Afrique du Sud : connaître les paléoclimats grâce aux latrines des damans

Pour la première fois, j’ai rencontré Manuel Chevalier à Saragosse le 13 mai 2017 alors qu’il avait travaillé, ces dernières années, à Montpellier dans la même université que moi. Pourquoi Saragosse ? Parce que j’anime, depuis le début 2006, la partie histoire du climat du programme PAGES (Past Global Changes) Amérique du Sud dit LOTRED et que, tous les quatre ans, nous avons un congrès mondial.  Ici, c’était OSM Zaragoza 2017 (en anglais). Je vous parle de Manuel Chevalier parce qu’il a été l’un des quatre lauréats parmi les jeunes chercheurs de PAGES  2017 pour la qualité de son travail qui est présenté sur un site hébergé par l’Université de Montpellier piloté par son responsable Brian Chase, directeur de recherches au CNRS (toujours en anglais).
Cette équipe qui intégrait Manuel Chevalier, jusqu’à peu, utilise pour reconstituer les climats anciens d’Afrique du Sud un nouveau ” proxy ” ou bien, en français, un nouvel indicateur indirect en climatologie et en paléoclimatologie : les déjections d’un petit animal. En urinant et déféquant dans les mêmes cavités rocheuses, pendant des siècles comme dans des latrines, les générations de damans des rochers ou damans du Cap (Procavia capensis) ont donné de grandes quantités d’hyracéum.

La photographie, mise en avant de cet article, de la portée des damans des rochers ou du Cap (Procavia capensis) est tirée du site Elelur.com

L’hyracéum est une masse collante (mélange d’excréments et d’urine du daman des rochers) qui, en se fossilisant, se transforme en pierre d’Afrique. Celle-ci a  été employée en médecine traditionnelle – afin entre autres de soigner l’épilepsie et les convulsions – et elle continue de l’être en haute parfumerie artisanale (voir la fin de cet article).

Hyracéum (accumulation sur 34 x 12 x 22 cm de déjections d’un petit mammifère, le daman des rochers) et, à droite, pierre d’Afrique (ces mêmes excréments fossilisés avec une échelle en  cm), un indicateur grâce à leur stratification des climats du passé. ©http://www.hyrax.univ-montp2.fr/

Néanmoins ici nous sommes en science et revenons à nos moutons. Pardon !  Nos damans des rochers. La structure laminaire de la stratigraphie de la pierre d’Afrique permet d’avancer les points suivants : un échantillon de 1 mm est représentatif en général de 10 à 50 années de dépôts. Toutefois, dans certains cas, des strates de ~30 µm sont visibles avec un taux d’accumulation de 2 mm/an. Cela donne alors une strate tous les 21 jours. La publication la plus connue de Brian Chase et de ses Collègues apparaît sur le portail Researchgate avec le mot clef hyrax  ou hyraxes, au pluriel, soit le nom commun des damans (en anglais) regroupés dans la famille des Hyracoïdes (Hyracoidea). La plus récente date de cette année 2017. Les damans des rochers sont des mammifères ressemblant de loin à de grosses marmottes – ils sont de la taille d’un lièvre – mais ils appartiennent à la famille des ongulés soit des animaux qui, de nos jours, sont d’un gabarit souvent bien supérieur tels l’éléphant et le rhinocéros. A priori fort étrange, cette parenté est connue des naturalistes depuis le XVIIIe siècle.

Un daman des rochers (Procavia capensis) avec ses deux petites défenses caractéristiques qui sont des incisives supérieures comme chez l’éléphant avec lequel il partage aussi l’absence de canine. Selon Buffon, ses molaires sont proches par leur forme de celles des rhinocéros. https://adlayasanimals.wordpress.com

J’ai aussi beaucoup apprécié le travail de Manuel Chevalier, Brian Chase et de leurs Collègues en Afrique du Sud parce qu’il m’a rappelé celui que j’avais fait de 2004 à 2009, grâce à Alex Chepstow-Lusty dans les Andes, à partir d’un nouveau “proxy” fort voisin : les acariens du sol vivant sur les crottes de lamas (en anglais).

Mais chassons ces fétides images. L’hyracéum est aussi riche en phéromones et il faut ajouter que le daman possède une glande odoriférante. Après plusieurs siècles de vieillissement, l’hyracéum se pétrifie donnant la pierre d’Afrique. Ce produit est traité sous forme de teinture ou par dissolution dans des solvants comme l’alcool. L’hyracéum est utilisé en parfumerie traditionnelle tels le musc de la civette africaine et du cerf porte-musc, l’ambre gris de cachalot (actuellement quasi-introuvable après la fin de la chasse de ce cétacé géant), le castoréum du castor, la cire d’abeille, etc. Tous les produits cités sont extrêmement chers et rares (sauf ceux issus du castor et de l’abeille) car élaborés à partir de substances d’animaux protégés ou ayant un statut au moins dit vulnérable. De façon générale comme les non moins chères essences florales, ils sont  remplacés, de nos jours, par des produits de la chimie industrielle, sachant, de plus, que les eaux de toilette, relativement bon marché, sont les plus vendues en Europe. Ces dernières sont  caractérisées aussi par leur forte proportion d’alcool qui est un produit extrêmement peu coûteux : la part de parfum varie seulement entre 5 et 12%, pour une dilution à alcool à 85°. Dans cet article, à l’inverse, il s’agit de parfum ou extrait de parfum à partir d’hyracéum plus concentrés (d’où un flacon de 3 ml) mais leur coût les réserve à des gens très aisés. Géographiquement, l’un des ses marchés principaux reste les pays arabes du Golfe Persique. Pourquoi ? Parce que utiliser de rares produits d’origine animale y compris issus de la vie sauvage dans l’industrie cosmétique ne pose ni de problème d’argent ni d’éthique commerciale.

Parfum italien à base d’hyracéum soit les déjections fossilisées d’un petit mammifère sud-africain le daman des rochers. Les caractères arabisants de l’étiquette montrent où se situe son marché. www.profumo.it

En conclusion, je souhaite le meilleur des vents au brillant Manuel Chevalier qui vient d’être recruté par l’Université de Lausanne pour les trois prochaines années.

 

 

 

 

 

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