redonnons aussi à l’inaliénable son inestimable valeur. L’amour n’est pas à vendre et ne se laisse jamais acheter. C’est évident, trivial même, mais il faut l’écrire aujourd’hui parce l’ultime violence de notre temps serait peut-être celle-ci : nous contraindre à oublier l’incommensurable richesse qui échappe radicalement à toutes les formes de régulation, d’institutionnalisation et de marchandisation. Si le mot vérité a encore un sens – et je le crois – c’est bien celui de mémoire, celui qu’il avait d’ailleurs dès les origines, celui donc de l’anamnèse portée par la parole du poète.

En grec ancien, économie, oikonomía, signifie littéralement gestion de l’habitat. Mais il y a plus d’une manière de gérer et plus d’une manière d’habiter. La gestion pourrait n’être pas financière et l’habitat pourrait n’être pas la demeure. Ce qu’on pense usuellement comme « administration d’un foyer » pourrait aussi – c’est à nous d’en décider – signifier « réagencement de l’espace ».

Kandinsky

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Contre les “faits alternatifs”, la nuance radicale

La nouvelle administration américaine ne nous aura rien épargné. À la vulgarité, à la misogynie, au racisme, à l’ignorance, au mépris du pauvre et du faible, ils auront ajouté une nouvelle strate de bêtise dangereuse (qui n’est d’ailleurs pas hétérogène aux autres méfaits juste mentionnés) : la haine de la vérité.

Nier, par exemple, le réchauffement climatique n’est pas qu’un geste symbolique stupide et pathétique, c’est un acte criminel. C’est peut-être même commettre l’ignominie suprême : faire par avance payer à ceux qui ne sont pas encore (pas seulement les hommes mais aussi les milliers de milliards d’animaux concernés) le prix exorbitant, c’est-à-dire létal, du petit supplément de luxe que les privilégiés de note temps veulent s’octroyer encore, pour jouir sans frémir une dernière fois, jusqu’à l’ivresse.

Entraver la liberté de communication des scientifiques est un symptôme. Celui d’une angoisse pathologique qui traverse les hautes sphères de l’Etat américain : l’angoisse de la vérité.
Soyons donc parfaitement clairs et sans la moindre ambiguïté : ce comportement négationniste et falsificationiste, cette généralisation du mensonge délibéré, doivent être combattus et réfutés avec la plus grande virulence. Il est exclusivement nuisible et ne peut bénéficier d’aucune circonstance atténuante. C’est là, me semble-t-il, un point qui n’appelle aucune discussion supplémentaire.

Kellyanne Conway, conseillère de Donald Trump, ayant inventé un massacre qui n’a jamais existé. (Eduardo Munoz/ Reuters)

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Bon anniversaire, Carlo Rovelli !

Il y a quelques semaines, eut lieu à Marseille une conférence internationale un peu particulière. Il était en effet question à la fois de réunir les spécialistes de gravitation quantique à boucles pour discuter des dernières avancées de la théorie – comme il est d’usage dans les congrès – mais aussi de fêter le soixantième anniversaire d’une personnalité hors du commun : Carlo Rovelli.

Carlo Rovelli
Carlo Rovelli

Carlo Rovelli est d’abord un physicien exceptionnel. Il a inventé – avec Lee Smolin – la gravitation quantique à boucle qui est l’une des rares théories prometteuses tentant de concilier la relativité générale avec la physique quantique. Mais il a aussi contribué de façon notable à la mécanique quantique elle-même (surtout au niveau de l’interprétation) et à la relativité générale. Il a également lancé plusieurs directions de recherche qui se sont avérées très fructueuses. Enfin, c’est aussi un philosophe qui pense avec subtilité et lucidité sa discipline et le sens de la science en général.

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De la Vérité dans les Sciences

De la Vérité dans les Sciences est le titre de mon nouveau petit livre qui vient de sortir. C’est une modeste contribution à la question abyssale de l’articulation de la Vérité avec les différents champs cognitifs. Je tente d’y défendre un point de vue mesuré qui se distancie à la fois d’un scientisme hyper-rationaliste à mon sens naïf et d’un obscurantisme nihiliste à mon sens nocif. Il me semble que dans notre époque pétrie de certitudes, une invitation à la nuance, au doute, à la prise de recul, à la mise à distance, pour ne pas dire à la déconstruction, peut être bienvenue.

La science ne dit évidemment pas n’importe quoi. C’est indéniable et il faut le rappeler avec force. Mais tout me semble laisser penser qu’elle n’est pas non plus le dévoilement – suivant le schème de l’alètheia – de l’en-soi ultime du réel. Je tente de montrer qu’il est logiquement incohérent et éthiquement dangereux je considérer que la physique constitue l’unique vérité sur le monde. Pourtant, j’essaye d’arguer qu’elle constitue un magnifique moyen de tenter d’appréhender quelque chose de notre environnement qui dépasse nos simples fantasmes ou fantômes.

On peut voir ici une vidéo où je présente la première partie du livre sur l’excellent site “philosophies.tv”.

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