Tous les articles par Cécile RENAULT

“Rencontres de Moriond”, session cosmologie 2014

Les conférences internationales sont l’occasion pour les chercheurs de présenter leurs travaux, de nouer de nouveaux contacts … ou de retrouver d’anciens copains !
Les rencontres de Moriond sont entrées dans la tradition, avec plusieurs sessions chaque année (physique des particules surtout mais aussi cosmologie et gravitation, en alternance une année sur deux).

Si, si on travaille !

Il faut l’avouer, il y a un petit côté vacances : une belle station en Italie, les pistes presque pour nous tout seuls durant la “session ski” du début d’après-midi, les parties de billard le soir …

Moriond_montagnes

Mais il y a aussi sept heures d’exposé par jour – dont le sien à un moment donné pour la plupart des participants, et on discute bien souvent physique, même si c’est au bar. Beaucoup de jeunes car traditionnellement doctorants et post-doctorants présentent leurs résultats à Moriond, souvent c’est même leur première conférence internationale. Et les moins jeunes – moi par exemple … se souviennent de leur “premier Moriond”, quand ils étaient encore étudiants.
Ce post n’est toutefois pas pour vous raconter que j’ai papoté avec plaisir avec mon ancien directeur de thèse, ou que j’ai significativement progressé au billard américain (je partais de bas, donc c’était facile).

La cosmologie “vivante”

Ce post est pour partager le sentiment de vivre un moment vraiment intense en cosmologie. Il faut dire que BICEP2 avait annoncé ses résultats juste une semaine avant le début de la conférence. L’un des responsables de l’analyse de cette collaboration a été invité “en urgence” et les organisateurs ont un peu chamboulé le programme pour rajouter cet exposé. Nous étions ravis, bien que nous n’ayons en fait presque rien appris de plus que ce qui est dans les articles – normal puisqu’une présentation au nom de la collaboration ne peut pas dire tellement plus que ce qui est publié. Mais quand même ! Une chose est claire : les US avaient décidé de détecter les modes B et ils ont mis en place une “agressive strategy” pour reprendre les termes belliqueux de l’orateur. C’est une bonne leçon pour nous. Quand une manip européenne est en cours de finalisation du budget après déjà pas mal d’années de mise en oeuvre, plusieurs manips américaines au Pôle sud, dans le désert d’Atacama, embarquée en ballon stratosphérique ont pris des données et fournissent des résultats.  Savoir dire oui ou non, et si on dit oui mettre les moyens financiers et humains pour que ça aboutisse, nos collègues outre-Atlantique font ça très bien.
Mais toute la communauté profite de l’enthousiasme suscité. Encore mieux : tout le monde attend les résultats de Planck pour confirmer/affiner !

Ça bouillonne

L’ébullition des idées et des résultats est bien présente. Rayonnement fossile, supernovae, amas de galaxies, grandes structures. Détection directe de matière noire, modification de la gravité pour rendre compte de la constante cosmologique.  Explications des anomalies à grande échelle par des neutrinos massifs ou par l’impact de l’environnement astrophysique “local”. Ceux qui ont l’impression que tous les chercheurs pensent pareils et cherchent dans la même direction sans jamais mettre en doute le modèle cosmologique “standard” peuvent jeter un œil sur le programme de n’importe quelle conférence et ils constateront que c’est bien loin d’être le cas !!! Heureusement d’ailleurs.

Pour tout savoir sur les Rencontres de Moriond : http://moriond.in2p3.fr/J14/

Sous le ciel de Planck

parapluie

Jaloux de mon parapluie ? Je vous comprends !!! Édité à 700 exemplaires pour la conférence des premiers résultats de Planck en 2011, plus un seul n’est disponible dans le monde entier. Il nous rappelle joliment que nous sommes un tout petit observateur immergé dans l’univers.

Il pourrait, aussi, protéger de la pluie mais c’est très accessoire – et le mien ne verra jamais le ciel,  le vent risquerait de me le voler …

La déferlante BICEP2

Impossible d’y échapper, le sujet s’impose.

La nouvelle

Lundi matin (le 17 mars), on reçoit un mail d’un collègue de Planck avec le lien pour suivre la conférence de presse annonçant la présentation scientifique et la conférence de presse de BICEP2. Que dit la rumeur ? Le week-end, sur les réseaux, un “r=0.2” circulait, mais ça, on n’y croit pas !!!

Nous sommes à l’affut

On réserve une salle pour suivre ensemble la présentation, tout le groupe Planck et quelques autres cosmologistes sont là et il n’est pas encore 15h45 quand nous essayons de nous connecter. Ca ne marche pas. On re-essaie, un nouveau mail avec un autre lien arrive, ça ne marche toujours pas : visiblement ils sont victimes de leur succès. Ce n’est pas bien grave, ils ont effectivement mis en ligne, en parallèle, leurs articles.

Alors, qu’ont-ils trouvé ??

Que dit l’abstract, le résumé présent au début de chaque article ? Une détection à plus de 5 sigma (soit moins d’une chance sur un million environ que ce soit du hasard, c’est le seuil usuel pour considérer que l’on a une détection fiable). Ah quand même … Oui c’est mais peut-être un signal des avant-plans galactiques ? “r=0.2” est écrit, il signifie que l’amplitude du signal  laissé sur le rayonnement fossile par les ondes gravitationnelles primordiales serait vraiment très fort. On est toujours dubitatifs, nous regardons cartes et spectres. Les cartes en polarisation scalaire et tensorielle sont … impressionnantes … Les spectres, bon, il y a des barres d’erreur importantes mais la petite descente au bon endroit …. Il faut lire en détails mais le travail a l’air très complet et le résultat excitant/intrigant/étonnant. Évidemment leur faiblesse c’est de n’observer le ciel que dans une seule fréquence (une seule “couleur”). Ils le savent et font une batterie de tests pour mettre à l’épreuve l’origine cosmologique du signal. L’interprétation est, comme ils le disent eux-même, une première analyse rapide.  Vous trouverez un résumé j’espère bien accessible de leur article ici.

Extrait des cartes en polarisation publiées par la collaboration BICEP2 en mars 2014

Ces cartes vous semblent peut-être un peu petites, avec un résolution médiocre (comme celle à la Une) ? Elles viennent de leur article – je ne peux pas faire mieux. Et, surtout, il ne faut pas oublier ce qu’elles représentent : elles sont faites avec de la lumière qui a voyagé environ 13,8 milliards d’années et elles sont censées tracer les mouvements de la matière et les mouvements de l’espace sur un bout de ciel de la taille de deux pleine Lune . Donc c’est déjà vraiment impressionnant en fait !!!

Et maintenant, à nous de jouer

Nous sommes heureux de cette découverte : ce signal serait donc intense. Peut-être (sans doute ?) est-il un peu plus faible que cette première détection ne le laisse penser, mais il nous semble probable que “quelque chose” est bien là. Ce signal,  on va pouvoir l’étudier en détails et il va alors nous raconter durant ces prochains mois, ces prochaines années comment ce sont déroulés les tous premiers instants. L’enjeu est de comprendre quel mécanisme est à l’origine des structures. Le travail va se poursuivre, il faut confirmer (ou infirmer qui sait), affiner.

Nous sommes un petit peu jaloux aussi, forcément, mais Planck a d’autres atouts ! BICEP a été entièrement conçu pour traquer ce signal, rien que ce signal, et cette stratégie s’est révélée payante.
Nous n’avions bien-sur pas attendu les résultats de BICEP2 pour analyser les données de Planck en polarisation, mais la pression est montée d’un cran, voire de deux, c’est certain !