Tous les articles par Charles Frankel

FEMMES SUR LA LUNE ET SUR MARS

Avant de reprendre ce blog pour commenter l’actualité martienne, voici une raison de mon profil bas sur le web ces derniers temps : trop d’écriture ! Après Bombes cosmiques (Le Seuil) publié en février et Armstrong sur la plage (Dunod) publié en mai, voici UNE FEMME SUR LA LUNE (Dunod, sortie 8 octobre), consacré à l’épopée des femmes-astronautes, et les projets d’avenir qui les verront débarquer – en priorité ? – sur la Lune et sur Mars…

La Terre face aux astéroïdes

 

Bombes cosmiques : non, ce ne sont pas les James Bond girls, mais bien les astéroïdes qui peuvent nous tomber sur la tête. À la différence de mes précédents ouvrages, j’émaille mon récit d’anecdotes plus personnelles : les théories dont j’ai suivi le développement et que j’ai portées à l’attention des scientifiques et du public en France, alors que j’étudiais, puis enseignais aux Etats-Unis.

Au travail dans un cratère d’impact lors d’une simulation de mission martienne, avec la géologue danoise Cathrine Frandsen

Les cratères du Québec et de France, la fin tragique des dinosaures, les impacts de météorites et explosions atmosphériques observés par notre civilisation, le recensement des objets dangereux qui croisent la Terre et comment s’en défendre… 

J’en parle ce mercredi 12 février sur l’émission La Terre au carré de Mathieu Vidard, de 14h à 15h30 sur France Inter

L’avenir des sondes martiennes

La Nasa a renouvelé son intérêt pour une exploration assidue de la planète Mars au moyen de sondes automatiques. Avec deux robots automobiles encore en activité – Curiosity qui s’est posé dans le cratère Gale en 2012 et Perseverance qui s’est posé dans le cratère Jezero en 2021 – l’agence américaine n’avait pas de projets fermes sur le long terme. Il y avait bien le projet Mars Sample Return (MSR), un « serpent de mer » longtemps promis, qui ferait atterrir une plateforme près de Perseverance et un petit mobile pour aller en chercher les tubes à échantillons, et les stocker à bord d’une petite fusée qui les auraient catapultés en orbite martienne. Là, ils auraient été récupérés par un autre vaisseau automatique reprenant la route de la Terre pour les délivrer dans le désert américain. Toutefois, l’ardoise d’une dizaine de milliards de dollars est devenue inacceptable, et la Nasa cherche une solution moins coûteuse, au risque d’abandonner le projet.

La Nasa propose une stratégie de sondes peu coûteuses, par exemple plus robustes pour diminuer les coûts d’atterrissage en douceur (NASA/JPL-Caltech)


Une nouvelle vision à long terme de l’exploration robotique de Mars est en train de le devancer, sinon de s’y substituer : le retour à de petites sondes peu coûteuses – entre 100 et 300 millions de dollars – conduisant des missions simples et ciblées. Les trois axes de recherche seraient la vie sur Mars, la géologie ou l’étude climatique et atmosphérique de la planète rouge, et la préparation des futures missions pilotées, mettant l’accent par exemple sur l’exploitation des ressources au sol, gazeuses, liquides et solides.

En résumé, les chercheurs voudront cerner des questions précises avec des instruments simples, l’idée maîtresse étant désormais de profiter, grâce au moindre coût de ces petites sondes, de toutes les fenêtres de tir, c’est-à-dire tous les deux ans. La Nasa n’attend plus que les propositions, ouvertes également à leurs partenaires internationaux.

Trump, Musk et Mars

En cette fin 2024, il est temps de commenter le bouillonnement que va créer dans le programme spatial américain le second mandat de Donald Trump.
On peut penser ce que l’on veut du président américain, et je fais partie de ceux qui sont affligés par son élection, ses valeurs, et son programme politique et économique en général. Je suis tout autant affligé par les valeurs affichées par Elon Musk qui a décidé de soutenir le candidat républicain, mais c’est un calcul intelligent, comme toujours, et Musk en récoltera les dividendes.

Un nouveau directeur de la Nasa

On peut aussi être surpris par la nomination en cours, par les deux compères, du nouveau directeur général de la Nasa, en la personne de l’entrepreneur Jared Isaacman, pionnier milliardaire des logiciels de paiement sur Internet, tout comme son mentor Elon Musk, et surtout client et protégé de ce dernier, auquel il a acheté deux vols sur vaisseau spatial Dragon, en tant que passager du premier et commandant du second pour des missions en orbite terrestre.
Pilote de voltige aérienne de par ailleurs, Isaacman connaît bien l’aéronautique et l’astronautique, et surtout fait partie de la nouvelle génération de visionnaires qui sont prêts à casser les stratégies conservatrices et sans cesse remaniées de l’establishment pour révolutionner le programme de la Nasa, avec Elon Musk dans les coulisses.Jared Isaacman, futur directeur de la Nasa  (AFP)

Le programme lunaire sur la sellette

Je fais personnellement partie de celles et de ceux qui critiquent depuis longtemps le programme lunaire américain et le projet de station orbitale autour de la Lune, qui n’a aucune utilité, baptisé Gateway (“portail de passage”, mais on se demande vers quoi), qui draine le budget et surtout l’énergie et le talent de l’agence spatiale américaine. Tout comme je déplore le gouffre financier et l’impasse technologique de la fusée lunaire de la Nasa, le SLS (Space Launch System), dont la facture atteint déjà 30 milliards de dollars pour un seul vol. Elle n’est même pas capable à elle toute seule de poser un équipage sur la Lune, à la différence de la Saturn V, il y a plus de cinquante ans maintenant. De fait, le projet américain Artemis de poser un homme ou une femme sur la Lune avant la Chine est une course perdue d’avance. Les Chinois, avec leur programme cohérent et bien dimensionné à l’objectif établi, sont pour moi nettement favoris.Le lanceur SLS, un gouffre financier et sans avenir (Nasa/Joel Kowsky)

Et pourquoi pas l’Homme sur Mars ?

Quitte à perdre cette course, autant voir plus grand.
Déjà les éditorialistes du secteur, comme Rick Tumlinson de spacenews.com, entrevoient un rebattage majeur des cartes. Aussi pénible que cela puisse paraître, la logique qui sera vraisemblablement mise en avant par Musk et Isaacman consistera à annuler la station lunaire Gateway, annuler le développement à fonds perdus de la fusée SLS, et redéfinir un programme d’alunissage qui misera sur les fusées renouvelables – le Spaceship de Musk et le New Glenn de Jeff Bezos. Surtout, elle pourrait focaliser les énergies sur le vol piloté vers Mars. Car c’est là que se joue l’avenir du programme spatial automatique et piloté, qui redonnera à l’astronautique ses lettres de noblesse et relancera l’exploration du Système solaire par l’espèce humaine.

Perseverance, une année sur Mars

Samedi 17 décembre 2022 à 23h20, diffusion du programme Perseverance, une année sur Mars, réalisé par Alain Tixier.

Un documentaire fascinant qui couvre la première année d’exploration de la planète rouge par l’intrépide rover de la NASA, expliquée par les ingénieurs et géologues français et américains qui y participent, et des séquences tournées au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, dans les laboratoires de l’ESA, du CNES et des universités associées, ainsi qu’à Rio Tinto en Espagne avec Michel Viso, et à Lanzarote aux Canaries avec l’astronaute Jean-François Clervoy et moi-même.

L’astronaute Jean-François Clervoy et Charles Frankel lors du tournage à Lanzarote aux Canaries.

À regarder aussi sur ARTE replay et sur YouTube:https://www.youtube.com/watch?v=FZP6P1ASiDQ

Volcanisme encore actif sur Mars

Les analyses convergent depuis deux ans – basées à la fois sur les images prises depuis orbite et sur la surveillance sismique au sol de la sonde InSight – pour suggérer que le volcanisme sur Mars est encore bien vivant.
L’essentiel du volcanisme sur la planète rouge a eu lieu lors du premier tiers de son histoire, entre 4,5 et 3 milliards d’années, avec les volcans de l’hémisphère Sud autour du bassin d’Hellas, le bombement volcanique de Tharsis et ses boucliers de lave géants dans l’hémisphère Nord, et ceux du bombement d’Elysium plus à l’est, dont l’activité principale a perduré jusqu’à quelques centaines de millions d’années seulement avant l’époque actuelle (et quelques millions d’années seulement pour quelques ultimes coulées de lave à leur pied).
Or, une ultime province volcanique s’est ajoutée à cette histoire, il y a environ 350 millions d’années, au sud-est d’Elysium, représentée par des plaines volcaniques et des fissures d’extension : la zone de Cerberus Fossae. L’aspect exceptionnellement jeune de cette province suggère là aussi une activité inachevée, avec des coulées de lave, voire des fontes de glace et des inondations, vieilles de deux à trois millions d’années seulement. Le choix de cette région comme site d’atterrissage de la sonde InSight de la NASA, porteuse d’un sismomètre français, n’y a pas été étranger.

La région de Cerberus Fossae, avec l’emplacement de la sonde InSight à gauche et le rectangle blanc correspondant à l’image de l’évent volcanique ci-dessous.


Non seulement la sonde InSight a détecté que l’activité sismique de Mars est actuellement focalisée sous Cerberus Fossae, mais les images orbitales de Mars Global Surveyor ont mis en évidence des fissures entourées d’un halo de cendres noires qui témoignent de récentes éruptions explosives : les chercheurs pensent que l’âge des éruptions est inférieur à 200 000 ans, voire autour de 50 000 ans seulement (la marge d’erreur étant encore assez large dans ce genre de photo-interprétation).

La fissure éruptive et son halo de cendres noires en forme de lèvre, photographiée par l’orbiteur Mars Global Surveyor (NASA/JPL/MSSS/The Murray Lab)


Dans un article publié le 20 octobre de cette année (2022), Jeffrey Andrews-Hanna et le Français Adrien Broquet, de l’université de l’Arizona, ont modélisé l’environnement géologique de Cerberus Fossae, en se basant notamment sur le champ de gravité qui permet de deviner la structure de la croûte et du manteau sous-jacent, et proposent un panache mantellique de type point chaud à l’œuvre sous la région, s’étendant sous la croûte en une galette de roche chaude de près de 4 000 kilomètres de large, fissurant la croûte et alimentant le volcanisme en surface.

Modélisation du panache (point chaud) sous Cerberus Fossae (©-ADRIEN-BROQUET-AUDREY-LASBORDES)

Amateurs d’éruptions insolites, mettez vos casques : vous savez maintenant où aller…

Une impact observé en direct

On a parlé récemment de l’impact d’un petit astéroïde d’une dizaine de mètres de diamètre sur Mars. Révélé en ce mois d’octobre 2022, l’impact a eu lieu en fait le 24 décembre 2021 dans Amazonis Planitia. Les vibrations de l’impact ont été relevés par la sonde au sol InSight, grâce au sismomètre français chargé de détecter les séismes martiens.
Ce n’est pas étonnant en soi : un objet de dix mètres de diamètre frappe la Terre, avec la puissance de 5 bombes d’Hiroshima environ, tous les dix ans environ. À cause de l’épaisseur de l’atmosphère terrestre qui les freine et les désintègre, peu d’objets de cette taille percutent le sol sur Terre et laissent un cratère, mais sur Mars c’est encore le cas.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’un tel impact ait eu lieu lors des trois ans de fonctionnement de la sonde InSight et de son sismomètre, et qu’il ait émis des ondes dites « de surface » qui parcourent la croûte de Mars à faible profondeur et renseignent donc sur celle-ci : en l’occurrence qu’entre le site de l’impact dans la plaine d’Amazonis, environ 2000 km à l’est, et la sonde InSight dans Elysium, la croûte est plus dense qu’elle ne l’est aux environs immédiats de la sonde. Comme quoi la croûte martienne n’est pas identique partout, ce qui n’étonnera aucun géologue. Les planètes ne sont pas monotones.

L’impact dans Amazonis (en haut) permet d’étudier la croûte martienne entre le site de l’impact et le sismomètre de la sonde inSight (en bas)


Quant aux images, ce qui est intéressant, c’est que les quelques dizaines de mètres de profondeur excavées par l’impact, dans une région proche de l’équateur, des blocs de glace ont été rejetés en surface. Pour les vols pilotés à l’avenir, c’est encourageant : il y a de l’eau à faible profondeur même à ces faibles latitudes, pour alimenter les futures bases martiennes.

L’Islande comme analogue de Mars

Peu d’endroits sur Terre offrent une vitrine aussi belle et variée du volcanisme et de la tectonique planétaire que l’Islande, y compris de nombreux phénomènes entrevus sur Mars, et c’est toujours une source d’émerveillement que d’y retourner, ce que j’ai eu l’occasion de faire en août-septembre 2022. L’éruption du Fagradalsfjall, débutée en septembre 2021 et qui connut une reprise le 3 août 2022, s’était malheureusement terminée le 22 août, une semaine avant mon arrivée sur l’île, mais je ne m’y rendais pas pour cette éruption particulière.Le glacier du Vatnajökull chapeaute plusieurs volcans et leurs éruptions déclenchent en aval de redoutables inondations (ici la rivière Skaftá, principal exutoire). Photos C. Frankel.

À l’instigation de Grand Angle Productions, mes compagnons de route Olivier Grunewald, photographe spécialisé des volcans, Bénédicte Menez, chercheuse de l’IPG qui étudie la microbiologie à l’œuvre dans les roches profondes, et moi-même avons effectué une expédition à travers le sud de l’Islande, du volcan Hekla au Katla et jusqu’aux abords du glacier Vatnajökull, c’est-à-dite à travers la région qui juxtapose volcanisme de rifting (genre dorsale océanique) et volcanisme de point chaud.

Outre l’intérêt spécifique des sites, nombre d’endroits renvoient directement à l’environnement volcanique martien, comme les éruptions sous-glaciaires et inondations associées, ou encore les pseudo-cratères formés par libération de vapeur d’eau lorsque des coulées de lave recouvrent des sédiments gorgés d’eau. Une aventure exceptionnelle, encadrée par d’excellents guides, qui sera relatée sur ARTE dans un programme diffusé l’an prochain.

Le volcan martien des Canaries

L’éruption et la constitution d’un nouveau cône volcanique se sont déroulées sur l’île de La Palma (la plus à l’ouest dans l’archipel des Canaries), du 19 septembre au 13 décembre 2021. Étonnamment, le débit de lave et de cendres a été assez considérable en ce court laps de temps. Ma photo ci-dessous fut prise le 8 mars 2022.

Le cône le plus récent de La Palma (éruption septembre-décembre 2021 sur le Cumbre Vieja)


La nature basaltique et la fluidité de ces laves représentent bien ce que l’on observerait sur les flancs d’un volcan martien. Mais ce qui m’a le plus interpellé, ce sont les cascades de lave (aujourd’hui figées) qui ont dévalé la falaise de la côte (falaise très escarpée, taillée par érosion et glissements de terrain dans des laves plus anciennes). 

Coulées de lave franchissant les falaises de La Palma


On croirait voir les cascades de lave qui dévalent les falaises d’Olympus Mons sur Mars, sur son flanc est (deux photos ci-dessous, en plan large et en perspective gros plan, Mars Express, ESA)

Cascades de lave sur la falaise d’Olympus Mons, Mars.

Outre ces aspects saisissants de l’éruption, ce nouveau volcan a bien sûr ébranlé la vie de ce qui était en fait une région de La Palma assez densément peuplée, car ensoleillée et propice aux bananeraies. Plus de 2000 bâtiments (serres comprises) ont été détruites par la lave et la cendre, et environ 500 personnes ont perdu leur domicile: la région prendra du temps à s’en remettre.