A la demande de mon laboratoire l’UMR HydroSciences de Montpellier, j’ai participé, de façon virtuelle, en novembre au 7ème Atelier d’éco-toxicologie des eaux, à Santiago du Chili (VII Workshop de HazMat y Bioterrorismo). Ses organisatrices avaient souhaité une introduction chronologique à propos de la connaissance du changement climatique et des COP (dont la COP21) jusqu’au Sommet action climat de l’ONU de 2019.
Afin que mes paroles résonnent plus fort, j’ai mis en avant, un tableau quasi-abstrait d’une artiste contemporaine. Samantha Kelly Smith essaie, par ce qu’elle nomme ses « paysages », de mettre en scène le changement climatique, conséquence des activités humaines, depuis la révolution industrielle dont elle connait bien des impacts comme britannique transplantée à New York. De manière finalement raisonnable, elle s’associe entre autres avec des musiciens qui combinent les deux sphères, la classique et la populaire, pour que résonnent leurs instruments. Ainsi en 2019, ce fut avec la musique abstraite du mur de sons du groupe de drone métal Sunn O))) (à prononcer sun). L’ensemble bénéficie aussi du talent et des violoncelles, dont celui électronique, de Hildur Guðnadóttirr (Oscar et Golden Globe 2020 pour la BO du film Joker et encore Golden Globe 2020 pour la mini-série HBO Chernobyl dont elle signe la musique). Peinture calcinée et musique vibrante donnent un cocktail roboratif.
Les belles choses, grâce à nos six sens, doivent faire résonner et élever notre âme en même temps que le cerveau raisonne, en captant l’esprit éveillé de Francis Ponge, poète tutoyant l’universel par le medium d’une simple figue, de sa vison et de sa délectation. Ponge, fils de la méditerranéenne Montpellier, l’appelle, d’un beau néologisme, la réson ou la résonance vibratile de la raison, à travers les possibilités du langage. Une chose proche des vibrations tournoyantes dont use et abuse le groupe Sunn O))) qui a pris son nom à partir d’un ancienne marque d’amplificateurs et qui utilise, pour développer son atmosphère, des guitares bourdonnantes accompagnées de larsens.
Ensuite toujours pour introduire ce regard sur le changement climatique, j’ai privilégié des photographies issues des zones hautes du Sahara (Tassili N’Ajjer et Tadrart Rouge, Algérie, et Tadrart Akakus, Fezzan, Libye). Ces terres sont aujourd’hui parmi les plus désertiques au Monde. Toutefois, montagnes et plateaux étaient couverts de savanes lors du Sudpluvial néolithique : le Sahara Vert, de 10000 BP (il y a 10 000 ans) jusqu’à l’événement climatique de la grande sécheresse de 5900 BP. Ils étaient peuplés et constituaient le territoire de grands artistes rupestres des deux côtés de l’actuelle frontière algéro–libyenne qui, bien sûr alors, n’existait pas.
Correspondant globalement à ce qui est advenu lors du Sahara Vert, l’optimum climatique de l’Holocène en Europe est une période interglaciaire qui dura d’environ de 9000 à 5000 ans BP, avec néanmoins l’intermède de l’événement froid de 8200 BP. Cela montre bien l’importance du changement climatique naturel, dans la préhistoire puis l’histoire, dans ces cas liés à des phénomènes solaires et plus ponctuellement au volcanisme avec l’explosion du volcan Tambora en 1815.
Maintenant le changement climatique actuel n’a rien à voir avec les précédents dont le plus récent, souvent rappelé dans la presse et par les climatosceptiques, est le Petit Age Glaciaire. Grâce à l’analyse des gaz emprisonnés dans les carottes de glace de l’Antarctique, les climats anciens sont connus finement, de manière indirecte, depuis 800 000 ans.
D’autre part, à partir de 1958, date des premières mesures directes dans la nature, la quantité de gaz carbonique (oui le CO2, celui que l’on trouve dans les bulles de l’eau gazeuse du supermarché et qui la plus grande cause de l’effet de serre dans l’atmosphère terrestre), atteint des records toujours battus, année après année. Rien de comparable depuis 650 000 ans (chiffre arrêté en 2015) et même rien de tel depuis 3 millions d’années (chiffre arrêté à 2019) et, à cela, il n’y a aucune cause solaire ou volcanique. Nous pouvons affirmer depuis 2008, l’année de la fin du dépouillement d’une grande archive emprisonnée dans une longue carotte de glace, que c’est bien nous qui changeons le climat et que ce phénomène tend à s’accélérer sans cesse. Pour mieux l’expliquer, je vais vous accompagner dans d’anciens chemins.
La science n’est que la recherche de la connaissance et les rares découvertes en ce domaine doivent accepter d’être remises en cause dès le lendemain. C’est un brouillon sans cesse raturé, avec de temps à autres des jalons, des pierres milliaires, qui sont autant de repères que bien souvent les hommes mettront des siècles à positionner puis à utiliser. Ainsi, au niveau des planètes, les trois lois de Kepler, datées de 1609 et 1619, seront le socle physique de l’aventure spatiale à partir des années 1950.
C’est dire que la quête en astronomie appliquée a été longue et il en a été de même de celle nécessaire afin de comprendre, sur la Terre, le changement climatique actuel causé par l’homme. Ce changement s’est traduit par un réchauffement planétaire, traçable par l’augmentation du gaz carbonique dans l’atmosphère, qui le précède, car celle-ci induit mécaniquement la hausse des températures. Cela en l’absence de variations notables de l’intensité du soleil ou de l’activité volcanique au plan mondial depuis le XIXe siècle.
Certes de grands personnalités, ayant une vision globale de la science, avaient prévu que l’activité industrielle, depuis les XVIIIe et XIXe siècles, aurait un impact sur le climat de la planète jusqu’à en devenir la force motrice. Les prémices de cette révolution technologique ont aidé à fixer la date du début du réchauffement climatique induit par l’homme, pour les sciences de l’atmosphère, a posteriori à 1784 soit l’année du dépôt par James Watt du brevet d’une machine – au sens de locomotive – à vapeur.
Parmi les grands savants ayant anticipé ce changement climatique, citons Buffon au XVIIIe siècle, Fourier et l’abbé Stoppani au XIXe siècle mais, rien de substantiel au sens de la mesure, jusqu’aux travaux expérimentaux du chimiste suédois Svante Arrhenius. Ce dernier découvre la loi d’Arrhenius : en cinétique chimique, elle permet, à partir de multiples observations empiriques de laboratoire, de décrire la variation de la vitesse d’une réaction chimique en fonction de la température. Il la publie en 1889, après avoir présenté la théorie de la dissociation électrolytique (1887) pour laquelle il recevra le prix Nobel de chimie en 1903.
A côté de ces recherches qui lui ont apporté la célébrité puis la reconnaissance de ses pairs, il fait en 1896 une découverte fortuite en laboratoire : l’accumulation de CO2 fait grimper la température dans une atmosphère contrôlée. Dans ses écrits postérieurs, Arrhenius prédisait qu’un doublement de la quantité de CO2 dans l’air provoquerait un réchauffement planétaire d’environ 5° C. Après sa consécration par le prix Nobel en 1903, le thème de l’importance des rejets du CO2 dans l’atmosphère deviendra le cœur de son activité et une bonne partie de ses problèmes de fin de carrière ; les conclusions de Svante Arrhenius, sur le réchauffement climatique planétaire, seront globalement rejetées dans la communauté scientifique, jusqu’à son décès en 1927 et au-delà.
« Nous avons consommé autant de charbon fossile en dix ans que l’homme en a brûlé durant tout le temps passé. […] Il devient nécessaire de trouver d’autres sources d’énergie, afin que la civilisation du monde ne s’effondre pas lorsque les combustibles fossiles seront sur le point d’être épuisés. Svante Arrhenius ». Un tel discours n’a plus rien de surprenant aujourd’hui sauf que ces propos datent de 1896 ! (Ouest-France, 29 juin 2019).
Le problème est le suivant : ce qui rassemble tous les scientifiques cités (Buffon, Stoppani, Arrhenius et, plus tard, Vernadsky et Teilhard de Chardin) est une vision globalement optimiste du progrès et de l’homme. Ils ne remettaient pas en cause le système industriel comme l’avait fait l’écrivain et écologiste Henry David Thoreau au XIXe s. qui le voyait de se déployer, devant ses yeux, au Massachusetts et dans toute la Nouvelle-Angleterre. Toutefois, ce dernier resta confiné dans la sphère littéraire ou des idées. Il y avait deux mondes : celui des gens sérieux et voici, ci-dessous, une cohorte de scientifiques-pionniers impliqués dans la recherche, au sens large, du changement climatique ; et, en face, celui des poètes, philosophes et autres écologistes y compris les plus rigoureux tel Thoreau qui alla en prison pour avoir traduit en actes ses idées sur la désobéissance civile.
Les deux mondes restèrent séparés jusqu’aux explosions des bombes A et H en 1945 contre deux objectifs au Japon largement civils. A mon sens mais il est partagé, elles firent toucher du doigt, même chez les scientifiques largement influencés par le positivisme, l’altérité des civilisations humaines sur la planète Terre. Après une maturation des idées et le temps de les mettre en accord avec les actes, l’ensemble se débloqua dans les années 1960. Ainsi, peut-être la première à faire bouger les lignes fut, avec Printemps silencieux (1962), la biologiste Rachel Carson lorsqu’elle dénonça les méfaits globaux, sur l’écologie du vivant, du pesticide DDT.
Ce fut un renversement de table : en 1948, seulement 14 années auparavant, le chimiste Paul Hermann Müller avait reçu le prix Nobel de physiologie ou de médecine « pour sa découverte de la haute efficacité du DDT comme un poison de contact contre différents arthropodes [insectes dont les moustiques, araignées, tiques et autres acariens, etc.] ». Bien utilisé, le DDT avait fait et continue de faire reculer fortement le fléau du paludisme et donc sauvé des dizaines de millions de vie mais son usage indiscriminé fut catastrophique.
Largement, l’ouvrage de Rachel Carlson contribua à la création de l’Agence américaine de protection de l’environnement en 1970. Toutefois, le plus important à comprendre est que, dans les années 1960-1970, se développèrent plusieurs initiatives nées de façon indépendante, dans des milieux différents, mais parallèles. Elles surgirent du monde industriel, de la prise de conscience du tiers-monde et de la sphère de l’écologie. Elles brisèrent le mur de verre entre les idées et le monde réel ou le politique, entendu comme celui de la vie dans la cité. Cet épanouissement globalement, je le mettrais, sous le chapeau du flower power sans oublier le traumatisme antérieur, causé par la guerre du Vietnam. Plusieurs des parties combattantes étaient des pays du tiers-monde et la guerre impacta très durement les populations des deux Vietnam, sans oublier celles du Laos puis du Cambodge.
Le Club de Rome est particulièrement intéressant car ce groupe informel d’experts, industriels, financiers,cadres dirigeants et autres professeurs, fondé en 1968 et toujours vivant, posa, de façon pertinente et au premier plan, les questions autour de la limite de la croissance. Plutôt que de se référer à Malthus et à ses idées sur la démographie, particulièrement impopulaires après l’influence de Marx au XXe siècle, le Club de Rome eut l’intelligence de faire appel, pour poser ces questions sur le futur de l’humanité, à de jeunes chercheurs du prestigieux MIT. Parmi eux , les époux Meadows, Donnela et Dennis, d’où le nom du rapport Meadows appelé plus correctement Les Limites à la croissance (dans un monde fini) ou en anglais The Limits to Growth. A sa sortie en 1972, ce fut un coup de tonnerre, un succès médiatique mondial pour Aurelio Peccei, le fondateur du Club de Rome, et une levée de boucliers, tant à droite qu’à gauche, de l’échiquier politique.
Créé en 1972, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE, en anglais United Nations Environment Program, UNEP) est une structure dépendante de l’Organisation des Nations unies (ONU). Selon Wikipedia, il a les buts suivants :
- coordonner les activités des Nations unies dans le domaine de l’environnement ;
- assister les pays dans la mise en œuvre de politiques environnementales (en anglais).
Depuis que la notion de développement durable a été forgée par le rapport Brundtland (1987), le PNUE a cherché à intégrer la problématique environnementale dans des politiques plus générales et à l’échelle planétaire. On retrouvera le PNUE, lors de la création du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, en anglais IPCC)en 1988, associé à l’OMM (Organisation Météorologique Mondiale) de l’ONU.
Effectivement entre 1957-58 et 1979, la science atmosphérique avançait de son côté grâce, tout d’abord, à un nouvel observatoire de haute altitude, situé sur une île éloignée de tout continent, Hawaï dans l’archipel du Pacifique du même nom. Les mesures atmosphériques du CO2 y ont pris toute leur importance et elles ont permis de voir puis de comprendre le changement climatique en cours. C’est l’observatoire du Mauna Loa, abrégé en MLO (3 397 mètres alors que le sommet du volcan atteint 4 169 m d’altitude), sur l’île d’Hawaï ou Big Island et cela advint lors de l’Année Géophysique Internationale (AGI) de 1957-1958. Charles Keeling, le scientifique ayant inventé auparavant un instrument pour mesurer le CO2 dans l’atmosphère, prit en charge le MLO pour tester in situ puis utiliser, de façon routinière, son nouvel instrument.
Dès l’origine soit 1958, les données observées au MLO montrent, dans leur première publication de 1961, une très forte hausse, dans l’atmosphère, de la teneur en dioxyde de carbone ou gaz carbonique, exprimée en ppm (partie pour million), qui n’a jamais cessé depuis.
Je précise. Le 29 novembre 2020, la teneur en CO2 dans l’atmosphère, moyennée sur la Terre grâce à un réseau d’observatoires, atteignait 415,50 ppm. Toujours à l’échelle terrestre, l’augmentation du CO2 de cette dernière année, entre les 29 novembre 2019 et 2020, a été de 4,83 ppm (soit 1,18 %).
Mais comment mesurer le CO2 dans l’atmosphère ? Une vidéo officielle du Scripps vous le montre (en anglais) avec Ralph, le fils de Charles Keeling ! Rappelons que ce dernier, décédé en 2005, fut l’inventeur en 1958 de cette technique de mesure sur le terrain, à l’endroit précis où a été tournée la vidéo soit sur le mont Mauna Loa de l’île d’Hawaï. 315 ppm de CO2 avaient été alors mesurés.
Cette hausse accélérée du CO2, débouchant logiquement plus tard sur celle des température,s avait été pointée du doigt dès les années 1970 par un des météorologues les plus respectés de son temps, le Nord -américain Jule Charney (1917-1981). Le rapport qu’il coordonna, fut commandé par l’Académie des Sciences des Etats-Unis et publié en 1979.
Tout cela est fort bien expliqué par Hervé Le Treut qui participa aux premiers pas du GIEC et raconté, de façon vivante, dans Reporterre. En voici, un extrait significatif.
« En 1979, est sorti le rapport de Jule Charney [il s’agit d’un rapport collectif coordonné par ce dernier] sur le réchauffement climatique. Ce chercheur très respecté, inventeur des équations du tourbillon quasi-géostrophique, y annonçait qu’un doublement de la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) entraînerait une hausse des températures comprise entre 1,5 °C et 4,5 °C. On savait déjà que ces chiffres étaient énormes, équivalents à une transition glaciaire-interglaciaire. A l’époque, on émettait moins de gaz à effet de serre qu’aujourd’hui et cet horizon semblait encore assez lointain. Mais il n’a cessé de se rapprocher depuis ».
Le GIEC était en germe : on avait identifié un gros problème scientifique en 1979 et donc on allait créer une commission – c’est aussi une technique éprouvée en politique pour noyer le poisson. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dépend donc de l’Organisation météorologique mondiale et du PNUE. Hervé Le Treut montre que, à partir de la publication du rapport Charney, la création du GIEC qui est un groupe aux marges de la politique (constitué de gens de science qui sont des experts, reconnus par leurs pairs, dans leur domaine) et non pas une instance scientifique (car la science se fait dans les laboratoires) était en route. Toutefois, sa création finalement n’est advenue qu’en 1988 et elle précède celle des Etats appelée COP dont la première s’est tenue à Berlin en 1995.
A suivre…
L’image mise en avant est une autre peinture de Samantha Kelly Smith, proche de celles utilisées pour la pochette du CD Pyroclasts (2019) du groupe de drone (bourdon) métal Sunn O))). Afin d’illustrer la crise climatique actuelle faire, l’artiste utilise des ciels encore plus enflammés que ceux de William Turner dont les couleurs en 1816 furent filtrées par les poussières de l’explosion du volcan Tambora en 1815 et les pyroclastes sont les produits caractéristiques de ces éruptions volcaniques destructives. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » Jacques Chirac. Les artistes permettent de jeter des ponts qui a priori semblaient impossibles de bâtir. @ Lloyd Cole.