Le code de la route est-il quantique ?

Depuis quelque temps, l’adjectif quantique est accolé à des pratiques  ou des activités dont la variété semble inépuisable : il y a d’abord la révolutionnaire (?) “médecine quantique” dont le développement prétendu sert de prétexte à l’organisation de congrès réunissant paraît-il “les plus grands experts internationaux”. Puis viennent les déclamations incantatoires des sites de développement personnel (sic) où on vous explique comment, grâce à la physique quantique, on “met en évidence à grands pas, le lien plus qu’évident désormais entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, c’est-à-dire nous-mêmes”, ceci juste avant de vous proposer d’acheter un (des) appareil(s) permettant, moyennant plusieurs milliers d’euros, de valider par la pratique l’affirmation suivant laquelle “les biophysiciens rejoignent l’Aum’ du Yoga millénaire”. Si la liste pourrait être fort longue (et en fait infinie : pourquoi pas le code de la route ?) et donc lasser le/a lecteur/trice, il est impossible de résister à la tentation de passer sous silence l’astrologie quantique, pseudo-science qui réalise l’exploit indépassable d’associer une croyance s’appuyant sur des faits (la position des astres) mais dénuée de tout fondement scientifique, à une théorie (la théorie quantique) dont Roger Penrose affirme qu’elle est “la plus exacte de toutes les théories physiques”.

Comble du grotesque : sur un site d’astrologie quantique (dont il est précisé que cette appellation est une marque déposée !), il est fait un vigoureux appel à la vigilance contre les dérives où veulent nous entraîner les “gogopathes” de tout poil.

Devant un tel déferlement d’inepties, on est tenté par le désir de voir tous ces grands esprits se livrer à une dernière bataille, celle où dans une empoignade titanesque les combattants se seront mutuellement annihilés.

Si l’on ne peut interdire à personne de délirer dans son coin, de traverser le Pont des Arts en proclamant être Napoléon ou de chanter à tue-tête Carmen en japonais, il est en revanche nécessaire de dénoncer des entreprises qui, affichant leur objectif de santé individuelle ou collective, s’emparent de certains termes d’un langage scientifique avéré pour construire des élucubrations et des divagations plaçant leurs auteurs en situation d’imposteurs au sens strict. La liberté de penser n’est pas la liberté d’escroquer.

Convoquer Heisenberg et Schrödinger pour “démontrer” que tout est quantique y compris la dynamique des cellules de l’organisme humain dans leur mouvement au sein des tissus vivants, manipuler sans vergogne et n’importe comment la relation de de Broglie dans un invraisemblable salmigondis pour en arriver à “l’intrication des oligo-éléments dans l’intestin”, entendre que “peu importe la valeur de la constante de Planck” (ben si, justement !) ou que “les mathématiques ne servent à rien” : voilà quelques exemples de charlatanisme intellectuel dont on souhaiterait que leur seul bienfait (?) soit l’auto-satisfaction de leurs auteurs fiers d’avoir pu se gargariser avec des mots empruntés à une science dont visiblement ils ignorent tout ou presque.

Malheureusement, ce souhait est loin d’être exaucé, à lire les commentaires enthousiastes (!) que de telles insanités font venir à l’esprit d’internautes dont la seule excuse est d’avoir été écartés des voies de la raison, où l’objectif poursuivi est la diffusion des  connaissances établies pour avoir été validées par l’expérience. L’absence d’esprit critique chez de tels admirateurs est pour le moins surprenante mais révèle le seul succès indéniable d’entreprises coupables pour ne pas dire indignes : leur propagation insensée dans le grand public, totalement débridée et décomplexée grâce aux moyens de diffusion massive désormais à la portée de tous.

Mais il y a pire quand ce sont des professionnels de la santé qui entrent dans le jeu en prônant les mérites de la “médecine quantique”, une pseudo-discipline dont on cherche d’ailleurs vainement la définition à travers les déclarations prétentieuses, confuses, contradictoires mais toujours obscures de tous ceux qui s’en réclament, sans vergogne, les pères fondateurs. C’est pire car cette fois c’est de santé publique dont il est question .

Sachez que si l’homéopathie et les “médecines énergétiques”, dont on vous affirme qu’elles font des miracles, “ont tant de mal à s’imposer, c’est parce que leurs fondements théoriques font appel à ce que la science a de plus sophistiqué : la mécanique quantique relativiste et la topologie des formes différentielles de Cartan”. En attendant que ces spécialités soient inscrites dans les cursus médicaux, peut-être faudrait-il  conseiller aux futurs médecins de prêter l’oreille aux affirmations d’un “chercheur indépendant” (sic, mais qu’est-ce donc ?) qui proclame notamment : ” La thérapie quantique rajoute aux conceptions classiques une couche d’information suprale”. Ne me demandez pas ce que suprale signifie, je n’ai pas compris malgré mes efforts.

Phénomène d’illuminés ou de marginaux ? Marginaux, non, à voir la succession des congrès de “médecine quantique” où les sujets des conférences par “les plus grands experts internationaux” vous laisse béat d’admiration et vous plonge dans une irrépressible impatience : à propos de biologie quantique (qu’est-ce donc ?), on vous parlera du “grand rêve d’unifier la gravitation et la physique quantique”, vous saurez tout sur “La fusion froide et les transmutations biologiques” (la fusion froide, vous vous souvenez ?), vous découvrirez la relation transcendantale entre “Épreuve personnelle et saut quantique – Une maladie grave, une séparation…” et vous aurez enfin la réponse à la question que vous vous êtes mille fois posée : “Comment la physique quantique nous aide-t-elle à devenir co-créateurs de notre destin relationnel”.

Je n’invente rien : toutes les sentences entre guillemets sont des citations… que l’on retrouve aisément en entrant un extrait dans un moteur de recherche. Au lecteur de s’amuser…

Comment de telles dérives sont-elles possibles ? Je laisse au sociologue, au psychologue et au psychiatre  le soin d’en déterminer et d’en préciser les causes mais une chose est sûre : derrière ces tentatives de récupération se trouve évidemment une industrie florissante et généreuse qui avait cru que la prétendue mémoire  de l’eau allait (enfin) lui apporter la crédibilité dont elle rêvait. Car, oui, l’histoire de l’eau et de sa mémoire supposée est revenue récemment à l’ordre du jour à cause des affirmations péremptoires d’un prix Nobel dont on attend toujours que ses recherches révolutionnaires soient publiées dans une revue à comité de lecture afin de lui valoir, in fine et à juste titre,  un nouveau Nobel, triple cette fois : physique, chimie et médecine !

La mémoire de l’eau, la fusion froide : deux sans doute des plus grandes erreurs scientifiques du XXe siècle, pour laisser aux accusés le bénéfice du doute en évitant de parler de falsifications. Personne aujourd’hui ne devrait oser ressortir ces extravagances : non au motif que la science ne les comprendrait pas mais simplement parce qu’elles ne sont validées par aucune  expérience et que, en physique, en chimie, en médecine et ailleurs, seule une expérience au protocole exigeant, non ambigu et reproductible peut servir de support à une supputation, qu’elle soit ou non compréhensible au regard des théories en vigueur. La revendication de la démarche scientifique est à ce prix.

Au lieu de rappeler ces exigences méthodologiques auxquelles nul ne peut se soustraire, on nous fait le coup de la pensée unique, de la science officielle qui martyrise ses contradicteurs : l’instruction du cas Benveniste (la “mémoire de l’eau”) n’a t-elle pas été comparée au procès de Galilée ?!

Fort justement, Penrose ajoute que la théorie quantique est “la plus mystérieuse” de toutes les théories physiques. C’est bien là son seul défaut, son talon d’Achille plutôt : si elle explique tout ce qui est aujourd’hui observable jusqu’aux échelles de Planck, elle est aussi tellement mystérieuse et subtile qu’elle prête le flanc aux récupérations les plus farfelues quand elles ne sont pas saugrenues, devenant carrément indignes voire scandaleuses quand, dans un objectif de santé, elles s’adressent à un public ne possédant pas les connaissances permettant de rejeter –  ou de combattre – les inepties, les absurdités et les contre-vérités.

P.S.: pour plus de détails sur les dérives New Age de certains gogopathes, voir l’article “Théorie quantique et médecine : le point de vue d’un physicien”, Hegel 6(2), 132 (2016), disponible à http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/60007/HEGEL_2016_2_6.pdf