Le satellite Microscope a été lancé, il y a peu, par une fusée Soyouz pour tester le principe d’équivalence. Qu’est-ce que cela et pourquoi vouloir améliorer la précision d’une mise à l’épreuve de cet élément central de la physique déjà fort bien confirmé par de multiples expériences ?
Le principe d’équivalence est le constat suivant : tous les corps chutent de la même manière dans le champ gravitationnel, quelles que soient leurs masses. Il joue donc un rôle central dans la construction de la relativité général car c’est à partir de celui-ci qu’Einstein comprend que, parce que la gravité est la même pour tous, il est peut-être possible de la décrire comme une déformation de l’espace-temps – qui, précisément, nous contient tous – plutôt que comme une force agissant sur les objets.
La relativité générale, la grande théorie d’Einstein, fonctionne remarquablement bien ! Nous venons d’en avoir une nouvelle confirmation avec la magnifique mesure des ondes gravitationnelles par LIGO. Elle nous apprend que l’espace est une entité dynamique et que l’expansion de l’Univers est en fait une dilatation de l’espace. Grâce à elle, il est possible de rendre compte de façon fiable et précise de l’essentiel de l’histoire de l’Univers. Hélas, elle ne fonctionne plus au moment du Big Bang ou juste autour de celui-ci. Il faudrait alors disposer d’une théorie « meilleure » que la relativité générale : une théorie de gravitation quantique, c’est-à-dire conciliant les deux piliers de la physique de 20ème siècle.
À l’heure actuelle aucune théorie consensuelle de gravitation quantique n’existe. Parmi les modèles les plus étudiés, on trouve la théorie des cordes et la gravitation quantique à boucles. Cette dernière fait apparaître des espèces « d’atomes d’espace ». Depuis une quinzaine d’années, elle a été appliquée avec succès à l’Univers lui-même et montre que le Big Bang disparaitrait et serait remplacé par un grand rebond, un Big Bounce. Il s’agit naturellement d’un modèle spéculatif mais il est cohérent.
Les ondes gravitationnelles sont de petites vibrations de l’espace et la journée du 11 février fut historique pour celles-ci ! Nous venons de vivre un événement majeur.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux commencer par commenter le titre provocateur de ce billet : il ne s’agit nullement de contester ou de dénigrer la magnifique détection opérée par l’expérience LIGO et moins encore d’en contester l’intérêt phénoménal. Il s’agit d’une mesure à la fois sidérante et émouvante. Voir des trous noirs de cette manière est sans précédent dans notre histoire et je vais y venir en conclusion. Mais je crois néanmoins qu’il est important de produire certains éclaircissements par rapport à différentes analyses un peu trop rapides qui fleurissent ici et là, de façon que cette avancée exceptionnelle soit appréciée pour ce qu’elle est vraiment !
1) Vient-on de découvrir les ondes gravitationnelles ?
Non. La découverte est ancienne. Une découverte, en effet, est une indication que l’on considère comme suffisamment fiable pour lui accorder notre crédit. Ce n’est jamais une preuve irréfutable. C’est un faisceau d’indices qui convergent. On ne peut pas être certain, par exemple que ce qu’a mesuré le CERN est bien le boson de Higgs prévu par nos théories. Mais cela semble si crédible que nous pouvons collectivement nous mettre d’accord sur ce qu’il s’agit très vraisemblablement de la découverte expérimentale du Higgs.
Et ce sens, je crois qu’on peut s’accorder à considérer que les ondes gravitationnelles avaient déjà, et depuis bien longtemps, été découvertes ! En effet, le système binaire de Hulse-Taylor, un pulsar tournant autour d’une étoile à neutron, étudié dès 1974 a permis de montrer que la variation de période orbitale observée était exactement expliquée par l’émission d’ondes gravitationnelles. S’ensuivit le prix Nobel en 1993. D’autres systèmes de ce type furent découverts, tous en parfaite adéquation avec ce que prédisait l’émission d’ondes gravitationnelles (cf figure ci-dessous). À ma connaissance, plus personne ne doutait de l’existence des ondes gravitationnelles. La détection a donc déjà eu lieu il y a des décennies.
On pourrait objecter qu’il s’agissait d’une détection indirecte tandis que celle, toute récente, de LIGO est directe. Je pense que cette distinction n’a aucun sens épistémologique. Aucune détection n’est jamais “directe” : on observe les effets secondaires d’un phénomène physique sur des objets utilisés comme outils de mesure. C’est ce qui a lieu dans les deux expériences considérées et la seconde (LIGO) n’est pas plus « directe » que la première. Je suis persuadé que si l’interféromètre de type LIGO existait naturellement et que nous avions nous-mêmes construit le système binaire c’est à ce dernier que nous donnerions le qualificatif de « détection directe ».
« Et le centre était une mosaïque d'éclats, une espèce de dur marteau cosmique, d'une lourdeur défigurée, et qui retombait sans cesse comme un front dans l'espace, mais avec un bruit comme distillé. Et l'enveloppement cotonneux du bruit avait l'instance obtuse et la pénétration d'un regard vivant. » Antonin Artaud