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Quel satellite pour le rayonnement fossile ?

Je travaille maintenant dans la collaboration LSST, mais je suis attentive au futur de l’étude du rayonnement fossile en France avec une autre casquette.

On peut observer cette lumière primordiale depuis le sol, depuis un ballon stratosphérique ou depuis un satellite. Cette dernière option est naturellement la plus luxueuse ! Elle permet de voir la totalité du ciel à toutes les fréquences souhaitées. C’est aussi la version la plus onéreuse et la plus complexe … Pour participer à une expérience satellite, il faut soit porter un projet devant l’agence spatiale européenne, soit collaborer à un certain niveau d’implication (humain, technique et financier) dans un projet proposé à une autre agence. Dans tous les cas, l’agence spatiale française est bien-sur concernée.

Planck a pour le moment clos la question de la carte de la température du rayonnement fossile mais tous les regards se tournent vers la détection du signal en polarisation tensorielle censé être produit par les ondes gravitationnelles issues de l’inflation. Cette mesure “prouverait” la phase d’inflation primordiale car aucun autre scénario jusqu’à présent envisagé ne pourrait expliquer ce signal. Il donnerait également accès à l’échelle d’énergie de l’inflation, et donc à de la physique proche de l’échelle de Planck, proche de l’échelle supposée de Grande Unification des forces fondamentales – énergie des millions de fois supérieure à celle du LHC. Enfin le mécanisme d’émission de ces ondes prouverait le caractère quantique de la gravitation. Cette quête va donc en fait bien au-delà de la cosmologie.

La communauté française a mis en place un groupe avec des représentants de chaque laboratoire concerné pour définir le (ou les) projets le(s) plus attractif(s). Il y en a trois.

COrE++, la proposition européenne

Tout d’abord le projet européen, appelé COrEe++ (héritier de COrE et COrE+ …) :

Vue d'artiste du satellite COrE++ Crédits : ESA
Vue d’artiste du satellite COrE++
Crédits : ESA

COrEe++[] est directement le successeur de Planck, avec un concept similaire. Le plan focal sera équipé non plus de quelques dizaines mais de quelques milliers de détecteurs qui observeront le ciel non pas dans 9 mais dans une quinzaine de bandes de fréquence. Il a été proposé sans succès l’an dernier et sera re-proposé cette année. En théorie, c’est le projet avec la meilleure sensibilité au signal primordial en polarisation tensoriel de tous ceux en lice. Mais avec un lancement prévu en 2029-2030 si le projet est présélectionné en 2017 et sélectionné en 2019 typiquement …

PIXIE, la proposition américaine

Il y a d’un autre coté le projet porté par la NASA, également déjà proposé et également re-proposé cette année. Il s’appelle PIXIE :

Vue d'artiste du satellite PIXIE Crédits : NASA
Vue d’artiste du satellite PIXIE
Crédits : NASA

Ce projet PIXIE [] se veut être le successeur de l’instrument FIRAS qui était à bord du satellite COBE il y a 25 ans. Cet instrument avait permis de montrer que le spectre de la lumière primordiale suivait “parfaitement” la loi de corps noir avec une température de 2,7255 kelvin. Faire mieux c’est détecter les écarts à la loi de corps noir, écarts prédits par la théorie et qui gardent l’empreinte de l’hélium primordial, du déroulement de la formation des atomes lors de la recombinaison ou de la réionisation par exemple.
PIXIE est un spectromètre, avec une sensibilité 1000 fois supérieure à celle de FIRAS, et non un imageur du rayonnement fossile. Il a une résolution angulaire de près d’un degré (contre quelques minutes d’arc pour Core++), et seulement 4 détecteurs. Mais ces derniers peuvent capter chacun des milliers d’informations “simultanément” et le fonctionnement de l’instrument permet d’obtenir 400 bandes de fréquence avec une mesure du flux très précise dans chaque bande dans chaque pixel de la carte. Avec ces informations uniques, il sera en mesure de séparer les émissions synchrotron et de la poussière galactique avec une efficacité inégalée et ainsi accéder plus précisément au rayonnement fossile même si la physique galactique s’avère complexe.
Ce projet est a priori premier dans la liste des priorités scientifiques de la NASA pour ce type de mission et devrait décoller en 2023 si tout se passe bien. Une possible contribution française est à l’étude.

LiteBIRD, la proposition japonnaise

Enfin il y a le projet porté par l’agence spatiale japonaise, la JAXA. Ce satellite se nomme LiteBIRD:

Vue d'artiste du satellite LiteBIRD Crédits : JAXA
Vue d’artiste du satellite LiteBIRD
Crédits : JAXA

Le projet LiteBIRD [] est actuellement en phase AA au Japon, avec une contribution américaine déjà identifiée.
L’instrument est un imageur du rayonnement fossile, très similaire à COrEe++ en terme de nombre de détecteurs et de canaux en fréquence mais avec une résolution angulaire de l’ordre du degré. Par rapport au projet européen, il peut faire uniquement la physique du rayonnement fossile avec une moindre sensibilité (environ un facteur 10 sur le rapport tenseur-scalaire qui cherche à être mesuré) et pas de possibilité d’étudier l’effet de lentille gravitationnelle [] ou les amas par effet Sunyaev-Zeldovich [] en raison de sa moindre résolution angulaire. Mais la sélection semble quasi garantie pour un lancement en 2022 ou 2025, et non hypothétique pour un lancement en 2029-30 …

L’équipe LiteBIRD a été invitée par la JAXA à impliquer les Européens, en raison notamment de l’expérience acquise sur Planck et des discussions ont été initiées. Il faut vraisemblablement décider rapidement entre une demande Core++ ou une participation substantielle à LiteBIRD car ce sera une réponse au même appel à projet de l’ESA d’ici quelques mois.

L’avenir spatial de l’étude du rayonnement fossile en France se joue sans doute cette année, à suivre donc …

 

Travail d’équipe pour Planck et Herschel

Flambée d’étoiles et lentilles gravitationnelles

Commençons par l’actualité scientifique. Un nouveau communiqué ESA commun à Planck et Herschel a été très récemment publié à l’occasion d’un article Planck qui s’intéresse aux sources les plus lointaines détectées par Planck.
Du fait de sa faible résolution angulaire (environ 1/6 de Pleine Lune), déjà excellente pour étudier le rayonnement fossile mais pas fabuleuse pour faire de l’astrophysique, Planck ne détecte que quelques milliers de sources individuelles bien qu’il voit tout le ciel. En effet pour qu’une source soit identifiée il faut que sa luminosité soit grande devant le ciel moyen du pixel. Si la source est proche, elle va occuper une part importante du pixel et on la détectera facilement – les sources les plus proches comme l’amas de Virgo ou Coma sont même étendues, c’est-à-dire qu’elles occupent plusieurs pixels des cartes. Mais si la source est lointaine, elle ne sera visible que si la lumière qu’elle émet est vraiment particulièrement intense. Il y a alors deux possibilités : la source est intrinsèquement très brillante ou son éclat est amplifié par effet de lentille gravitationnelle. Les deux cas sont très intéressants mais Planck est incapable de distinguer les deux …
Les candidats “sources lointaines” sont alors cartographiés en détails par le satellite Herschel. Avec son miroir de 2m de diamètre concentrant la lumière sur seulement quelques arc-minutes carré, ce satellite, qui a partagé la coiffe d’Ariane avec Planck, peut distinguer les deux cas. Soit il s’agit d’un amas de galaxies, peut-être même un proto-amas, avec une formation stellaire très dynamique : Planck et Herschel voient alors le gaz prêt à faire une flambée d’étoiles, soit il s’agit d’un amas de galaxies ordinaire dont l’émission a été amplifiée : on peut alors étudier une source “ordinaire” mais lointaine, donc jeune, qui reste habituellement hors de portée.

Image de Herschel-SPIRE d'un candidat amas à grand redshift.
Image de Herschel-SPIRE d’un candidat amas à grand redshift.

Comme d’habitude, vous trouverez un peu plus de détails sur ces résultats ici. Ce travail a été dirigé par un collègue de l’IAS, Hervé Dole.

la polarisation arrive avec Planck 2015

Une foule de résultats associés à la polarisation

J’ai beaucoup écrit pour Planck ces temps-ci (j’ai eu aussi mon gros rapport “à 10 semestres” pour le CNRS …), donc j’ai un peu délaissé ce blog … Mais ca y est. Un peu de retard sur le calendrier très initial de juin 2014, mais la polarisation est enfin livrée. La “polarisation” signifie les cartes et les articles de la mission complète qui utilisent cette nouvelle observable de l’univers primordial. Tout n’est pas encore là en fait, car quelques articles ont quelques jours ou quelques semaines de retard et, surtout, il n’y a pas encore les données livrées en polarisation des canaux HFI polarisés hormis le canal à 353 GHz.

Mais la polarisation du rayonnement fossile est pour la première fois cartographiée sur tout le ciel :

Carte du rayonnement fossile vu par Planck. Les couleurs tracent la température et les reliefs indiquent la direction de la polarisation. Crédits : ESA - collaboration Planck
Carte du rayonnement fossile vu par Planck. Les couleurs tracent la température et les reliefs indiquent la direction de la polarisation.
Crédits : ESA – collaboration Planck

Que nous apprend la polarisation ?

Si on regarde les résultats, on constate que les paramètres cosmologiques n’ont presque pas bougé. En quoi ce Graal de la cosmologie est donc si précieux ? C’est l’unique information autre que la température du rayonnement fossile de notre univers primordial qui nous soit accessible. On a deux informations indépendantes. C’est donc un outil très puissant pour vérifier, tester, contraindre les hypothèses et la physique du modèle. On dit que la température est reliée à la densité de matière. Mais c’est une interprétation de la mesure. On dit que la polarisation est reliée aux mouvements de cette même matière. C’est toujours une interprétation, dans le même cadre, avec la même physique. Est-ce que ca marche ? Oui, admirablement ! C’est la raison pour laquelle les paramètres cosmologiques sont si stables. Mais notre capacité à contraindre les hypothèses (propriétés des neutrinos ou de la matière noire par exemple) a sensiblement augmenté. L’édifice du “modèle cosmologique standard” est aujourd’hui d’une très grande stabilité. Bien-sûr on peut encore trouver des paramètres pour un 4ième neutrino compatible avec les observations par exemple si on le veut vraiment, il y a de (petites) barres d’erreur. Mais il n’y a aucun signe indiquant la nécessité de faire appel à de la “nouvelle physique”, même pas un petit signe …

La faute à Bicep

Pourquoi tant de retard ? Parce qu’on veut livrer des données fiables, aux erreurs systématiques maitrisées, et ca s’est avéré bien plus difficile que prévu. En tout cas pour les grandes échelles angulaires dès lors que l’on s’intéresse à la polarisation. C’est aussi un peu de la faute de BICEP : leur annonce nous a obligé à améliorer encore les résultats en polarisation sur la Galaxie et notre collaboration avec eux était un travail non prévu dans le planning au départ. Mais il est bien normal de s’adapter au contexte et Planck joue son rôle de “grand justicier”, pas désagréable au fond. Pour une fois que ce sont eux qui ont besoin de nous … Mais ce n’est pas très réjouissant cependant. En effet le signal galactique polarisé est présent partout et bien plus intense que ce qui était prévu. Ça complique sensiblement les plans de toutes les expériences qui cherchent les modes B primordiaux – dont Planck. Ça complique aussi la mesure du signal de la réionisation sur le spectre de puissance en modes E qui a été décalée de quelques mois …

En tout cas une immense qualité de la Galaxie est d’être particulièrement photogénique (grâce au travail acharné de quelques collègues) :

Carte à 353 GHz de 40 par 40 degrés. Les couleurs indiquent la température alors que les reliefs indiquent la direction du champ magnétique galactique d’après la direction de  la polarisation.  Crédits: ESA - Collaboration Planck
Carte à 353 GHz de 40 par 40 degrés. Les couleurs indiquent la température alors que les reliefs indiquent la direction du champ magnétique galactique d’après la direction de la polarisation.
Crédits: ESA – Collaboration Planck

Cette carte est si somptueuse que nous en avons fait une vidéo : une ballade dans tout le ciel.

 

“Planck en bref” : la mission Planck en 5 minutes

Voici un film que nous venons de rafraichir avec des vidéos des résultats de 2013 et un montage subtilement amélioré :

Cette vidéo a été en chantier pendant … 2 ou 3 ans ! Pas à temps plein heureusement mais il fallait un peu de temps pour mûrir le projet. L’objectif : présenter de la façon la plus accessible possible, en 5 minutes maximum (finalement 6 minutes …), la mission Planck de l’ESA avec sa problématique, ses objectifs scientifiques, ses moyens technologiques et humains. Donc de la cosmologie, de la cryogénie, du spatial ; bref tous les ingrédients pour explorer le rayonnement fossile.

Les images de cosmologie ont été puisées dans celles réalisées pour le film hémisphérique de l’exposition. Christophe Pichon, chercheur de l’IAP et membre du projet de simulation Horizon a réalisé une simulation complète de l’évolution des grandes structures, depuis les germes indiscernables dans la carte du rayonnement fossile jusqu’aux filaments très contrastés qui quadrillent notre environnement aujourd’hui. Ces images, précises et superbes sont très pédagogiques, donc il ne faut se priver de leur utilisation !

Darmstadt, exposition mai 2009
Darmstadt, exposition mai 2009

J’ai longtemps milité pour la création de la mascotte Max le photon, mais il est finalement un peu bicéphal. Créés par Canopée et leurs collaborateurs, Max est un petit bonhomme curieux qui explore l’univers et le photon nous aide dans les schémas optiques.

Max et les dinosaures

Après avoir enfin mis en place le synopsis, le texte exact il a fallu passer à la réalisation. Heureusement le CNRS abrite de nombreux talents et parmi eux Jean Mouette à l’IAP qui a réalisé le montage des images et du son.

Jean a également, par exemple, écrit et réalisé le film sur les 75 ans de l’IAP :

et il aura probablement l’honneur de réaliser l’interview du PI ou du coPI (nom officiel des deux grands chefs du consortium HFI) les grands chefs)de Planck pour les résultats 2014 !!!

Une autre aventure spatiale : ROSETTA

Rosetta, une mission extraordinaire

Je n’ai aucune compétence particulière pour parler de cette mission mais son actualité est trop fascinante pour être ignorée !

En parallèle de la quête des origines des grandes structures, aventure dans laquelle Planck a bien-sûr un rôle majeur, il y a la quête des origines de la vie. La multiplication des exoplanètes identifiées permet d’envisager l’une des plus grandes découvertes de l’histoire de l’humanité – la preuve de vie dans d’autres systèmes stellaires- dans un avenir raisonnable. Mais les pièces du puzzle ne s’assembleront correctement qu’à la condition de comprendre mieux l’apparition de la vie sur Terre. Là, c’est Rosetta qui entre en scène.

Des acteurs communs

Individuellement, aucun chercheur ne travaille je pense sur ces deux projets car leurs thématiques scientifiques sont vraiment éloignées. Cependant les principales entités qui œuvrent sur ce projet sont les mêmes:

  • l’ESA, l’agence spatiale européenne. Elle coordonne le projet dans sa globalité, de l’appel d’offre à la communication des résultats scientifiques
  • le CNES, l’agence spatiale française est chargée du lancement, et coordonne les activités instrumentales dont elle a la responsabilité. Ces agences sont aussi en charge du lancement et des manœuvres. Dans le cas de Rosetta elles sont naturellement nombreuses, délicates et de première importance !

Le site du CNES est concis mais contient plein d’informations.

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Vue d’artiste du satellite Rosetta approchant de sa comète.

Crédits CNES.

Côté laboratoire de recherche, l’IAS à Orsay, l’IPAG à Grenoble et l’IRAP à Toulouse et le LERMA à Paris sont impliqués dans Planck et dans Rosetta. L’été est actif entre Planck qui prépare intensivement la publication de ses résultats complets dans 2-3 mois et Rosetta qui commence son observation scientifique de la comète Tchouri (je me contente du “petit nom ” …).

Des calendriers entre-croisés

  • 1993 : Rosetta est sélectionnée, le projet Planck répond à un appel de l’ESA
  • 1996-2002 : période de construction des instruments, du satellite Planck (qui s’achèvera quelques années plus tard) et du vaisseau Rosetta. Rosetta ne peut se permettre de retard de toute façon, le calendrier est dicté par la comète …
  • 2004 : lancement de Rosetta, voyage de 1,6 milliards de kilomètres dans le système solaire pour se positionner près de la comète
  • 2009 : lancement de Planck. Voyage de 1,5 millions de kilomètres pour se positionner au point L2 d’observation. Ça fait un peu ridicule comparativement mais bon …
  • 2011 : premiers résultats astrophysiques de Planck alors que Rosetta entre en hibernation
  • 2014 : résultats cosmologiques, polarisation incluse pour Planck et réveil, approche, mise en orbite de Rosetta, “atterrissage” de Philae sur la comète
  • 2015 : fin de la collaboration Planck avec une analyse finale, fin de la collaboration Rosetta après le passage au périhélie de la comète

De la théorie à la réalité

J’aime beaucoup ces deux images, l’une dite “d’artiste”, imaginée il y a des années et l’autre, bien réelle prise il y a quelques jours. La réalité dépasse la fiction …

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Vue d’artiste du vaisseau approchant la comète.

Crédits ESa/ Ch. Carreau

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Détails d’une zone du noyau de la comète. L’image a été prise le 6 août 2014 montrant en avant plan le plus petit des 2 lobes, la tête de la comète projetant son ombre sur la partie centrale, le cou, et le plus gros lobe, le corps.

Crédits ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA

Pour suivre cette aventure, il a le site de l’ESA (en anglais), des relais partout et  futurasciences bien-sûr.

Vidéo Un chercheur / une manip, sur Planck bien-sûr

Cette vidéo a été réalisée par Jean-François Desmarchelier à la demande de Simon Meyer, directeur du planétarium de Vaulx-en-Velin . Deux acteurs fort sympathiques et très talentueux de la diffusion de la culture scientifique !

Le principe : Un chercheur / une manip. Donc ici c’est moi et l’expérience c’est, sans surprise !, Planck. Vous pouvez aussi retrouver celle consacrée à mon collègue Andrea Catalano : un autre chercheur mais toujours sur Planck :

La déferlante BICEP2

Impossible d’y échapper, le sujet s’impose.

La nouvelle

Lundi matin (le 17 mars), on reçoit un mail d’un collègue de Planck avec le lien pour suivre la conférence de presse annonçant la présentation scientifique et la conférence de presse de BICEP2. Que dit la rumeur ? Le week-end, sur les réseaux, un “r=0.2” circulait, mais ça, on n’y croit pas !!!

Nous sommes à l’affut

On réserve une salle pour suivre ensemble la présentation, tout le groupe Planck et quelques autres cosmologistes sont là et il n’est pas encore 15h45 quand nous essayons de nous connecter. Ca ne marche pas. On re-essaie, un nouveau mail avec un autre lien arrive, ça ne marche toujours pas : visiblement ils sont victimes de leur succès. Ce n’est pas bien grave, ils ont effectivement mis en ligne, en parallèle, leurs articles.

Alors, qu’ont-ils trouvé ??

Que dit l’abstract, le résumé présent au début de chaque article ? Une détection à plus de 5 sigma (soit moins d’une chance sur un million environ que ce soit du hasard, c’est le seuil usuel pour considérer que l’on a une détection fiable). Ah quand même … Oui c’est mais peut-être un signal des avant-plans galactiques ? “r=0.2” est écrit, il signifie que l’amplitude du signal  laissé sur le rayonnement fossile par les ondes gravitationnelles primordiales serait vraiment très fort. On est toujours dubitatifs, nous regardons cartes et spectres. Les cartes en polarisation scalaire et tensorielle sont … impressionnantes … Les spectres, bon, il y a des barres d’erreur importantes mais la petite descente au bon endroit …. Il faut lire en détails mais le travail a l’air très complet et le résultat excitant/intrigant/étonnant. Évidemment leur faiblesse c’est de n’observer le ciel que dans une seule fréquence (une seule “couleur”). Ils le savent et font une batterie de tests pour mettre à l’épreuve l’origine cosmologique du signal. L’interprétation est, comme ils le disent eux-même, une première analyse rapide.  Vous trouverez un résumé j’espère bien accessible de leur article ici.

Extrait des cartes en polarisation publiées par la collaboration BICEP2 en mars 2014

Ces cartes vous semblent peut-être un peu petites, avec un résolution médiocre (comme celle à la Une) ? Elles viennent de leur article – je ne peux pas faire mieux. Et, surtout, il ne faut pas oublier ce qu’elles représentent : elles sont faites avec de la lumière qui a voyagé environ 13,8 milliards d’années et elles sont censées tracer les mouvements de la matière et les mouvements de l’espace sur un bout de ciel de la taille de deux pleine Lune . Donc c’est déjà vraiment impressionnant en fait !!!

Et maintenant, à nous de jouer

Nous sommes heureux de cette découverte : ce signal serait donc intense. Peut-être (sans doute ?) est-il un peu plus faible que cette première détection ne le laisse penser, mais il nous semble probable que “quelque chose” est bien là. Ce signal,  on va pouvoir l’étudier en détails et il va alors nous raconter durant ces prochains mois, ces prochaines années comment ce sont déroulés les tous premiers instants. L’enjeu est de comprendre quel mécanisme est à l’origine des structures. Le travail va se poursuivre, il faut confirmer (ou infirmer qui sait), affiner.

Nous sommes un petit peu jaloux aussi, forcément, mais Planck a d’autres atouts ! BICEP a été entièrement conçu pour traquer ce signal, rien que ce signal, et cette stratégie s’est révélée payante.
Nous n’avions bien-sur pas attendu les résultats de BICEP2 pour analyser les données de Planck en polarisation, mais la pression est montée d’un cran, voire de deux, c’est certain !

Pourquoi autant de méfiance face à la matière noire ?

L’annonce des résultats de Planck en mars dernier incluait “26% de l’énergie de notre univers aujourd’hui est sous forme de matière noire (avec une précision de l’ordre du pour-cent)”. Que la matière noire soit source de questions, c’est bien normal ! Mais elle a souvent été lors de conférences sujet de questions provocatrices (soit), sceptiques (soit …) voire soupçonneuses, quand ce n’était pas agressives. J’ai donc été amenée à réfléchir à la meilleure réponse – enfin pas trop mauvaise en tout cas, pour les matièrenoirosceptiques.

L'expérience zen d'un voyage au cœur d'un tableau de Pierre Soulages
L’expérience zen d’un voyage au cœur d’un tableau de Pierre Soulages

Soit on mesure mal …

Les chercheurs ne “croient pas” en la matière noire. Il y a des observations en contradiction avec la loi de la gravité (newtonienne, même pas la peine de faire appel à Einstein). Donc soit les mesures sont fausses, soit la loi est fausse, soit on relie mal les paramètres de la loi (ici la masse) aux mesures. Les mesures se sont largement affinées au cours de ces dernières dizaines d’années et le “problème” apparait à l’échelle des galaxies, des amas de galaxies, des grandes structures. Difficile d’imaginer que tout le monde se trompe alors que les résultats sont cohérents.

Soit c’est la faute d’Einstein …

Modifier la loi de gravité est très tentant. Après tout, Einstein a corrigé Newton pour les vitesses proches de celle de la lumière, pourquoi ne pas imaginé une modification qui aurait un effet aux très grandes échelles de distance, aux échelles “astronomiques” à proprement parler ? Plusieurs modifications ont été proposées mais aucune n’explique vraiment les observations des galaxies aux échelles cosmologiques. Et puis il y a eu l’amas du Boulet. Deux galaxies sont récemment rentrées en collision, on observe la distribution de matière ordinaire en rayon X, on déduit la distribution de masse totale par effet de lentille gravitationnelle. L’essentiel de la masse n’est pas là où on voit la matière ordinaire. Or c’est incompatible avec une modification de la loi ! Il existe des subtilités qui permettent de s’en sortir avec quand même un peu de matière noire mais l’élégance de cette solution a pris un coup quasi-fatal.

Soit on ne connait pas !

Reste l’interprétation : la masse “vue”, quel que soit le domaine de longueur d’ondes exploré, n’est qu’une petite partie de la masse “nécessaire” aux équations. Quelle est alors la nature de cette matière sombre ? Il y a une vingtaine d’années, on pouvait remplir notre galaxie de matière ordinaire car les erreurs sur la densité de matière baryonique (produite peu après le Big-Bang) et sur la masse nécessaire pour expliquer les vitesses des étoiles loin du centre galactique le permettaient. Ce n’est plus le cas. Il y a une vingtaine d’années la matière noire pouvait être “chaude” car on n’avait pas de simulations et d’observations des grandes structures assez fiables pour trancher. Le neutrino, particule non-baryonique qui a une vitesse très proche de celle de la lumière, était un candidat fort intéressant. Ce n’est plus le cas.

Aujourd’hui on calcule précisément la quantité de matière noire nécessaire pour expliquer les observations, on “voit” (indirectement) où elle est, on connait certaines de ses propriétés (neutre, sans interaction avec la lumière), mais on ignore toujours sa nature exacte (bien que de très nombreux modèles théoriques existent !) – on sait juste qu’elle doit être différente que ce qui compose les étoiles et nous, le gaz et les planètes.

Quand la lumière nous montre le noir
Quand la lumière nous montre le noir

Il ne faut pas croire que les chercheurs “veulent” de la matière noire, on rêvait plutôt de mettre en évidence une faille dans ce modèle ! Trouver une alternative à la nécessité de la matière noire était très très excitant. Mais non, les observations nous disent que l’ensemble est cohérent à l’unique condition de la présence (massive) de matière noire. Alors 13.8 milliards d’années deviennent limpides, plus limpides en tout cas.

Il est difficile de saisir l'ensemble, ce n'est pas une raison pour détourner le regard.
Il est difficile de saisir l’ensemble, ce n’est pas une raison pour détourner le regard.

Mais pourquoi est-ce impensable pour certains au point de mettre en doute (sans aucune connaissance permettant une critique légitime) les résultats d’années de travail de centaines de personnes ?

C’est finalement incroyablement “prétentieux”. Pourquoi ce qui n’est pas “comme nous” est donc si suspect ? Pourquoi ce que nous ne voyons pas avec nos yeux est donc impensable ?

Pourtant on a découvert que les ondes radio ou les rayons X sont tout autant de la lumière que ce que la photosphère du Soleil nous envoie : nos yeux ne voient pas tout. Pourtant on a découvert le neutrino par de la masse manquante, c’est une particule du modèle standard certes mais ses propriétés sont bien étranges pour un humain !

Il semble qu’il faille bien admettre que l’univers contient de la masse essentiellement sous une forme qui nous est étrangère et, pour l’instant, inaccessible. C’est une mauvaise nouvelle pour notre égo : non seulement nous sommes le centre de rien du tout mais en plus nous sommes fait d’une matière quasi-insignifiante à l’échelle du cosmos. Ce n’est pas une raison pour abandonner ! Le défi n’en devient que plus pimenté : comprendre le cosmos sculpté par la matière noire avec notre cerveau de matière ordinaire.