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Quel satellite pour le rayonnement fossile ?

Je travaille maintenant dans la collaboration LSST, mais je suis attentive au futur de l’étude du rayonnement fossile en France avec une autre casquette.

On peut observer cette lumière primordiale depuis le sol, depuis un ballon stratosphérique ou depuis un satellite. Cette dernière option est naturellement la plus luxueuse ! Elle permet de voir la totalité du ciel à toutes les fréquences souhaitées. C’est aussi la version la plus onéreuse et la plus complexe … Pour participer à une expérience satellite, il faut soit porter un projet devant l’agence spatiale européenne, soit collaborer à un certain niveau d’implication (humain, technique et financier) dans un projet proposé à une autre agence. Dans tous les cas, l’agence spatiale française est bien-sur concernée.

Planck a pour le moment clos la question de la carte de la température du rayonnement fossile mais tous les regards se tournent vers la détection du signal en polarisation tensorielle censé être produit par les ondes gravitationnelles issues de l’inflation. Cette mesure “prouverait” la phase d’inflation primordiale car aucun autre scénario jusqu’à présent envisagé ne pourrait expliquer ce signal. Il donnerait également accès à l’échelle d’énergie de l’inflation, et donc à de la physique proche de l’échelle de Planck, proche de l’échelle supposée de Grande Unification des forces fondamentales – énergie des millions de fois supérieure à celle du LHC. Enfin le mécanisme d’émission de ces ondes prouverait le caractère quantique de la gravitation. Cette quête va donc en fait bien au-delà de la cosmologie.

La communauté française a mis en place un groupe avec des représentants de chaque laboratoire concerné pour définir le (ou les) projets le(s) plus attractif(s). Il y en a trois.

COrE++, la proposition européenne

Tout d’abord le projet européen, appelé COrEe++ (héritier de COrE et COrE+ …) :

Vue d'artiste du satellite COrE++ Crédits : ESA
Vue d’artiste du satellite COrE++
Crédits : ESA

COrEe++[] est directement le successeur de Planck, avec un concept similaire. Le plan focal sera équipé non plus de quelques dizaines mais de quelques milliers de détecteurs qui observeront le ciel non pas dans 9 mais dans une quinzaine de bandes de fréquence. Il a été proposé sans succès l’an dernier et sera re-proposé cette année. En théorie, c’est le projet avec la meilleure sensibilité au signal primordial en polarisation tensoriel de tous ceux en lice. Mais avec un lancement prévu en 2029-2030 si le projet est présélectionné en 2017 et sélectionné en 2019 typiquement …

PIXIE, la proposition américaine

Il y a d’un autre coté le projet porté par la NASA, également déjà proposé et également re-proposé cette année. Il s’appelle PIXIE :

Vue d'artiste du satellite PIXIE Crédits : NASA
Vue d’artiste du satellite PIXIE
Crédits : NASA

Ce projet PIXIE [] se veut être le successeur de l’instrument FIRAS qui était à bord du satellite COBE il y a 25 ans. Cet instrument avait permis de montrer que le spectre de la lumière primordiale suivait “parfaitement” la loi de corps noir avec une température de 2,7255 kelvin. Faire mieux c’est détecter les écarts à la loi de corps noir, écarts prédits par la théorie et qui gardent l’empreinte de l’hélium primordial, du déroulement de la formation des atomes lors de la recombinaison ou de la réionisation par exemple.
PIXIE est un spectromètre, avec une sensibilité 1000 fois supérieure à celle de FIRAS, et non un imageur du rayonnement fossile. Il a une résolution angulaire de près d’un degré (contre quelques minutes d’arc pour Core++), et seulement 4 détecteurs. Mais ces derniers peuvent capter chacun des milliers d’informations “simultanément” et le fonctionnement de l’instrument permet d’obtenir 400 bandes de fréquence avec une mesure du flux très précise dans chaque bande dans chaque pixel de la carte. Avec ces informations uniques, il sera en mesure de séparer les émissions synchrotron et de la poussière galactique avec une efficacité inégalée et ainsi accéder plus précisément au rayonnement fossile même si la physique galactique s’avère complexe.
Ce projet est a priori premier dans la liste des priorités scientifiques de la NASA pour ce type de mission et devrait décoller en 2023 si tout se passe bien. Une possible contribution française est à l’étude.

LiteBIRD, la proposition japonnaise

Enfin il y a le projet porté par l’agence spatiale japonaise, la JAXA. Ce satellite se nomme LiteBIRD:

Vue d'artiste du satellite LiteBIRD Crédits : JAXA
Vue d’artiste du satellite LiteBIRD
Crédits : JAXA

Le projet LiteBIRD [] est actuellement en phase AA au Japon, avec une contribution américaine déjà identifiée.
L’instrument est un imageur du rayonnement fossile, très similaire à COrEe++ en terme de nombre de détecteurs et de canaux en fréquence mais avec une résolution angulaire de l’ordre du degré. Par rapport au projet européen, il peut faire uniquement la physique du rayonnement fossile avec une moindre sensibilité (environ un facteur 10 sur le rapport tenseur-scalaire qui cherche à être mesuré) et pas de possibilité d’étudier l’effet de lentille gravitationnelle [] ou les amas par effet Sunyaev-Zeldovich [] en raison de sa moindre résolution angulaire. Mais la sélection semble quasi garantie pour un lancement en 2022 ou 2025, et non hypothétique pour un lancement en 2029-30 …

L’équipe LiteBIRD a été invitée par la JAXA à impliquer les Européens, en raison notamment de l’expérience acquise sur Planck et des discussions ont été initiées. Il faut vraisemblablement décider rapidement entre une demande Core++ ou une participation substantielle à LiteBIRD car ce sera une réponse au même appel à projet de l’ESA d’ici quelques mois.

L’avenir spatial de l’étude du rayonnement fossile en France se joue sans doute cette année, à suivre donc …

 

Planck : enfin les résultats de 2014

Je n’ai pas donné de nouvelles depuis un moment, mais j’ai beaucoup écrit pour Planck néanmoins !

Les résultats de la mission complète, y compris en polarisation étaient promis pour 2014. On y est, mais ca a été plus long et difficile que prévu. Et on garde les données de l’instrument haute fréquence en polarisation pour 2015, sauf à 353 GHz où ce n’est pas le rayonnement fossile mais l’émission des poussières froides de notre Galaxie qui domine. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est du “sérieux” : on a besoin d’encore un peu de travail pour être totalement sûr de livrer des données et des résultats fiables. Le niveau d’exigence est tel que c’est pas si facile, en fait … et le résultat mérite a priori ces efforts.

Région de Polaris vue à 353 GHz par Planck-HFI
Région de Polaris vue à 353 GHz par Planck-HFI

Un collègue (Marc-Antoine Miville-Deschenes à l’IAS) produit ces images somptueuses qui ont rencontré un certain succès (ici ou) bien mérité !

Mais il faut chercher dans la précision accrue des mesures du rayonnement fossile les quelques pépites déjà disponibles : les neutrinos fossiles et la matière noire.

On ne s’étend pas aujourd’hui sur l’inflation : les résultats de 2013 sont confortés, et on attend la publication de l’article collaboratif Planck/BICEP2 pour revenir sur le sujet. C’est prévu aussi pour 2014, donc pour bientôt … En tout cas le “draft” est fini.

Ce qui est le plus fascinant, je trouve, ce sont ces 19 pics pour 6 paramètres. Ce n’est pas très idéal médiatiquement peut-être, pas plus que les contraintes sur les neutrinos ou la matière noire d’ailleurs, mais c’est magnifique. Le modèle “simple” de la cosmologie, avec 6 pauvres paramètres, rend parfaitement compte d’une immense quantité d’information : la température et la polarisation scalaire sur tout le ciel sur une gamme d’échelles angulaires couvrant trois ordres de grandeur … On peut tester les hypothèses du modèle précisément et tout colle. Il n’est aucunement besoin de faire appel à un ingrédient non prédit par le modèle standard de la physique des particules ou de la cosmologie (ce dernier incluant constante cosmologique et matière noire stable, qui ne sont pas dans le modèle standard de la physique des particules en revanche). Bien-sur on n’exclut pas totalement la possibilité d’une quatrième famille de neutrinos, on n’exclut pas du tout une matière noire qui s’annihilerait. Le champ des possibles, vu par les théoriciens, est immense et en croissance permanente. Le champ des possibles, vu par les observateurs, se restreint car les mesures sont de plus en plus précises. C’est une combinaison de vraisemblable,  probable,  possible, envisageable, improbable … Mais on progresse inéluctablement. Des réponses solides deviennent les bases de nouvelles questions légitimes. Le pré-Big-Bang par exemple, j’aime bien …

Crédits : ESA-collaboration Planck
Carte en température et spectres en température TT , polarisation scalaire EE, et information croisée température/polarisation TE. Ce sont les mêmes 6 paramètres qui conduisent aux 3 courbes rouges qui ajustent les 19 pics des données expérimentales. Crédits : ESA-collaboration Planck

Il y aura le 22 décembre, a priori, les articles Planck soumis et en ligne, les données correspondantes disponibles, et une belle image du rayonnement fossile polarisé faite par l’ESA et la collaboration Planck. Notre cadeau de Noël (en plus des chocolats).

En attendant, un point complet est disponible ici sur futura-sciences !

Vidéo Un chercheur / une manip, sur Planck bien-sûr

Cette vidéo a été réalisée par Jean-François Desmarchelier à la demande de Simon Meyer, directeur du planétarium de Vaulx-en-Velin . Deux acteurs fort sympathiques et très talentueux de la diffusion de la culture scientifique !

Le principe : Un chercheur / une manip. Donc ici c’est moi et l’expérience c’est, sans surprise !, Planck. Vous pouvez aussi retrouver celle consacrée à mon collègue Andrea Catalano : un autre chercheur mais toujours sur Planck :