(Pourquoi rendre hommage ? Pourquoi écrire quelques lignes à propos d’un homme disparu depuis déjà plusieurs années alors même que les hommages tout juste rendus à d’Ormesson et Halliday ne m’ont, pour le moins, pas exactement ému ou enthousiasmé ? S’il s’agit d’une déclaration d’amour, faisons-là aux vivants ! On ne dit jamais assez aux vivant aimés qu’on les aime : cet excès de pudeur relève presque du tragique. Et c’est une insulte aux défunts que de les canoniser à l’instant de leur mort. Mais il peut aussi s’agir, par l’hommage, de faire connaitre à ceux qui ne l’ont pas encore découvert un personnage fascinant qui, ne cherchant pas désespérément la lumière médiatique, a contribué à rendre notre monde un peu plus vivable. Et c’est là – bien plus qu’a l’Académie – que se joue l’immortalité véritable : par les effets illimités d’une vie brillante dont les conséquences perdurent. Achille, déjà, j’avais bien compris : en allant à Troyes il mourait pour devenir éternel. Le sens de « vérité » en grec ancien est proche de celui de « mémoire ».)
Alors que je sortais tout juste des classes préparatoires, cet astronome presque mythique et auréolé de tant d’exploits (lui-même élève de l’immense Bernad Lyot) m’a accueilli dans son laboratoire avec une sidérante bienveillance. Avec la générosité évidente – et rare pourtant – de ceux qui n’ont rien à prouver, rien à montrer, rien à demander.
Audois Dollfus est avant tout connu pour avoir découvert Janus, le satellite de Saturne. Il a également montré l’existence d’eau sur Mars à l’aide d’incroyables « ballons » dans lesquels il s’envolait – au péril de sa vie – pour observer au-dessus de l’atmosphère terrestre. Il a fondé et dirigé le laboratoire de Physique du Système Solaire mais a refusé la présidence de l’Observatoire de Paris-Meudon qui lui fut proposée, désireux de ne surtout pas se couper de la recherche. Son oeil presque espiègle ne brillait entièrement que quand il évoquait les études en cours et les découvertes latentes.
Personnage singulier, intelligence pointue, exigence extrême. Je me souviens avoir été immédiatement impressionné par la capacité d’écoute d’Andoin Dollfus. Même les mots d’un jeune étudiant découvrant la recherche lui étaient précieux : quel étrange contrepoint de bonheur et d’anxiété pouvais-je ressentir quand, dès que l’un de nous prenait la parole, il se taisait respectueusement, inclinait la tête et baissait légèrement les paupières pour demeurer comme infiniment concentré alors même que nos paroles étaient souvent futiles et toujours insuffisantes. Il scrutait le monde avec la précision de l’émerveillé lucide.
Dans la couple du télescope de 1 mètre de l’Observatoire de Meudon, Audouin Dollfus et moi avions in extremis réparé tant bien que mal son vieux polarimètre pour être prêt à temps : la comète SL9 allait entrer en collision avec Jupiter ! Un événement rare et très excitant.
Mais le plus fascinant fut de voir Audois Dollfus, à la fin de la nuit, retirer l’instrument et replacer l’oculaire dans le télescope. Il a observé … à l’oeil nu ! (Ce qui, il y a vingt an déjà, était tout à fait impossible dans le cadre d’une astronomie professionnelle.) Et il a dessiné la forme de l’impact de la comète sur la planète géante. J’ai regardé son dessin et j’ai souri : le vieil homme devait perdre la tête, moi je ne voyais rien dans l’oculaire ! Et, le lendemain, jai remarqué que les images du télescope spatial Hubble qui étaient presque exactement semblables à ses dessins. Il m’a gentiment expliqué qu’un capteur numérique (CCD) intègre le signal pendant un certain temps et est donc soumis aux fluctuations atmosphériques. Tandis que l’oeil humain, observant si l’on peut dire « en continu », permet au cerveau de garder fugitivement en mémoire l’image « parfaite » observée pendant une infime fraction de seconde où l’atmosphère s’est trouvée fugitivement stable.
Quand nous sommes ensuite allés tous les deux au Pic-du-Midi (il s’agissant encore un pur observatoire astronomique de recherche), dans les Pyrénées, je me souviens autant des observations minutieuses au coronographe, durant lesquelles Audouin Dollfus pouvait infatigablement refaire les mêmes opération jusqu’à ce quelles atteignent le niveau de perfection qu’il recherchait, que des immenses piles de tasses a café – jusqu’au plafond parfois – qu’il s’amurait à construire dans la cuisine du Pic. Il y avait – et, pour lui, le terme n’est pas galvaudé – une forme d’héroïsme, oui, dans le désir insatiable de connaissances de cet homme maigre et un peu vouté, comme inévitablement rattrapé par la gravité qu’il passait sa vie à défier.
Audouin Dollfus était un savant et un aventurier. Il aimait à me raconter que quand ses ballons, qu’il inventait et utilisait pour observer les planètes depuis la haute atmosphère, retombaient et qu’il s’extrayait douloureusement des nacelles de ceux-ci, les habitants étaient souvent effrayés ! Ils croyaient voir surgit un extra-terrestre. Il était parfois menacé et les gendarmes étaient appelés par les paysans incrédules.
Je me souviens de ses articles publiés dans Astronomy & Astrophysics où les dessins étaient encore effectués à la mine de plomb tandis que plus aucun de ses collègue de recourrait à cette technique depuis des décennies.
Et surtout, je veux évoquer son extraordinaire humilité clairvoyante. Quand j’osais timidement lui avouer que je projetais de travailler sur la physique de l’Univers primordial, sur le Big Bang et les trous noirs, il sourit avec bienveillance. J’étais fasciné par les articles de recherche de celui qui est aujourd’hui mon collègue et ami : Patrick Peter. Dans la salle informatique de l’observatoire de Meudon, je voyais – presque ému – s’imprimer les travaux de Patrick sur les cordes cosmiques supraconductrices. Et Audouin Dofflus, sans mépris, sans arrogance, sans dédain aucun, me rappelait que si toutes ces questions étaient évidemment importantes et intéressantes, il était essentiel de ne pas oublier que nous connaissons toujours bien mal le système solaire. Et il ajoutait : « oui la matière noire est une sacrée énigme mais on en oublie que ces planètes autour de nous sont encore, elles aussi, tellement mystérieuses ».
C’est aujourd’hui cette même capacité à l’émerveillement nietzschéen qui fait tant défaut et pourrait pourtant nous faire enfin découvrir tous ces mondes que nous balayons d’un revers de l’esprit.
J’ai vécu la fin du laboratoire d’Audouin Dollfus et son départ en retraite. C’était un îlot magique et singulier. On y parlait philosophie, on y invitait des géologue, on y évoquait les possibles avec sérénité et nuance. Il régnait, dans le laboratoire d’Audouin de Dollfus, un « petit air de liberté » et celui là – bien loin de Saïgon – était réel.
Très bel hommage Aurélien rendu à cet astronome que tu as connu.
Belle histoire plaine de souvenir pour toi.
Tu reprends le flambeau de la connaissance et du s’avoir.
De la haut il doit être fier de toi.
F4REL(laurent)
Merci pour votre conférence à l’IMEC près de Caen le samedi 9 décembre. Malgré mes 69 ans, les questions de tous ces jeunes et vos réponses précises, respectueuses et si claires me donnaient envie des reprendre le chemin de l’école.
Encore merci. Je lis maintenant vos contributions sur internet.
Claude RENOUF.
MERCI AURELIEN,DE TOUTES CES MEMORISATIONS SUR AUDOUIN ,qui entre autre etait tres souvent cite a MEUDON ,pour toutes ces astuces dans les labos qu’ilne manquer pas de solliciter ,etrange ,que , tu ennonce ton ami PATRICK PETER que j’ai eu furtivement ,le temps de croiser,en 2007 aux labo des surfaces optiques ,au cours duquel ,tres velocement ,comme a son habitude,j’en fut surpris et l’appreciant d’autant aussi en t’observant!!!on comprent pourquoi??? il arepondu a une de mes naives question sur le poid que l’on pouvez expulser en orbite pour l’observation galactique dans l’ensemble par des instruments d’optiques et tres gentiment ,il avait , apres sa breve definition sur le rapport des moyens,insistait,pour que l’on se revoit autant de fois que je le desirait ;apres RDV ,si tu le voit ,prochainement,demande lui,s’il se souvient ,CE GEANT tres doux …de PATRICK de petit par la taille qui etait inscrit dans objectifs des formations de L’OBSPM……a tres bientot ,en EQUIPE TOTALE ,si possible……
J’ai été très ému de lire cet hommage à Audouin Dollfus, ton première maître et très heureux que son souvenir perdure.
Moi je suis fasciné par vous Aurélien Barrau…
Ce niveau de tachypsychie me laisse pantois d admiration!
Ce tourbillon constant entre astronomie, philosophie, mécanique quantique, relativité générale et poésie , le tout servi par une prodigieuse éloquence et une richesse de vocabulaire, donne juste le vertige.
J ai rencontré des gens intelligents dans ma vie, mais jamais à cette hauteur et jamais en tous cas à ce niveau de culture.
Je suis chirurgien et j ai 62 ans
J exerce une chirurgie triviale dont l indigence conceptuelle me navre quotidiennement et intrinsèquement…et aussi me déprime ontologiquement depuis que je vous suis sur utube…parlerais je comme vous?…une seule chose me consolerait encore, c est – non pas de sauver des vies, n ayant pas cette prétention – mais juste de rendre service à mes congénères…une autre me désole, c est l arrogante et hautaine suffisance de mes collègues .,.je leur demande d écouter A.Barrau et leur dit que vous venez de l horizon d un trou noir…me tromperais je ?
Bravo pour cet hommage qui me touche énormément. Je suis entré à l’observatoire de Meudon en 2001 comme observateur solaire et j’ai beaucoup fréquenté Audouin avec qui j’ai travaillé sur l’histoire de l’observatoire et son patrimoine. C’était un homme délicieux, très humain et respectueux et nous avions une réelle complicité dans notre relation. Bien qu’en retraite, il venait chaque jour à l’observatoire et j’allais le saluer dans son bureau où il me recevait toujours avec un plaisir non feint. J’ai passé de longues heures à l’écouter me raconter ses travaux sur le Soleil dans le cadre de mon mémoire sur l’histoire des observations solaires à Meudon. J’ai toujours eu une profonde admiration pour cet astronome qui représentait, à mes yeux d’amateur devenu technicien professionnel, la “belle astronomie du vingtième siècle”.
un tel hommage est très émouvant: célébrer un homme accompli qui a indiqué les portes de l’univers du monde et de l’humanité et qui sait démêler l’écheveau des connaissances d’hommes jeunes , les éclaircit et leur permet de le surpasser. Comme retraité j’ai le temps d’écouter les magnifiques conférences de monsieur Barrau, si je les comprends parfois de travers elles me permettent des discussions chaleureuses avec mes petits enfants de 6 à 18 ans.
Merci monsieur
J’admire votre intelligence et votre volonté de partager le savoir .Merci.
Un petit détail Achille trouva la mort à Troie , à Troyes il aurait péri d’ennui dans la bonneterie “Petit Bateau”
Ce qui est merveilleux avec internet c’est que l’on a la possibilité d’accéder d’où que l’on soit à des univers aussi inspirants que le vôtre . Je découvre avec enchantement votre chaine You Tube et votre blog. En écoutant et en lisant vos explications sur divers sujets qui semblent être très éloignés les uns des autres mais que vous rattachez à un système de pensée cohérent et intelligible pour tous, j’éprouve une forme d’ expansion qui me pousse à vouloir en savoir davantage sur des thèmes qui ne m’avaient jusque là jamais vraiment intéressé. Merci infiniment.
Je découvre votre hommage à Audouin Dollfus, Aurélien ; j’ignorais qu’il avait été votre maître.
J’ai eu l’occasion d’assister aux conférences qu’il donna, à plusieurs reprises, au Parc aux étoiles de Triel/Seine et ce qui m’a le plus impressionné, au-delà des qualités intellectuelles et humaines que vous évoquez, c’est cet enthousiasme, ce plaisir, cette joie qu’il avait à communiquer la genèse de ses découvertes. Il avait clairement expliqué, à l’issue d’une de ces interventions, en forme de conclusion, que c’était cette curiosité de comprendre le monde qui était le moteur de sa quête scientifique.
J’ai eu l’occasion de suivre une des conférences d’A. Dollfus, au Parc aux étoiles de Triel/Seine, dans les Yvelines.
Il renvoyait l’image du grand savant, passionnant parce que passionné, enthousiaste, habité par le désir de comprendre (et si possible d’expliquer) le monde au plus grand nombre.
C’est très touchant les photos sont belles
En 1950 , alors étudiant et retenu en été comme gardien-guide de l’OBSPM, je voyais Audouin Dollfus dessiner à la mine de plomb “les canaux de Mars” ! … et son père montgolfièriste venait discrètement l’y accompagner ! … Michel Trellis, de Meudon, travaillait sur le coronographe de Bernard Lyot et m’initiait à ce monde de recherches, et aux “travaux pratiques” de Cosmographie, alors au programme de “terminal math-élem” et précieux pour initier la foule de visiteurs émerveillés par tout ce qui se passait “là-haut” , faute d’aller plus haut “en ballons” !