À l’heure où l’automobile Curiosity continue son exploration du cratère Gale et de ses sédiments lacustres, il est bon de saluer à nouveau la performance de son prédécesseur, le robot Opportunity, qui en est à sa 14ème année de travail sur Mars (il n’était censé fonctionner que 3 mois minimum). On se serait contenté d’un petit kilomètre parcouru sur son site équatorial de Planum Meridiani : il en est à 44,4 kilomètres—plus qu’un marathon. Bien sûr quelques instruments donnent des signes de faiblesse, dont la mémoire de l’ordinateur, de sorte que l’engin doit transmettre ses données au jour le jour.
Cela fait près de six ans qu’il butine autour d’un gros cratère d’impact de 22 km de diamètre : Endeavour Crater. Après avoir exploré une fraction de sa circomférence, Opportunity s’apprête à descendre la pente, entre deux promontoires nommés Cape Tribulation et Cape Byron pour explorer une petite ravine ayant toute l’apparence d’un ancien écoulement d’eau liquide. C’est encore un bonus pour les planétologues qui seront très heureux de découvrir in situ et en gros plan ce couloir d’érosion…
Les orientations du programme spatial piloté de la NASA se sont peu à peu décantés au mois d’avril 2017 et l’agence a accouché d’un projet qui consiste à bâtir une mini station orbitale autour de la Lune, tout en ne s’intéressant pas… à la Lune. On en arrive au summum de l’incohérence, ou plutôt de la logique industrielle qui consiste à continuer de fabriquer des modules pour ne pas en faire grand chose, pourvu qu’elles remplissent un carnet de commandes.
La NASA, avec le soutien, sinon du Président des USA, sinon du Congrès, avait développé ces dernières années un gros lanceur de classe Saturn V (le SLS, Space Launch System) et un nouveau véhicule de classe super Apollo (Orion), qui pourra véhiculer 4 ou 6 astronautes en orbite terrestre ou vers la Lune. Le vol inaugural de l’ensemble est prévu fin 2018 sans équipage ou peut-être fin 2019 avec équipage, avec un contournement de la Lune de style Apollo 8 ou Apollo 13. Mais la finalité de ce hardware a toujours baigné dans le flou le plus total.
Aujourd’hui, l’idée serait de construire des modules de type Station Spatiale Internationale qui seraient assemblés en orbite lunaire pour y accueillir des astronautes, toujours sans vision de ce qu’ils pourraient bien y faire. Le nom même de l’ensemble est évocateur—ou plus précisément non-évocateur : Deep Space Gateway, ou “Portail d’entrée à l’espace profond”. On construit une porte, mais sans savoir où elle va. La logique voudrait que la station circumlunaire serve d’étape pour une mission qui se poserait sur la Lune. Mais ce n’est même pas imaginé par la NASA à l’heure actuelle. L’agence américaine rêve sans doute que l’Europe sera très contente de financer et de construire quelque chose pour justifier leur incohérence, à savoir un module lunaire pour se poser sur la Lune et une base pour y séjourner Encore faudrait-il que l’Europe en ait les moyens.
Là où on frise le surréalisme, c’est qu’après avoir construit une station qui ne sert à rien, on enchaînerait tout de suite avec la construction d’un second ensemble en orbite lunaire, le Deep Space Transport… pour voler vers Mars. Comment finance-t-on les deux ensembles en même temps ? À quoi sert le premier, si l’objectif est le second ? Et pourquoi construire le second autour de la Lune, s’il n’a rien à y faire ?
En attendant de voir ce programme rocambolesque se clarifier, on en arrive toujours à la même question concernant le programme piloté de la NASA : y a-t-il un pilote à bord ?
La science ? Après tout, qu’est-elle, sinon une longue et systématique curiosité ? André Maurois