Nous sommes en montagne à plus de 1 000 mètres, à la frontière des deux régions administratives (Autonomias) espagnoles : la Communauté Valencienne, ici le département (provincia) de Castellón, et l’Aragon, et là le département de Teruel. J’étais venu, en décembre 2019, dans ces montagnes afin de voir le grand nombre d’éoliennes qui couronnent les crêtes.
Champs d’éoliennes entre la région d’Aragon et la Communauté Valencienne. Vue du col de las Cabrillas (1 320 m), Portell, Els Ports de Morella, Castellón, Communauté Valencienne, Espagne. @ A. Gioda, IRD.
Ce n’est qu’à l’office de tourisme de Cinctorres que l’on m’a parlé des oiseaux de la région et montré où aller les voir sur les crêtes et profondes vallées bordées de falaises comme à l’est du lieu-dit le collet de Creu (Croix en catalan) de Gelat (1 230 m), à la Roca Roja et la Roca Parda. Tout près je me suis, comme souvent un peu perdu en sortant, sur la route menant à Portell de Morella puis au Puerto (col) de las Cabrillas, quelques centaines de mètres auparavant. Cela au mont El Bovalar car, sur la carte de l’office de tourisme de Cinctorres, on parlait d’une voisine buitrera (un lieu de rassemblement des vautours). Au bout de la piste, de près de deux kilomètres, parcourue à pied, voici ce que je rencontrai.
Un des vautours avait signalé à ses congénères la possibilité d’un bon repas que j’aurais dû amener tel un employé municipal. Les oiseaux, une bonne douzaine, restés prudemment hauts dans le ciel, mirent bien vingt minutes pour d’apercevoir de leur méprise et donc pour se disperser.
Après une petite recherche, j’ai su qu’en 2018, selon le portail de référence SEO/BirdLife et donc selon un recensement scrupuleux, il y avait entre 31 000 et 37 000 couples de vautours fauves en Espagne. De ces chiffres, on peut en déduire que, en appliquant le ratio du nombre de couples/juvéniles relevé dans des enquêtes antérieures, la population des vautours fauves devrait être entre 96 000 et 123 000 exemplaires pour toute l’Espagne. Ce n’est donc pas une espèce rare malgré sa très grande taille (plus de 2,50 m d’envergure) et son poids fort élevé pour un oiseau apte au vol (de l’ordre de 9 kg). La population des vautours fauves s’est bien été reconstituée au fin des décennies depuis les années 1970. Ainsi en 1979, après un effort de comptage important pour l’époque (130 personnes réparties en 24 groupes régionaux), on avait détecté au moins 3 240 couples. En 2008, on comptait déjà 25 000 couples et, donc en 2018, entre 31 et 37 000.
Au delà du collet de Creu de Gelat puis du village de Portell de Morella, la route CV – 125 (Carretera Valenciana) franchit la limite entre deux régions administratives, la Communauté Valencienne et l’Aragon, au col (Puerto ou Port) de las Cabrillas (1 320 m d’altitude). Un point de vue y a été aménagé mais aussi un autre lieu de nourrissage des vautours fauves et d’autres rapaces.
Vue générale de l’aire de nourrissage des rapaces nécrophages de trois espèces : vautour fauve (le plus grand en bas) et percnoptère (le plus haut sur le tableau), milan royal (au milieu). Au second plan, les taches blanches en contrebas du panneau explicatif et des murets sont des amas d’ossements de ongulés domestiques, seuls restes des carcasses offertes aux rapaces. Au fond, un champ d’éoliennes de la société Renomar. Puerto de las Cabrillas (1 320 m), Portell de Morella, Els Ports, Castellón, Communauté Valencienne, Espagne. @ A. Gioda, IRD.Aire de nourrissage des rapaces nécrophages : vautours fauves et percnoptères, milans royaux. Amas d’ossements ou ossuaire d’ongulés domestiques, seuls restes des cadavres offerts aux rapaces. Les gypaètes barbus qui commencent à être réintroduits, depuis 2018, dans la région auraient même engloutis les os remplis à l’origine d’une riche moelle ! Col de las Cabrilles (1 320 m), Portell de Morella, Els Ports, Castellón, Commauté Valencienne, Espagne. @ A. Gioda, IRD.
« En effet, les décharges et des charniers espagnols, des sources importantes de nourriture pour les rapaces, avaient été supprimés en application de la décision 322/2003 de l´Union européenne, qui stipule que les animaux morts devront être confiés au service public de l´équarrissage (SPE). Depuis le printemps 2006, poussés par la faim, des groupes importants de vautours fauves ont été notés faisant des incursions de plus en plus fréquentes dans les exploitations d´élevage ou près des charniers abandonnés ». Section rapaces de la LPO pour La Dépêche du Midi, Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), 14/09/2008.
«En toda España se calcula que han muerto contra estos artilugios, aparentemente limpios y ecológicos, más de 800 buitres leonados (vautours fauves) en seis años entre 2002 y 2008». Blog La Crónica Verde de César-Javier Palacios, 09/06/2008.
«SEO/BirdLife reconoce la necesidad de hacer una transición energética urgente, en el marco de la lucha contra el cambio climático, y por tanto apoya el fomento de las energías renovables, especialmente considerando el potencial del país. Pero igualmente la organización reclama que esta promoción sea responsable y compatible con la conservación de la biodiversidad, y cualquier iniciativa energética debe ajustarse a las obligaciones de protección de las especies y evitar o minimizar impactos relevantes a las mismas, en cualquier momento que ese impacto potencial sea identificado, como así también establece la normativa».
Bref, la transition énergétique est une urgence et elle doit être faite en passant par le développement des énergies renouvelables reconnait la Société Espagnole d’Ornithologie. Toutefois, elle se doit d’être compatible avec la conservation de la biodiversité. Ainsi les rares zones où le vautour percnoptère se reproduit encore ou reste assez abondant – alors que sa population, pour l’ensemble de l’Espagne, est historiquement à un niveau très bas – doivent être respectées par les constructeurs de parcs éoliens. Y aménager de nouvelles aires de nourrissage afin de compenser l’implantation de nouvelles éoliennes n’y est pas une solution adaptée.
Vautour percnoptère en vol. @ Archives G. Bonnaud. On devrait dire le percnoptère tout court, sans y ajouter vautour mais l’usage est de coupler ces deux mots. Le nom percnoptère est lui-même constitué de deux mots grecs : περκνóς (perknos), qui signifie taché de noir ; et πτερóν (pteron) signifiant aile, en référence à la couleur noire de l’extrémité de ses ailes. Quelquefois, il est aussi appelé vautour d’Egypte.
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.