Loin de moi, l’idée d’écrire sur le judaïsme ou les religions – car j’en suis bien sûr incapable – mais des réflexions en partie régionales et climatologiques grâce à l’actualité : l’édition fin 2016 chez Adelphi de l’ouvrage de Moshe Idel“Il male primordiale nella Qabbalah” (traduit en italien de l’hébreu par Fabrizio Lelli).
C’était avant et aussi hélas pendant que les rois de France Louis IX (Saint Louis) et son fils Philippe III (dit le Hardi pour le fort) stigmatisent les gens du judaïsme par le port obligatoire de la rouelle en 1269 (demandée certes antérieurement en 1215 par le pape Innocent III, celui de la Croisade des Albigeois prêchée contre les Cathares dès 1207-08). Un autodafé ou mieux dit un brûlement du Talmud advint à Paris dès 1242 sur la sinistre place de Grève. Plus précisément ce furent vingt-quatre charretées remplies d’ouvrages talmudiques qui furent données aux flammes. Tout proche de Posquières et de Lunel, Louis IX projeta la place-forte du port d’Aigues-Mortes dès 1240. Il en partit pour guerroyer contre les musulmans lors des VIIe et VIIIe Croisades, respectivement en 1248 et 1270, tandis que Philippe III fit de même contre les Catalans notamment pour s’emparer la ville de Gérone (Croisade d’Aragon de 1284-85). Enfin, les Juifs furent chassés de France en 1306 par Philippe IV le Bel, fils du précédent. Entre-temps, Philippe IV avait annexé en 1295 l’ancienne baronnie de Lunel à son royaume, une fois éteinte la dynastie des Gaucelm, les seigneurs locaux protecteurs des Juifs.
Certes, il ne s’agit point, à mon niveau, de réécrire l’histoire (avec un grand H) mais d’évoquer une fenêtre de temps, les XIIe et XIIIe siècles, où tout fut possible en Languedoc et par conséquent le bourgeonnement des idées. Ceci nous intéresse au plus haut point en tant que que scientifique. De façon générale, cette époque d’épanouissement intellectuel correspondit à la fin de l’Optimum Climatique Médiéval (OCM), cela dit sans faire de déterminisme. En économie, l’OCM favorisa le boom du modèle des abbayes et une forte augmentation de l’offre et de la demande sans oublier l’accroissement de de la population en Europe. Selon Emmanuel Le Roy Ladurie, le Petit Age de Glaciaire (PAG) se mit en place au début du XIVe siècle, avant 1310, lors de la fin du règne de Philippe IV le Bel, marquée par les conflits violents avec les Templiers et le Pape, puis en France par la succession rapide des Rois Maudits (ses trois fils à la santé fragile).
Aux XIIe et XIIIe siècles à Posquières, s’étaient succédé les Ben David, trois phares du judaïsme médiéval : Abraham Ben David dit aussi Rabad III de Posquières (né à Narbonne en 1125 dans un foyer intellectuel, passé par un autre centre important, celui de Lunel, et décédé à Posquières en 1198) ; puis son fils qui est considéré comme le maître de la Kabbale Isaac l’Aveugle (né et décédé à Posquières 1165-1235) ; et enfin le neveu du précédent, Asher ou Acher Ben David (né à Posquières dans le dernier tiers du XIIe siècle et disparu au milieu du XIIIe siècle).
Cet âge d’or se retrouve en Aragon et Catalogne ; les Juifs y connaissent également une situation relativement favorable. Ainsi, Alphonse II d’Aragon (1162-1196), grand admirateur de la poésie provençale, protégeait les savants, qui, à cette époque, étaient presque tous des Juifs. Mais là-bas aussi la situation de ces derniers devient plus difficile sous le long règne du contemporain de Louis IX, le roi Jacques Ier d’Aragon (1208-1276), lui-même pourtant natif de Montpellier en Languedoc où les Juifs étaient nombreux.
Bannies du royaume de France en 1306, les communautés juives du Languedoc migrèrent progressivement pour part vers la Provence. Ensuite, cette dernière étant absorbée par la France en 1481, les Juifs se dirigèrent vers le Comtat Venaissin ; Carpentras et Avignon étaient des villes papales, hors de la juridiction française jusqu’à la Révolution, où les Juifs se fixèrent jusqu’à nos jours. Aussi après 1306, une autre partie de ces communautés juives du Languedoc migra vers la Catalogne (notamment à Gérone) qui devient un haut lieu des études de la Kabbale . Le roi Jacques II d’Aragon dit le Juste (1264-1327) facilita leur installation. Les communautés de Juifs en Catalogne y restèrent, malgré la dégradation progressive de leurs conditions de vie, jusqu’à leur expulsion d’Espagne en 1492. Une vie d’errance.
Toutefois, qu’est la Kabbale, selon Moshe Idel qui continue à l’Université de Jérusalem l’œuvre deGershom Scholem ? La Kabbale est au cœur du judaïsme et non pas seulement une “tradition” (le sens littéral du mot selon le dictionnaire) ésotérique de celui-ci. La Kabbale est née des études du Talmud, le livre d’études de la Loi et le principal fondement de la religion juive, depuis la destruction du Temple, maintes et maintes fois travaillé par des générations d’érudits rabbiniques. Selon Idel dans la Kabbale, le mal est présent dès la création du monde et il coexiste avec le bien tout cela dans le cadre d’une religion monothéiste. Le divin va extraire la lumière, comme si les ténèbres, ayant ici un rôle positif, la protégeait. Il est d’ailleurs significatif qu’un grand maître de la Kabbale ait vécu dans les ténèbres de la cécité tel Isaac Bien Davis dit Isaac l’Aveugle, natif de Posquières. Cet aspect positif ou mieux dit nécessaire des ténèbres m’intéresse car j’ai beaucoup écrit en sciences sur le brouillard, apprécié “L’éloge de l’ombre” d’un grand écrivain japonais… sans être pour le moins du monde satanique.
Voici une critique (en italien) du dernier livre de Moshe Idel dans le journal de référence “La Repubblica” (un texte plus complet est disponible dans la version papier du 28/12/2016 à la page 31) et un résumé lapidaire est donné par Umberto Stradella, avocat… et blogueur amateur de livres, (toujours en italien) : “ La speculazione verte sulla “subordinazione” o “anteriorità” del male rispetto al bene (o viceversa) nell’ambito di una religione non dualista ma monoteista. Il male è in Dio? “. Mais peut-être vous ne savez pas lire l’italien ? Aucun problème parce que d’autres ouvrages de Moshe Idel sont disponibles en français chez de bons éditeurs tel l’ouvrage introductif “Les Chemins de la Kabbale” publié par Albin Michel en 2000 et qui se trouve aussi en format électronique. En voici un court extrait :
“Il faut prendre en compte d’abord le fait que le XIIe siècle est celui d’une renaissance dans les milieux chrétiens. Cela inspire bien évidemment le monde juif. […] Enfin, il y a le fait que le Languedoc et la Provence sont des régions carrefours où circulent les voyageurs, les idées, les styles de vie, etc.” Moshe Idel.
Bonne lecture et parler de cela, en période de fêtes religieuses en région Occitanie, m’a semblé naturel comme d’illustrer une convivance fusse-t-elle ancienne.
4 réflexions sur “ Lunel et Posquières en Languedoc : la Kabbale, le climat et Moshe Idel ”
C’est un tres bon travail de recherche qui nous montre une des pages de l’histoire du peuple juif.
Merci beaucoup. La seule originalité est d’éclairer, grâce aux apports de l’histoire du climat, sous un jour un peu différent l’épanouissement de la culture hébraïque locale. Cette dernière avait bénéficié également de l’émigration des Juifs espagnols, en général fort cultivés, chassés par les persécutions et les conversions forcées de la fin du XIe siècle des Musulmans Almoravides, elles-même précédées par le massacre de Grenade du 30 décembre 1066 avec ses 4 000 victimes. Le résultat en fut le renforcement, au XIIe siècle, des communautés juives du Sud de la France y compris en Provence.
Le mercredi 15 mai 2019, une belle cérémonie a rappelé, en présence de toutes les communautés religieuses et civiles, la grandeur universelle du passé juif de la ville de Posquières (devenue Vauvert, seulement au XVe siècle) dans le département du Gard. Une grande stèle commémorative en marbre noir a été dévoilée à cette occasion en français et en hébreu.
Pour répondre à votre question : Où fut enterré Abraham ben David, le père de la Kabbale de Posquières ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_ben_David_de_Posqui%C3%A8res
Le cimetière médiéval de Juifs se trouvait à l’emplacement actuel de la maison de retraite qui est située dans une partie ancienne de la ville dite du Pic de Milan. https://www.objectifgard.com/2019/05/19/vauvert-quand-vauvert-sappelait-posquieres-un-nom-connu-du-monde-entier/
C’est pourquoi, à l’initiative de la municipalité, la grande stèle a été érigée à Vauvert dans la rue Louis Aragon, tout à côté de la maison de retraite qui occupe l’emplacement de l’ancien cimetière juif. https://voir-plus.com/2019/05/24/une-stele-pour-rappeler-le-riche-passe-de-posquieres-et-de-son-ecole-rabbinique/
C’est la sépulture du Raavad ou RaBad, nom collectif sous lequel on regroupe trois grands penseurs médiévaux, trois rabbins. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rabad RaBad III est le plus célèbre et c’est Abraham ben David de Posquières (né à Narbonne en 1120 – décédé à Posquières en 1197). La stèle dévoilée le 15 mai 2019 lui est donc dédiée. LeHitra’ot, Monsieur Bellity.
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.
C’est un tres bon travail de recherche qui nous montre une des pages de l’histoire du peuple juif.
Merci beaucoup. La seule originalité est d’éclairer, grâce aux apports de l’histoire du climat, sous un jour un peu différent l’épanouissement de la culture hébraïque locale. Cette dernière avait bénéficié également de l’émigration des Juifs espagnols, en général fort cultivés, chassés par les persécutions et les conversions forcées de la fin du XIe siècle des Musulmans Almoravides, elles-même précédées par le massacre de Grenade du 30 décembre 1066 avec ses 4 000 victimes. Le résultat en fut le renforcement, au XIIe siècle, des communautés juives du Sud de la France y compris en Provence.
Bonjour,
Existe-t-il une plaque commémorative de la présence d’Abraham ben David de Posquières ?
Merci pour votre travail
Serge-Raphaël BELLITY
Le mercredi 15 mai 2019, une belle cérémonie a rappelé, en présence de toutes les communautés religieuses et civiles, la grandeur universelle du passé juif de la ville de Posquières (devenue Vauvert, seulement au XVe siècle) dans le département du Gard. Une grande stèle commémorative en marbre noir a été dévoilée à cette occasion en français et en hébreu.
Pour répondre à votre question : Où fut enterré Abraham ben David, le père de la Kabbale de Posquières ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_ben_David_de_Posqui%C3%A8res
Le cimetière médiéval de Juifs se trouvait à l’emplacement actuel de la maison de retraite qui est située dans une partie ancienne de la ville dite du Pic de Milan.
https://www.objectifgard.com/2019/05/19/vauvert-quand-vauvert-sappelait-posquieres-un-nom-connu-du-monde-entier/
C’est pourquoi, à l’initiative de la municipalité, la grande stèle a été érigée à Vauvert dans la rue Louis Aragon, tout à côté de la maison de retraite qui occupe l’emplacement de l’ancien cimetière juif.
https://voir-plus.com/2019/05/24/une-stele-pour-rappeler-le-riche-passe-de-posquieres-et-de-son-ecole-rabbinique/
C’est la sépulture du Raavad ou RaBad, nom collectif sous lequel on regroupe trois grands penseurs médiévaux, trois rabbins.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rabad
RaBad III est le plus célèbre et c’est Abraham ben David de Posquières (né à Narbonne en 1120 – décédé à Posquières en 1197). La stèle dévoilée le 15 mai 2019 lui est donc dédiée.
LeHitra’ot, Monsieur Bellity.