Afin que mes mots résonnent plus fort, j’ai mis en avant, un tableau quasi-abstrait d’une artiste contemporaine. Samantha Kelly Smith essaie, par ses « paysages », de mettre en scène le changement climatique actuel, conséquence des activités humaines, depuis la révolution industrielle dont elle peut bien connaitre les impacts, comme britannique transplantée à New York. Elle collabore aussi avec des musiciens à l’instar de ceux de Sunn O))).
Je reprends le fil du premier épisode mis en ligne le 3 décembre pour une présentation personnelle des évènements. Nous étions arrivés en 1979 avec la sortie du rapport Charney au sujet du très inquiétant réchauffement climatique en cours. Il fut publié par l’Académie des Sciences des Etats-Unis, donc au plus haut niveau scientifique, et coordonné par le meilleur météorologue de sa génération Jule Charney (qui s’éteindra seulement 3 ans plus tard). Dans le milieu des climatologues, tout était déjà clair, il y a déjà plus de 40 ans : à savoir la forte corrélation entre l’augmentation très rapide, finement mesurée depuis 1958, du CO2 dans l’atmosphère et le réchauffement climatique. Certes, il restait à connaître la vitesse précisément de ce dernier et d’autres points étaient encore à éclaircir mais les conclusions du rapport Charney furent rapidement sur la table des dirigeants politiques. Bien évidemment ce fut essentiellement une histoire nord-américaine car les pays riches et, en premier les Etats-Unis, étaient, dans les années 1970, sans discussion les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES). Parmi ces derniers, le principal, impliqué dans le réchauffement climatique, est le CO2 (ou dioxyde de carbone ou encore appelé gaz carbonique). Quant aux sources d’énergie, l’activité humaine la plus dommageable pour l’atmosphère est celle causée par la combustion du charbon avec une émission médiane de 820 grammes de CO2 par kilowattheure (gCO2eq/kWh). En 1979, le premier producteur mondial de charbon était les Etats-Unis avec 704,2 millions de tonnes dans l’année.
Toutefois, déjà en 1981 aux USA, le tout nouveau président Reagan, choisi fin 1980 par les électeurs face à Jimmy Carter (non réélu dans le contexte du second choc pétrolier et de la défaite politique en Iran), menaça de supprimer le Conseil pour l’environnement, une institution gouvernementale. Cette menace advint après que ce dernier lui eut transmis un rapport avertissant « que les énergies fossiles pouvaient altérer de façon permanente et désastreuse l’atmosphère de la Terre, avec un réchauffement de la Terre et des effets très graves ». L’élection de M. Reagan fut fêtée par le lobby national du charbon, selon le très long rapport détaillé – fruit d’une enquête à plein temps de l’essayiste Nathaniel Rich pendant 18 mois – du New York Times Magazine de 2018. Ce travail de journalisme d’investigation sera repris, traduit et synthétisé par le journal Le Temps de Genève. Un ouvrage ultérieur « Perdre la terre » (2019, pour l’édition française) de Nathaniel Rich développe et systématise son travail du New York Times Magazine. Rich n’est pas un scientifique à la base mais un littéraire, d’où des critiques quant à la rigueur de ses écrits.
Toutefois, la boîte de Pandore, celle des malheurs, était largement ouverte et il n’est pas surprenant que la COP1 de Berlin n’ait eu lieu qu’en 1995.
Qu’est-ce la COP (Conference Of Parties, en anglais, ou Conférence des Etats signataires, en français) ? Elle est l’organe suprême de certaines conventions internationales. La COP est composée de tous les États membres de la conférence et elle vérifie la bonne application des objectifs des conventions internationales adoptées.
Toutefois, entre 1980 et 1995, quinze années se sont écoulées, riches de batailles politico-scientifiques et politiques tout court, car les enjeux économiques de l’énergie sont colossaux et les choix effectuées courent, quant à leurs conséquences, sur plusieurs décennies voire plus encore.
Au niveau politique et international, selon Wikipedia, que je reprends intégralement, voici une chronologie :
La première conférence mondiale sur le climat remonte à 1979, à Genève (Suisse). À la suite en 1980, le Programme de recherche climatologique mondial (PRCM ou WCRP en anglais) est lancé, sous la responsabilité de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Conseil international des unions scientifiques (CIUS ou ICSU, en anglais).
En 1988, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est créé par l’OMM et le PNUE pour procéder, à intervalles réguliers, à une évaluation de l’état des connaissances sur les changements climatiques. Le premier rapport du GIEC en 1990 reconnaît la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique. Il sert de base à l’élaboration de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Attention ! le GIEC n’a absolument pas le droit de préconiser une politique, il doit seulement présenter les éléments d’informations scientifiques, techniques et économiques « pertinentes » pour les décisions à prendre par les Etats. D’après le journaliste scientifique bien informé Sylvestre Huet, sa formation a été possible par les agences de l’ONU en 1988, suite à la demande du G7 (groupe des pays occidentaux les plus riches), et en particulier du président Reagan et de la première ministre Mme Thatcher. Le président américain avait en partie revu sa position depuis le début de son premier mandat.Le troisième Sommet de la Terre qui s’est tenu en 1992 à Rio de Janeiro (Brésil) est une étape importante dans les négociations climatiques internationales, au niveau politique, avec la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Elle reconnaît officiellement l’existence du dérèglement climatique et la responsabilité humaine dans ce phénomène. Son objectif est de stabiliser les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre à un niveau qui empêche toute perturbation humaine dangereuse du système climatique. La Convention-cadre est entrée en vigueur le 21 mars 1994 et a été ratifiée par 195 pays, appelés « Parties », plus l’Union européenne.
Grâce au site Les Echos du Maroc, je continue.
« La COP1 de Berlin [en 1995] a fixé, pour chaque pays ou région, des objectifs chiffrés en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de réductions correspondantes à atteindre. La concrétisation de chaque engagement chiffré passe par une série de mesures et d’engagements politiques [et j’ajoute que la plupart des pays n’ont pas tenus quant aux mesures]. En 1996, la COP2 a eu lieu à Genève tandis que la COP3 s’est déroulée à Kyoto en 1997. Cette troisième conférence est considérée comme historique puisque que c’est la première fois qu’un accord contraignant portant sur l’encadrement des émissions de CO2 a été élaboré ».
« Le protocole de Kyoto visait la réduction de 5,2 % (par rapport à 1990) des émissions planétaires de gaz à effet de serre, à l’horizon 2020. S’agissant de l’Union européenne, cet objectif se traduit par une baisse totale de ses émissions de 8 % ».
Tout cela est bel et bon mais les industries extractives dont celles liées aux énergies fossiles n’étaient pas restées inactives. Aux USA, après les deux chocs mondiaux du pétrole de 1973 et 1979 (le second particulièrement humiliant à cause des relations détestables avec l’Iran où le Shah, leur allié, fut chassé par la révolution islamique), la question de l’indépendance énergétique, vis-à-vis des pays du Golfe persique, devint aiguë : en 1973, plus de 35 % de l’approvisionnement mondial en pétrole en dépendait.
A côté d’initiatives politiques de la part des Etats consommateurs, telle la création de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) en 1974, pour faire pièce à l’OPEP (l’organisation des producteurs-exportateurs de pétrole), les ingénieurs nord-américains explorèrent, au plan technique, toutes les voies alternatives à l’importation des produits pétroliers. Parmi ces dernières, il y en avait d’éprouvées telles la relance du charbon (que les responsables politiques, à l’instar du président Reagan, adoptèrent), la fabrication de l’essence et d’huiles à partir du charbon et du gaz naturel (grâce à de vieux brevets du procédé Fischer-Tropsch, prises de guerre de la défaite du Troisième Reich allemand et adaptés dans le contexte de l’embargo pétrolier causé par la politique de l’apartheid, par les Sud-africains et leur groupe énergétique Sasol), l’hydraulique, la géothermie, la biomasse, etc. Aussi, il y avait de nouvelles voies alternatives comme le fracking (la fracturation hydraulique) associé au forage horizontal qui allait connaitre un grand succès dans les gisements du pétrole et de gaz naturel des Etats-Unis, l’exploitation massive des schistes bitumineux (développée surtout au Canada central, en Chine, en Russie et, en Europe, dans l’Estonie), l’éolien (les pales des champs d’éoliennes du désert Mojave animent bien des films de Hollywood), le solaire, le nucléaire civil (qui pâtit gravement aux Etats-Unis de l’accident de Three Mile Island de 1979), etc.
Au-delà des recherches, les deux axes portants de l’indépendance énergétique nord-américaine, à partir des années 1980, furent le charbon et le pétrole associé souvent au gaz naturel.
De tels choix énergétiques, centrés sur des énergies fossiles et polluantes, étaient hautement dommageables pour l’atmosphère de la Terre tout en faisant grimper les températures. Les dirigeants politiques, les cadres de la haute administration, les ingénieurs et techniciens de l’énergie et les gens des médias le savaient bien.
D’ailleurs plusieurs grands pays industrialisés ne portent pas, encore en 2020, les objectifs contraignants en terme de réduction d’émission de GES du protocole de Kyoto de 1997 (COP3), relancé en 2012, dont les Etats-Unis. En sus, la Chine, le Canada et l’Australie craignaient aussi que cette contrainte altère leur développement économique. Les États-Unis avaient signé sans ratifier l’accord et le Canada s’en est désengagé. Enfin, quant à eux, les pays en voie de développement dont l’Inde qui avaient ratifié l’accord ont bénéficié de conditions spéciales pour ne pas hypothéquer les possibilités d’améliorer le niveau de vie des habitants. Ainsi, en Inde, le charbon fournit encore les deux-tiers de l’énergie au pays et il sert de combustible à des millions de familles pauvres. Je tiens à préciser que toutes les mines indiennes ne sont comparables à celles de Jariah (dans l’Etat septentrional du Jharkhand), le lieu le pire du pays quant à la qualité de vie . Vous verrez, ci-dessous, les mines de charbon à découverte (à ciel ouvert), avec la bande-annonce du documentaire « Jariah, une vie en enfer », un film primé de Jean Dubrel et Tiane Doan na Champassak (2014).
Localement, les conséquences aux Etats-Unis furent un peu moins lourdes que prévues car la Chine développait, à partir des années 1980 sur la base de son industrie lourde, celle manufacturière pour devenir en quelques décennies la nouvelle (grande) usine du Monde.
Par exemple, les Etats-Unis ne sont plus que le 3ème producteur mondial de charbon (606 millions de t/an en 2016 contre les 3,411 milliards t/an de la Chine) mais la pollution atmosphérique et le réchauffement climatique ne connaissent pas de frontières. La Chine, du temps du rapport Charney en 1979, produisait 636 millions de t/an et elle a donc multiplié par plus de cinq sa production de charbon en moins de quatre décennies ! A l’échelle de la planète, la consommation de charbon a augmenté de 60 % depuis l’an 2000.
Sur un autre front depuis 1995, les COP s’égrainent dans le temps, de façon régulière, à un rythme annuel, et nous sommes déjà rendus à la 26ème édition (prévue à Glasgow en 2020 puis repoussée en 2021), ce qui est signe de leur impuissance durable à peser sur le futur de la planète. Le protocole de Kyoto n’engageait que 37 pays industrialisés (dont ceux de l’Union Européenne) dans une démarche de réduction des émissions de GES, afin de limiter le réchauffement climatique. Il faudra attendre le 16 février 2005 pour que cet accord entre en vigueur, en l’absence donc des Etats-Unis, de la Chine, de l’Australie, du Canada (parce que ce dernier se désengagea), etc. Le tableau des conséquences du réchauffement climatique ne pouvait que s’assombrir, sachant le poids dans l’émission des GES des Etats-Unis, de la Chine, etc. D’ailleurs, au fil du temps depuis la COP21 de Paris, plus que des hommes politiques de second plan représentent les grands pays aux COP ainsi pour la 25ème, la dernière qui a eu lieu en décembre 2019 à Madrid.
Maintenant revenons à la COP21 de Paris et nous nous appuierons sur Maxime Combes et son blog chez Mediapart, avec son billet mis en ligne le 12 décembre 2020.
« La COP21 a permis une prouesse diplomatique : obtenir, dans une période marquée par la montée des antagonismes nationaux et des déséquilibres mondiaux, un accord qui entérine le choix de 195 États de maintenir un cadre multilatéral onusien de « gouvernance du climat », sans doute pour plusieurs dizaines d’années. Ce n’était absolument pas gagné. C’est décisif, notamment parce qu’une absence d’accord aurait discrédité l’ONU peut-être de façon irrémédiable ».
« Par contre, ni la COP21 ni l’Accord de Paris n’ont réglé l’immense problème que constitue le manque d’ambition des politiques climatiques nationales. Quelles que soient les réserves que nous pouvons avoir sur le contenu de l’Accord de Paris […] on ne peut pas en attribuer la responsabilité à un accord qui porte sur la période post-2020 : un processus onusien multilatéral en matière climatique ne peut pas obtenir des Etats ce que les Etats ne veulent pas » écrit encore Maxime Combes.
En quelques mots, il n’y a, pour les Etats ou les Unions, que les contraintes qu’ils veulent bien admettre. On parle, sans filtre, de l’échec des mesures non contraignantes pour lutter contre le changement climatique. Toutefois, le vendredi 11 décembre 2020 finalement, l’Europe est parvenue à un accord obligeant une réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 55 % d’ici à 2030.
Cela permettra d’aligner le continent européen sur l’Accord de Paris, signé il y a tout juste cinq ans, pour viser la neutralité carbone pour 2050. La difficulté était grande car, à l’inverse de l’agriculture pour laquelle il existe une politique commune (la PAC) entre les pays de l’Union européenne, il n’y a pas d’équivalent pour l’énergie. C’était, m’avait-il confié en février 2013, le grand regret du Sarrois francophone d’Ensdorf Peter Altmaier, l’un des pères de la transition énergétique en Allemagne et son actuel ministre fédéral de l’Economie et de l’Energie. Bien que les réseaux d’électricité, du gaz, des transports et des télécommunications soient interconnectés, l’Union européenne, dans le domaine de l’énergie, est un chariot qui tire à hue et à dia.
A suivre…
Je remercie les Collègues chiliennes de l’Association d’Eco-toxicologie latino-américaine de m’avoir invité à donner une visio-conférence inaugurale, le 17 novembre 2020, à leur 7ème Atelier. Cette manifestation s’est tenue à Santiago du Chili (VII Workshop de HazMat y Bioterrorismo).