La mobilité électrique est encouragée sur El Hierro par un partenariat avec Renault-Nissan et l’implantation de bornes de recharge rapide par Endesa, l’équivalent en Espagne d’ EDF mais qui a été privatisée et qui est une société par actions, filiale de l’ENEL italienne.
Toutefois, en France le nombre de bornes est notoirement insuffisant. L’électricité fournie est aussi non tracée. Logiquement, la majorité doit venir de l’énergie nucléaire dont le gouvernement, dans le cadre de la future loi-programme sur la transition énergétique, veut voir sa part baisser dans la production nationale : à terme de 75% à 50%. De plus, ce n’est pas une énergie renouvelable (l’objectif affiché, et la France s’est engagée vis-à-vis de Bruxelles, est 23% de ENR en 2020). Enfin, le minerai qui l’alimente est à 100% importé. Le déficit commercial de la France était en 2013 de 61,2 milliards d’euros dont l’énergie représente 83% du trou total (Le Figaro, 9 février 2014, Economie, p. 20).
En France pour ces raisons, plutôt que vers la mobilité électrique, je me suis tourné vers le développement du superéthanol ou E85 bien qu’il n’ait pas toutes les vertus lui-aussi. C’est donc, au quotidien, ma petite contribution à la transition énergétique avec la transformation personnelle de ma motocyclette afin d’utiliser un biocarburant au meilleur bilan CO2 que l’essence, en large partie renouvelable, produit localement et économique.
Passage sur une motocyclette d’une alimentation essence à celle superéthanol
Voici un résumé du travail d’Angelo de Pascale, Laurent Gicquel (fondateur depuis de Novengine) et Martin Jerkovic pour rouler à l’E85 sur une motocyclette non prévue à l’origine. Il est présenté et développé sur le forum en libre accès V60-Aprilia dans la rubrique Conversion V60 Rotax au superéthanol E85. Je l’ai amendé pour introduire des modifications de détails, j’ai ajouté des généralités puis je présenterai mon travail autour du banc de puissance qui lui est original.
Le changement se limite à 3 modifications et ces dernières constituent le montage dit “Martin et al.”, appelé selon le prénom de M. Jerkovic qui en assure la fabrication à la demande et sans objet de lucre. Ce sont les suivantes :
– une nouvelle eprom sur la carte (Photo 1) ;
– un nouveau régulateur d’essence ou un régulateur avec un nouveau tarage (photo 2) ;
– un interrupteur type “on-off” monté sur le fil de bridage, pour sélectionner son carburant : soit SP95 (ou SP05-E10) ; soit E85.
C’est par conséquent un système “flex fuel“ qui permet de ne pas tomber en panne de carburant en cas d’absence d’E85 dans les pompes de distribution aux alentours.
Le projet de moteur Rotax V60 “flex fuel” SP95/E85 est né d’une idée lancée sur le forum V60-Aprilia. Nous [Angelo de Pascale, Laurent Gicquel et Martin Jerkovic] savions que le projet est réalisable pour les raisons suivantes : connaissance technique ; et disponibilité du matériel de mise au point.
Nous avons utilisé une Aprilia Falco sans aucune modification du moteur. Quelles sont les caractéristiques de ce dernier ? 4 temps avec 8 soupapes et double arbre à cames en tête, refroidi à eau, il s’agit d’un bicylindre en V à 60° de la marque autrichienne Rotax de 1000 cc de cylindrée. Il équipait les Aprilia RSV (1998-2003) dites 1ère série et Tuono (2003-2005) idem, Falco (2000-2005), Futura (2001-2004) et Caponord (2001-2006). Une version légèrement différente du moteur, avec toutefois une autre électronique, fut installée sur les Aprilia RSV (2004-2009) dites 2ème série et Tuono (2006-2009) idem. Ce V60 est actuellement monté, avec de nombreuses modifications, sur le 3 roues de chez Bombardier (propriétaire de Rotax) appelé Can-Am Spyder.
Le besoin mécanique, pour un fonctionnement à l’E85, est une quantité de carburant injectée plus importante de l’ordre de 30%. Cependant, avec les temps d’injection et les injecteurs d’origine, il était impossible d’allonger le temps réservé à la phase d’admission qui est dépassé lors de certaines phases ce qui nous a conduit aux modifications ci-après.
2. Nous avons refait la cartographie en usage SP95 afin de l’adapter à la nouvelle pression d’alimentation.
3. Nous avons créé une cartographie E85, avec la modification des enrichissements lors des changements décélération/accélération et aussi la modification des enrichissements lors des phases de démarrage moteur.
4. Nous disposions maintenant de 2 cartographies contenues dans le nouvel eprom de la moto, sélectionnables par un interrupteur. Cependant, le passage de l’une à l’autre nécessite de vider le réservoir et d’y mettre le carburant souhaité. L’idée d’un réservoir additionnel serait une solution assez simple à réaliser mais, dans un premier temps, nous nous sommes focalisés sur un fonctionnement à l’E85 uniquement. Toutefois, pratiquement on peut rajouter du SP 95 dans un réservoir rempli à moitié d’E85 et rouler avec la cartographie E85 c’est-à-dire sans basculer l’interrupteur (ou, en anglais, shifter).
5. Nous avons roulé, pour valider nos différentes modifications avec un système d’acquisition de données monté sur la moto. L’acquisition de données de l’injection se faisait par une sonde lambda installée sur le collecteur de la moto.
6. Enfin, nous avons validé nos réglages, le fonctionnement actuel E85 est basé sur un fonctionnement économique/sport.Différents mélanges d’éthanol et d’essence SP95 ont été nécessaires pour étalonner l’eprom et les zones de la cartographie, selon Angelo de Pascale, et plus spécifiquement :
a) dans la phase “démarrage à froid”, on a utilisé de l’E00 (essence sans éthanol aujourd’hui rare car normalement les SP95 et SP98 en contiennent 5%) ;
b) pour la phase “ralenti et démarrage à chaud”, de l’E06 (SP95 avec 6% d’éthanol) ;
c) dans la phase “roulage à faible charge, moyen régime”, de l’E12 (SP95 avec 12% d’éthanol) rouge clair à été utilisée à froid ;
d) dans la phase “moyenne charge, moyen régime”, une variante rouge foncée de l’E12 a été utilisée ;
e) et, dans la phase “pleine charge, haut régime”, l’E40 (SP95 avec 40% d’éthanol) incolore a donné les meilleurs résultats. On a essayé aussi un mélange proche du E90 (SP95 avec 90% d’éthanol) mais pouvant détonner à la coupure des gaz.
Pour ma part, grâce à la gentillesse et la patience de l’ancien magasin Powerbike de Montpellier (concessionnaire MV Agusta et Benelli, agent Yamaha et préparateur du champion de France FFM 2014 de rallyes routiers) devenu Spirit Motos, j’ai effectué 3 passages au banc de puissance Marolo pour régler les potentiomètres, la synchronisation et le CO avec les mélanges suivants :
– SP 95 ( mais on devrait dire SP95-E05) ;
– SP 95-E10 ;
– E85 (on devrait dire SP95-E85 et, dans ce cas, pas de réglage de CO).
Mes puissances et couples ont été tous mesurés, au moins au vilebrequin, pour ce comparatif. Les courbes de couple sont aussi fournies dans les 3 fichiers que l’on retrouve dans l’article-miroir sur le site “Mediapart” dans lequel ils sont appelés respectivement : (SP95_V2_Rotax.pdf, Martin_et_al_SP95-E10_V2_Rotax.pdf, Martin_et_al_E85_V2_Rotax_DEF2.pdf.
Pour la puissance, nous avons relevé les valeurs suivantes :
a) 121 CV au SP95 au vilebrequin à 9800 tours, 111 CV à la roue arrière à 9800 tours et 94 CV au rouleau à 9600 tours (dans une configuration piste avec pot Akrapovic homologué et boîte à air ouverte, la cartographie et le régulateur d’essence Denso restant d’origine) ;
b) 119 CV au SP95-E10 au vilebrequin (montage Martin & al.) ;
c) 114,5 CV à l’E85 au vilebrequin (montage Martin & al.) et, par une règle de 3 selon le rapport en a), nous obtenons 105 CV à la roue.
Nous passons sous la barre de la puissance maximale légale en France. Il s’agit de la fameuse barre des 100 CV et il y a une tolérance du législateur jusqu’à 106 CV à la roue arrière. Dans mon cas avec l’utilisation de l’E85, il y a une légère perte de puissance, de l’ordre de 6-7 CV, mais une meilleure courbe de puissance car plus régulière dans les tours.
Merci aussi au pilote, alors en Superbike (SBK), Stéphane Egea pour ses encouragements lors des essais.
En étant plus bricoleur ou mécanicien (bonne oreille et dépressiomètre maison), on peut s’affranchir de la main d’œuvre. On trouve des régulateurs d’essence réglables à 50 euros et, avec l’eprom Martin & al. à 30, et ainsi on tomberait à un total de 80 euros.
Le développement de la technologie a nécessité, pour les trois concepteurs du montage Martin & al., de disposer des outils et pièces suivants :
– système électronique d’acquisition des données : 3000-4000 euros ;
– programmateur d’eprom : 100 euros ;
– eprom à programmer : 3 euros ;
– régulateur de pression avec un nouveau tarage : 70 euros.
En étant plus précautionneux, il est possible d’acheter pour les changer toutes les durites d’essence, les 2 pipes d’admission en plastique des corps d’injection et la pompe à essence. Ces dernières données sont extraites de l’article “Aprilia bio !” (Motomag, mars 2008, page 74).
Enfin, dans un second temps sur ma motocyclette et toujours avec mon collègue Jean-Philippe Chazarin de l’UMR 5569 Hydrosciences, j’ai renforcé le circuit de charge pour mieux démarrer en hiver ; l’alcool étant moins inflammable que l’essence aux basses températures (c’est pour cela qu’il faut chauffer une assiette avant de faire flamber ses crêpes!). D’autres solutions auraient été les suivantes : un petit réservoir auxiliaire d’essence pour le démarrage à froid (difficile à intégrer esthétiquement sur un deux roues); un système de préchauffage des bougies (comme sur le moteur diesel); utiliser toujours un garage chauffé (pas facile en pratique!). Aussi, ai-je préféré changer la batterie (passant de 10 Ah à 12 ou 14 Ah mais aussi ayant une capacité de démarrage à froid d’au minimum 200 A), le relais du démarreur (remplaçant le 50 A original pour un 100 A) et le régulateur-redresseur (abandonnant le type “shunt” d’origine pour un “MOSFET” soit, en français, un transistor à effet de champ à grille isolée). Ce dernier est, dans notre cas, un Shindengen FH 012AA de 50 A (qui coupe la charge à 14,5 A) et il a été prélevé sur une Yamaha R1.