Interview sur France-Inter

Ce dimanche 23 avril à 15 heures, à l’heure où vous serez en route pour voter à votre mairie, je serai l’invité de Fabienne Chauvière dans son émission LES SAVANTURIERS. Nous parlerons de Mars et de la Lune, et aussi de la Terre et de ses trésors géologiques, des terroirs viticoles qui sont l’un de mes péchés mignons, et des sites remarquables—canyons, volcans, strates multicolores—que Patrick Baud et moi-même avons présentés dans notre dernier livre TERRE SECRETE…

Perdre du temps sur la Lune

Un village sur la Lune proposé par l’Agence Spatiale Européenne. Mais pour quoi faire ? (Photo ESA/Fostner + Partners)

Le 33ème Symposium Spatial, qui s’est tenu du 3 au 6 avril dans le Colorado, a été l’occasion pour les responsables des programmes spatiaux de nombreux pays de se réunir, notamment lors d’une table ronde évoquant l’avenir des vols pilotés. Le vide créé par l’absence de projet détaillé à la NASA pour la conquête humaine de Mars a permis à de nombreuses agences de se positionner en faveur d’une exploration préalable de la Lune—un vieux serpent de mer qu’a défendu de nouveau le directeur général de l’Agence Spatiale Européenne, Jan Woerner, à travers son concept de « Moon Village ». La Russie et l’Ukraine ont aussi fait entendre leur voix en faveur de la Lune, ne voulant manquer aucune opportunité d’être associé à un grand programme, quel qu’il soit.

Robert Walker, consultant de Donald Trump en affaires spatiales, modère un débat où Lune et Mars se sont confrontés (photo Tom Kimmel,  via Space News)

Mais on attend toujours de savoir à quoi une telle base lunaire servira. Pas vraiment à préparer le vol piloté vers Mars, sinon à le reporter aux calendes grecques, car se poser sur la Lune n’a rien à voir avec le challenge de se poser sur Mars (autant se poser en Australie), et contrairement à ce que voudrait une certaine propagande scientifique, on ne va pas non plus apprendre à faire du carburant sur la Lune pour un vol martien. On apprendra à le faire sur Mars, tout comme on apprendra à vivre sur Mars… sur Mars.

On notera le silence des Etats-Unis sur la question lors du débat, qui laissent leurs concurrents et alliés se disperser, ce qui leur permettra de garder d’autant mieux la main lorsqu’ils définiront pour de bon l’objectif Mars. Seule la voix de l’Italie, à travers son représentant Roberto Battiston, s’est élevée pour remettre les pendules à l’heure : « Nous pensons que l’avenir c’est Mars, plutôt que la Lune […] il faut vraiment relever le prochain challenge, qui est Mars. »

Où va donc se poser ExoMars ?

Où va donc se poser ExoMars ?

Le rover européen ExoMars, qui sera la seconde tentative d’atterrissage sur Mars de l’ESA après le crash de Schiaparelli en octobre 2016, peaufine sa préparation. Son lancement a été retardé de 2018 à 2020, car beaucoup de travail reste à faire, et son arrivée sur Mars est désormais prévue en avril 2021.

Cela laisse notamment du temps supplémentaire aux ingénieurs et aux géologues pour bien choisir le site, à la fois dans l’optique des manœuvres d’atterrissage que pour l’intérêt géologique au sol, sachant que le rover a une autonomie de deux kilomètres. Bien sûr on peut espérer plus, mais à défaut, il convient tout d’abord de viser juste.

Les quatre sites finalistes de la mission ExoMars sur fond de carte topographique (en vert les altitudes moyennes). Après le choix d’Oxia Planum, les supporters de Mawrth Vallis reviennent à la charge.

En 2015, la région d’Oxia Planum près de l’équateur de Mars, fut choisie par l’ESA parmi quatre finalistes, les trois autres étant Mawrth Vallis (un peu plus haut en latitude), Hypanis Vallis et Aram Dorsum.

Oxia Planum et les ellipses d’atterrissage selon la trajectoire finale d’ExoMars (ESA/DLR/FU Berlin et NASA MGS MOLA Science Team)

Oxia Planum répond en effet bien aux exigences d’un terrain relativement plat, et d’après la télé-reconnaissance depuis orbite, serait abondant en argiles divers et variés qui seraient la trace d’écoulements d’eau en surface—ou d’une eau qui aurait imbibé le sous-sol martien— dans un très lointain passé. Les sites finalistes de l’ESA ont tous un âge estimé autour de 4 milliards d’années, alors que les sites visités jusqu’alors par Curiosity et les autres sondes de la NASA ne sont âgés de 3,7 milliards d’années, voire beaucoup moins. L’époque antérieure, visée par ExoMars, était apparemment beaucoup plus humide et donc intéresse les géologues et les biologistes au plus haut point.

Les ellipses d’atterrissage dans Mawrth Vallis: un terrain beaucoup plus risqué (ESA:DLR:FU Berlin & NASA MGS MOLA Science Team)

Comme Oxia Planum, Mawrth Vallis satisfait cet objectif de vieux terrain bourré d’argile. Il avait perdu la « finale » contre Oxia en raison de sa topographie un peu plus tourmentée, sa latitude un peu décalée vers le nord, ce qui réduit la précision de l’atterrissage à cause des trajectoires, et aussi à cause d’une distribution plus mouchetée de ces argiles intéressants, qui ne représentent que 50 % du terrain (le reste est du vulgaire basalte), contre 80 % pour Oxia Planum.

Que Mawrth Vallis ait été promu ce mois-ci au même rang qu’Oxia Planum pour la destination d’ExoMars montre une certaine audace, certainement doublée d’un lobbying efficace, car pour remporter un choix de la sorte, il faut faire valoir bien des arguments. D’ici le lancement en juillet 2020, il reste trois ans pour choisir… et espérer qu’ExoMars arrivera ensuite à destination.