Je reproduis ici un petit éditorial invité qui m’a été demandé par une revue Suisse.
La vérité n’est pas négociable. Elle ne devrait évidemment l’être nulle part mais, en sciences peut-être plus qu’ailleurs, aucun compromis n’est en ce domaine acceptable. Les récents débats autour d’une ère « post-vérité » (bien que le phénomène ne soit en réalité absolument pas nouveau) ont souligné la dangerosité de tout laxisme avec l’exigence de vérité. Le respect de la vérité est plus qu’un guide : il est la condition de possibilité du discours rationnel.
Pour autant, comme cela fut rappelé avec finesse par Foucault et Deleuze (parfois victimes d’une lecture à contre-sens radical), il ne suffit pas de proclamer – à la manière d’un rituel presque magique – son attachement inconditionnel à la vérité. Encore faut-il avoir le courage de questionner la vérité pour mieux la comprendre, pour mieux la servir.
Que cela plaise ou non, ça ne fait pas question : le concept de vérité a évolué avec le temps. Et sauf à nous croire les incarnations de la « fin de l’histoire », il nous faut convenir qu’il évoluera sans doute encore. De plus, même à une époque donnée, il n’est pas le même pour toutes les cultures. En Grèce antique il était parfois synonyme d’éloquence et de capacité à convaincre, sans lien ferme avec ce qui peut advenir hors du discours – en opposition presque totale avec l’acception usuelle contemporaine. Respecter la vérité exige donc de la scruter, de la travailler et de la comprendre dans la diversité de ses significations (fut-ce pour en réfuter certaine).
La recherche de la vérité est une entreprise sérieuse. Il ne suffit pas de l’appeler de façon incantatoire, il faut oser faire face à la subtilité et à la diversité des paradoxes qu’elle engendre parfois. L’impératif de disjonction binaire, par exemple, est une illusion banale. Dans sa forme caricaturale il pourrait se résumer à : « en vérité, la Terre se meut-elle ou est-elle au repos ? ». Naturellement, en vérité, la Terre peut être au repos, ou en mouvement, suivant notre choix de référentiel. Ce qui se signe ici, en filigrane, c’est que la vérité est souvent relative à un cadre et que ce cadre est souvent en partie contractuel. Ce qui ne signifie nullement, d’aucune manière, que « tout se vaut » ou que « tout est vrai ». Mais ce qui signifie que les systèmes et modalités d’évaluation de la vérité doivent être intégrés dans une enquête authentique et minutieuse. Une exigence – une inquiétude également – qui se trouve aussi bien chez Derrida, en philosophie continentale, que chez Goodman, en philosophie anglo-saxonne. L’un et l’autre étant d’ailleurs parfois, injustement, suspectés de laxisme avec la vérité alors que toute leur démarche est exactement à l’opposé de ce supposé relâchement : ils intègrent les schèmes d’évaluation dans la structure de la trame à considérer.
La science a partie liée avec la vérité. Elle est souvent fantasmée dans une logique du dévoilement (aletheia) donnant accès à l’en-soi du réel. La science comme révélation du fait pur. Ce n’est vraisemblablement pas inepte. La science procède en effet d’un désir de montrer quelque chose du monde qui dépasse nos désirs et nos simples projections humaines. C’est un large pan de sa noblesse et de son élégance. Mais prenons garde à ne pas nous engouffrer trop vite dans cette vision simpliste.
D’abord parce que la science est elle-même relativement mal définie. Aucun principe simple ne permet d’en édicter la méthode ou d’en circonscrire les limites. Elle est parfois assimilée à la quintessence de l’expression de la rationalité. Mais la rationalité est elle-même multiple ! Là encore il ne s’agit pas de prôner une diversité extrême pour le plaisir de la subversion ou le désir de l’expérimentation : il est simplement incontestable que la raison prend, dans l’intellection humaine, des formes extraordinairement multiples. Manifestement, des postures religieuses, mystiques, artistiques, oniriques, etc. se justifient parfois au nom de la pleine et entière rationalité. Et c’est tout à fait cohérent du point de vue de la logique propre de ces gestes. Aucune « meta-raison » hégémonique et absolue ne semble se dessiner. Personne ne justifie ses options au nom de l’irrationalité, ce qui revient à dire que nous sommes tous les irrationnels de la raison ennemie. Il n’est pas question d’en conclure qu’aucun choix ne doit être opéré. Ce serait même plutôt l’inverse : il faut s’engager, mais les positionnement exigent un peu plus de réflexion qu’un appel permanent à la rationalité qui, bien souvent, engendre précisément ce qu’il entendait conjurer.
Ensuite parce que l’idée même de fait pur est délicate à manier. Il n’y a aucun doute que des « choses » adviennent indépendamment de nos conventions et de nos actes de langage. Mais il n’est pas évident que nous puissions rendre compte de ces advenues de façon indépendante de tout système relevant au moins partiellement d’une construction. Il est parfois argué que rappeler cette évidence reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Il serait prudent d’enfouir et de taire cette vérité, au nom … de la vérité ! Il faut, me semble-t-il, plutôt faire le pari de la subtilité. Feindre une évidence factuelle transparente, universelle et non-équivoque ne protège pas des impostures (négationnisme, créationnisme, climato-scepticisme, etc.) qu’il est bien-sûr nécessaire de combattre sans relâche. Tout au contraire, cela atrophie la finesse de l’analyse qui devient toujours violente et injuste si elle omet la diversité manifeste des êtres-au-réel possibles et actuels. Ce qui pourrait aussi se résumer par : réfuter un système de penser exige d’en comprendre la logique propre pour la mettre en défaut, sans quoi l’argument n’a aucune portée performative.
Le défi est immense : concilier la rigueur de la « méthode scientifique », aussi mal définie soit-elle, avec la reconnaissance presque « œcuménique » de la multiplicité des approches et des appréhension. D’un coté, une forme dramatique de nouveau « fascisme » impose le déni de la vérité à des fins politique (on pense aux mensonges éhontés de l’équipe de Donald Trump). Il faut s’y opposer sans baisser la garde. De l’autre, un scientisme naïf et arrogant interdit d’interroger le concept de vérité et pense détenir le fin mot sur la structure du réel et de la pensée juste ou adéquate. Il est essentiel de ne pas y céder. Entre ces deux écueils, que j’ai nommés quelque part post-vérité et sur-vérité, le chemin critique est étroit. Notre responsabilité, me semble-t-il, consiste pourtant à le suivre le plus scrupuleusement possible.
Il ne faut pas confondre le territoire et la carte. Le territoire échappe à la re-présentation, nous ne savons dessiner que des cartes. Et les planisphères « politiques » ressemblent bien peu aux planisphères « géographiques ». Quand ils sont bien faits, ils peuvent être l’un et l’autres corrects mais ils ne disent pas la même chose. Ils ne semblent pas évoquer le même monde. Ils donnent à voir des aspects largement incommensurables. Ils suggèrent des partitions irréductibles.
Il n’est pas même évident que le territoire existe en tant que tel. Il ne va pas de soi qu’un objet ou un étant sous-jacent, unique et déterminé, puisse être pensé ou envisagé sereinement. Il est urgent de n’avoir pas peur de faire face à la complexité. Si un danger peut effectivement accompagner chaque démarche déconstructrice, il me semble constituer un moindre mal face à la créance impérieuse en une vérité détenue qui, l’histoire le rappelle sans cesse, est toujours une illusion naïve. Aux conséquences parfois dramatiques.
Le grand philosophe et mathématicien Bertrand Russel n’eut de cesse de rappeler l’importance d’un désir inconditionnel de vérité comme voie de dépassement des croyances trompeuses et des convictions erronées. Il avait en cela évidemment raison. Mais il ne faut pas oublier que se croire détenteur de la Vérité – ou même arpenteur d’un chemin unique qui y mènerait – constitue l’autre piège, plus insidieux et tout aussi dommageable. Dans les deux cas, le même risque d’une perte de porosité aux modalités innombrables d’un réel perpétuellement inassignable peut faire jour. Entre Charybde et Sylla, un mince bras de mer s’ouvre à notre sagacité. La navigation y est périlleuse et exige beaucoup d’humilité et de rigueur.
En ces temps délicats, choisissons nuance et subtilité.
Superbe édito !
BravAurélien
AffichAge DecauX
Maxime ? ?….l
Nos savoirs d’aujourd’hui effacent notre ignorance d’hier pour révéler celle de demain…utopie et uchronie, au
mieux, vérité de l’instant…deux termes inconciliables
Bonjour,
Au-delà de la Vérité et de la Beauté, qui sont deux discours infinis opposés et complémentaires qui participent de notre représentation du Réel, il y a des FAITS MASSIFS : la Mort, la Vie, l’Existence, la Pensée, l’Amour, le Désir, le Mal… Qu’est-ce ontologiquement que la Lumière ? Qu’est-ce ontologiquement que la Matière? Et si tout était REMPLI d’êtres, d’ENTITES que nous ne savons pas encore comment interroger?
Mercipourtout
Bonjour,
Le mensonge s’impose toujours, seule la Vérité se laisse toujours discuter.
Je me permets de vous transmettre l’adresse de mon blog au cas où vous désireriez aller plus loin et voir de quoi il retourne, dans les domaines des Sciences, de l’Histoire ou de la psychologie entre autres.
https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.fr/
Cordialement.
“Science et Vérité, une dernière fois !”
Une dernière fois? ça m’étonnerait… (cent fois sur le métier, etc…)
La preuve dans les commentaires ci-dessus.
Merci, en tout cas, et bonne navigation ! Charybde et Scylla sont plus que jamais là.
Bonjour,
n’ayant aucun socle scientifique, j’aimerais savoir si je suis à la dérive la plus complète. Voici l’objet de mon trouble.
Concernant l’absence de lumière émanant d’un trou noir, suis-je dans l’erreur quand je prétends que c’est la vitesse atteinte par les objets au delà de l’horizon qui fait que la lumière ne peut plus les atteindre ?
J’ai aussi une idée fumeuse 🙂 en complète contradiction avec ma précédente question.
La lumière ne pourrait-elle pas être une sorte de “semoule” dans laquelle nous baignons dont les “grains” seraient agités par tout ce qui est en mesure de produire de la lumière ?
A la manière dont le sont les atomes dans un fil électrique avec du courant alternatif. Donc pas comme une onde.
Cette idée me vient du fait que la lumière aurait une vitesse invariable; or ce qui est invariable est fixe.
Valà. Tout ça ne repose sur aucune base scientifique, mais comme je ne peux pas décidé de devenir astrophysicien en prenant des cours du soir, je m’en réfère à vous, étant entendu que vous avez sans doute autre chose à faire.
Mais bon… sait-on jamais 🙂
au zero absolu selon la loi de Beuze einchtein les électrons ne tournent plus autour des noyaux la matiere se condence la lumiere a besoin de chaleur pour exister un trou noir ne peut donc pas etre visible mais c est un astre tres froid et tres dense qui recupere la matiere ejecter lors d une supernova et lorsqu il attire une etoile de plus de 10 masses solaire une nouvelle supernova va permetre a la matiere de devenir visible l univers serait a 95 froid et 5visible et chaud
oups, j’ai oublié de vous faire une remarque.
Utiliser cette image de femme stylisée sans sexe (mais avec des seins) pour représenter la vérité ; je comprends l’intention, mais si vous voulez j’en tiens une à votre disposition avec des poils pubiens. Là au moins, ce sera la vérité.
Bonjour,
Commentaire un peu orthogonal au sujet. J’ai eu l’occasion d’écouter plusieurs de vos conférences sur la science et il me semble qu’il faut une distinction que je ne crois pas vous avoir entendu proposer, à savoir distinguer la science “aux frontières” de la science en “zone tranquille”. Typiquement, la physique des particules et la cosmologie s’intéressent à des sujets extrêmement fondamentaux où tout peut basculer. En revanche, pour des disciplines comme la biologie ou (c’est ma discipline) la science des matériaux, il y a des acquis tels que l’ADN, la dislocation, le cristal, l’atome, etc. dont on voit mal comment on reviendrait dessus un jour pour les remplacer par des concepts différents : dans ces zones de la recherche scientifique, il y a des éléments que l’on peut tenir pour vrai sans paraître prendre grand risque. Dans ces zones, les éléments révélés par la science sont tellement riches et solidement établis qu’on voit mal comment les qualifier d’autre chose que de vrais… au moins sous le rapport qui intéresse la science : il ne s’agit pas de prétendre, par ces méthodes, pouvoir épuiser l’ensemble du vrai ou atteindre à la Vérité… quoi que cela puisse vouloir dire, elle est hors de notre portée.
Et d’un point de vue épistémologique, je dirais que méthodes d’investigation et objet de connaissance se correspondent. Les choses se passent mal quand on dérape au plan épistémologique, consciemment ou non. Et ce n’est pas nécessairement simple à percevoir.
Bien cordialement,
MB
Bonjour, si je conçois votre distinction entre science aux frontières et science du réel, j’ai une immense réserve par rapport aux exemples que vous citez… En quoi l’ADN peut-il être tenu pour vrai ; son existence (constatée par l’expérience) ou son rôle théorique ? Quand vous parlez de la dislocation, évoquez vous le phénomène physique ou son explication rationnelle ?
Sachez qu’en ce qui me concerne, et pour bon nombre de personnes avec moi, aucune construction intellectuelle, aucune théorie issue de l’observation du monde ne peut être qualifiée de “vrai” (y compris la gravité). Donc merci de clarifier votre propos, ou de l’étayer.
Tout à fait d’accord
“La vérité” est un pays sans chemin disait J. khrisnamurti et il avait bien raison.
Ce que l’on nomme “irrationnel” n’est que “l’inconnu” qui n’a pas encore été exploré, mais c’est possible…..mais cela demande d’aborder la connaissance de soi-même.
Au moins une personne lucide ici
Votre commentaire est excellent !
“Aucun principe simple ne permet d’en édicter la méthode ou d’en circonscrire les limites”
SI !
ce principe “simple”, c’est le principe de relations de causalités, dont la finalité est de permettre la réalité physique, car la condition d’existence de cette dernière est le principe de causalité ou plutôt donc, de relations de causalité.
Ce principe directeur, premier (définissant la finalité) s’appuyant sur trois sous principes (secondaires), dits d’exécution que sont la récurrence, l’itération et la dynamique ou division fractale. Le principe de relations de causalité est maître pour tout système quel qu’il soit, sans cela, aucun système ne peut exister en tant que tel, c’est à dire, mû par des règles internes le définissant.
C’est de la logique élémentaire du niveau primaire, mais qui aujourd’hui relève encore du niveau post universitaire.
Selon le principe de relations de causalités, un principe établit et immuable fondamentalement, il évolue dans sa forme par changement de dimension ou division fractale.
Ainsi, le déplacement de la lumière obéit strictement au principe de déplacement de toute onde dans son milieu. Il n’y a fondamentalement,au niveau du principe, aucune différence entre une onde sonore et une onde électromagnétique. C’est ce que rend compte la théorie de la relativité, le fait que le déplacement de l’onde ne peut se faire que s’il existe un milieu porteur, sans cela, l’onde ne peut pas se déplacer. Peu importe qu’on puisse le voir ou non, sans milieu porteur, une onde quelle qu’elle soit ne peut pas se déplacer. Par contre, sa forme évolue selon la dimension de référence observée. Bref, il existe bel et bien un éther, fixe et immuable permettant le déplacement des ondes électromagnétique. Mais pour comprendre comme cela fonctionne, là, il faut dépasser votre mode de raisonnement….
Pour finir, la vérité de l’Univers avec un grand “V” est la chose la mieux partagé de l’Univers, c’est donner sens à l’existant ! Tout simplement, parce que, quelle que soit l’hypothèse de départ, croyant ou non en Dieu, l’Etre en tant que tel ne peut pas être supprimé. Aucune expérience de pensé ou physique ne peut l’éliminer, sauf par aberration du cogito. Pour l’Univers, la question se résume donc entre donner sens ou non à l’existant, autrement dit, entre la vie et le néant. Où donc, la mort est un élément de condition de la vie et ne s’oppose pas à elle, c’est le néant qui s’oppose à la vie, c”est à dire, la perte de sens ou négation du sens. C’est donc la négation ou perte de sens qui menace la vie et elle seule.
Vous êtes sans doute un excellent scientifique, mais de mon point de vue se fondant sur le principe de relations de causalité, un passable philosophe. Sachant que le principe ou raison repose sur ses propres postulats, qui fait qu’on peut la suivre, mais pas “être” ou avoir raison.
La raison, on la suit pour s’en servir et autant pour asservir que pour servir. Mais en aucune manière on a raison, c’est un abus de langage qui permet surtout de diviser les humains et interdire leur éveil et émancipation d’un système fait et pensé pour permettre la prédation du temps de vie des êtres.
La science n’est un but, c’est moyen pour connaitre et comprendre le réel, mais aussi pour faire des choses utiles.
La Vérité est un concept inventé par Sapiens, elle n’existe pas “en soi”.
Les anglo-saxons différencient “truth” et “fact” ce qui clarifie. La science nous dit le “comment” pas le “pourquoi”.
Nous avons besoin de la philosophie, des questions et de la sagesse. Le monde actuel est un “tohu bohu” ou chacun croit tout savoir, une mêlée sans règles. Internet un vaste forum qui rend inaudibles les sages.
Je vais en haute montagne pour le silence qui me parle. Connaitre le monde et se connaitre
Trouver le chemin du juste mileu, c’est une banalité, c’est aussi ce que dit Aurelien
Un mot pour Hervé Hum : méfions nous des principes. Nietzche a réfuté celui de causalité
Par contre établir une relation de causalité entre un fait et un autre est un niveau de preuve
La science n’est un but, c’est moyen pour connaitre et comprendre le réel, mais aussi pour faire des choses utiles.
La Vérité est un concept inventé par Sapiens, elle n’existe pas “en soi”.
Les anglo-saxons différencient “truth” et “fact” ce qui clarifie. La science nous dit le “comment” pas le “pourquoi”.
Nous avons besoin de la philosophie, des questions et de la sagesse. Le monde actuel est un “tohu bohu” ou chacun croit tout savoir, une mêlée sans règles. Internet un vaste forum qui rend inaudibles les sages.
Je vais en haute montagne pour le silence qui me parle. Connaitre le monde et se connaitre
Trouver le chemin du juste mileu, c’est une banalité, c’est aussi ce que dit Aurelien
“En ces temps délicats, choisissons nuance et subtilité.” N’est-ce pas ne pas conclure, n’est-ce pas un non choix, la peur de ce qu’engendrerait en vous une prise de responsabilité ?