Uruguay : Andrés Acosta, l’homme qui plantait les attrape-brouillard

Andrés Acosta Baladón ou encore “El Chueco”  nous a quitté le 11 juillet dernier.
Pour moi qui le connaissais depuis trente ans, Andrés restera le guérillero scientifique des attrape-brouillard et, de façon plus large, le guérillero de  la lutte contre la désertification dans les zones arides et marginales. C’est donc, au titre des attrape-brouillard, un pionnier de ceux que l’on appelle, de nos jours,  pompeusement les NTE (les Nouvelles Technologies Environnementales) au sein des études sur les énergies renouvelables.

Sur le terrain au début des années 70, Andrés Acosta Baladón (à gauche) dans le vignoble de la Geria, sur l’île de Lanzarote aux Canaries (cliché de son ouvrage “Cultivos enarenados”, INM, Madrid, 1973).

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El Hierro : après l’inauguration de la centrale 100% ENR

La vie a repris sa routine sur l’île d’El Hierro après un évènement, l’inauguration de la centrale hydro-éolienne et donc la quête réussie du 100% ENR, qui, à l’échelle d’un confetti océanique, ne peut se comparer à rien d’autre dans les siècles précédents. Il faudrait remonter le temps jusqu’à l’arbre fontaine ou Garoé des aborigènes, soit bien avant la conquête de l’île en 1405 par Jean IV de Béthencourt,  pour retrouver tant de puissante originalité.
Au XXème siècle, il est difficile de mettre à pareil niveau le Mirador de la Peña. Ce dernier, couplé à un restaurant gastronomique géré par l’administration locale qui contrôle ses prestations, fut créé par l’architecte et plasticien César Manrique, dans la seconde moitié des années 1980. Le Mirador de la Peña concrétise, par sa qualité et son heureuse intégration dans la nature et le site grandiose, le tourisme choisi, tel un des objectifs de la communauté insulaire. Continuer la lecture

El Hierro et son arbre fontaine : Garoé ou Arbre Saint ?

L’arbre fontaine, celui qui recueillait l’eau du brouillard, était le Garoé en langue guanche, le seul idiome parlé sur l’île jusqu’en 1405, lorsque El Hierro était peuplée de quelques centaines voire de quelques milliers de descendants de Berbères. Cette langue a disparu car aucun dictionnaire bilingue n’a été fait ou conservé. Il n’en subsiste que quelques mots et des toponymes.

Pétroglyphes des Guanches d'El Hierro appelés les Bimbaches. Seuls témoignages gravés sur l'île de leur présence. El Julian, mars 2014. Cliché : A. Gioda, IRD.
Pétroglyphes des Guanches d’El Hierro appelés les Bimbaches. Seuls témoignages gravés sur l’île de leur présence. Los Letreros, El Julian, mars 2014. © A. Gioda, IRD.

La conquête d’El Hierro en 1405 et de plusieurs îles des Canaries, à partir de 1402, fut faite par Jean IV de Béthencourt, un noble normand du grand port de Honfleur (inclus dans l’agglomération du Havre de nos jours), commissionné par la couronne de Castille. Ce conquérant – localement appelé un conquistador, un nom qui passera à la postérité – avait bénéficié d’une longue trêve (1388-1411) de  la Guerre de Cent Ans qui bloqua ensuite le commerce florissant de Honfleur, à la suite de deux défaites françaises en baie de Seine (1416-17). Jean IV de Béthencourt recherchait l’orseille, un colorant violet (d’où son autre nom de pourpre française), extrait du grand lichen rupestre Roccella tinctoria, abondant aux Canaries et qui était fort prisé  en teinturerie en en chimie jusqu’à 1850. Des lichens s’utilisent encore en Ecosse pour colorer, de façon traditionnelle et maintenant luxueuse, la laine des kilts. Continuer la lecture

Auschwitz et le brouillard : “Si c’est un homme ” de Primo Levi

Il y a un temps pour lire et un autre pour réfléchir avant d’agir.
Un livret fort que “Si c’est un homme” de Primo Levi, presque un reportage car “aucun des faits rapportés n’est inventé”, selon ses mots. Tout est dans le mot “presque” car il brûle, ce livret tel le feu sous la cendre. Durant l’hiver 1946-1947, l’auteur raconte et analyse la captivité et les travaux forcés d’un certain Primo Levi, un partisan juif italien envoyé en février 1944, textuellement comme un objet, à Auschwitz, le plus célèbre car le plus sinistrement efficace des grands camps polonais d’extermination de la Seconde guerre mondiale. Primo Levi en ressortira vivant, grâce à sa débrouillardise et son intelligence, en janvier 1945. Néanmoins, la chance avait été aussi de son côté, dès le premier jour, quand il y avait été évalué sommairement (en quelques secondes) jeune et utile. Primo Levi admit aussi avoir survécu parce que sa déportation advint lors du crépuscule de l’Etat nazi, déjà délabré en 1944. Egalement il survécut parce que la libération de son camp par l’Armée rouge se fit assez vite le 27 janvier 1945 et que, malade, il ne put être évacué après le 17 de ce mois, évitant ainsi de participer dans la neige à “la marche vers  la mort” d’Auschwitz vers Loslau de près de 70 000 déportés, poussés par les SS fuyant eux-même les Russes. Continuer la lecture

HIERRO SUR TF1 : LA CENTRALE HYDRO-EOLIENNE MARCHE BIEN

 

La chaîne de télévision TF1 a  réalisé un court reportage qui est passé sur le petit écran, après l’inauguration le 27 juin de la centrale hydro-éolienne de Gorona del Viento. C’est ici et vous m’excuseriez si le lien n’était pas durable mais les images d’actualités ne sont pas toujours archivées pour les utilisateurs non payants par les chaînes de télévision. Il devrait en rester toutefois une trace écrite sur le site de TF1.
La nouvelle de cette avancée technique vers l’autonomie énergétique et dans la lutte contre le réchauffement climatique a pu parvenir, sinon partout, du moins dans beaucoup de foyers en France.

El Hierro et le 27 juin : la fête de l’indépendance énergétique

Le 27 juin 2014, l’indépendance énergétique d’El Hierro sera proclamée dans une ambiance festive et l’île sera définitivement la vitrine espagnole des énergies renouvelables. Je profite de cette belle chose pour faire un résumé personnel sans renvoi qui briserait la lecture et sans surlignage ou mise en italique.

Laissés de côté depuis les années 1960 par le boom touristique de l’archipel des Canaries, les représentants élus de l’île d’El Hierro (270 km2, 10 000 habitants aujourd’hui) se trouvèrent, une vingtaine d’années plus tard, face à la volonté expansionniste de l’armée espagnole. Cette dernière cherchait d’y agrandir son emprise foncière afin d’installer des radars, profitant de sa position géographique avancée dans l’Atlantique et de la clarté de ses ciels due à la faiblesse de sa population et des activités humaines. Continuer la lecture

El Hierro : L’arbre fontaine, la métaphore du 100% ENR

Tomás Padrón est l’ancien président du Cabildo insulaire d’El Hierro qu’il dirigea pendant plus de vingt années, jusqu’en 2011, et l’animateur infatigable de la transition énergétique depuis des décennies. Il a publié fin 2013, dans le journal de référence de Tenerife El Diario de Avisos”, un article dans lequel l’arbre fontaine des Guanches et des XVème et XVIème siècles est la métaphore de la centrale hydro-éolienne qui devient ainsi le nouveau Garoé et l’arbre fontaine du XXIème siècle. Depuis, cette métaphore ou cette image sont illustrées dans un grand panneau de l’aéroport insulaire.

Panneau figurant la filiation de la nouvelle centrale hydro-éolienne avec l'ancien arbre fontaine ou Garoé. Mars 2014. Aéroport d'El Hierro. Cliché : A. Gioda, IRD.
Panneau figurant la filiation de la nouvelle centrale hydro-éolienne avec l’ancien arbre fontaine ou Garoé. Mars 2014. Aéroport d’El Hierro. © A. Gioda, IRD.

Comment cela est-ce possible ?

“Dans les domaines de l’environnement, il s’avère souvent très judicieux de tenir en compte les techniques et des expériences ancestrales. Elles contribuent aussi à conforter la légitimité des communautés sur leur territoire, sur leurs  savoirs et leur patrimoine parfois oublié face aux pressions prédatrices de la mondialisation” (Sciences au Sud, 2014, n°73,  p. 8). Ce sont à peu près mes mots dans mon Habilitation à Diriger les Recherches de 2005 et que j’ai repris en conclusion dans ma fiche de présentation de ce blog. Rien de fort original, par conséquent de ma part, sauf peut-être la compréhension de la nécessité de construire des contes et des sagas dans les sociétés rurales et pastorales isolées où les médias écrits et visuels ne sont ou n’étaient pas diffusés. Dans l’isolement du Tiers-Monde (un terme obsolète mais qui reflète bien la notion de pauvreté ou de sobriété obligée), connaître L’Odyssée ou L’Iliade ou encore leurs équivalents locaux aide puissamment à donner un sens à sa vie.

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Sardaigne : un Géoparc archéo-minier et insulaire de l’Unesco

La crise sismique et volcanique à El Hierro devrait donner naissance à un Géoparc, si le projet dont le dossier a été déposé en 2013 auprès de l’Unesco (qui attribue ce label) était accepté, afin d’attirer les touristes férus de sciences et de dépaysement total. Comment transformer une chose néfaste en bonne ? Pour faire une métaphore, c’est la technique japonaise du ju-jitsu, le père des arts martiaux, qui a été choisie dont la première règle est de juger puis d’utiliser la force de l’autre pour la retourner en sa faveur.
Afin de devancer l’actualité et donc de connaître d’autres réalisations, mais toujours sur une île d’un pays d’Europe méridionale, j’ai parcouru en octobre 2013 et avril 2014 une partie du Géoparc de la Sardaigne. L’héritage minier de la Sardaigne a été transformé en Géoparc d’archéologie industrielle couvrant huit grands sites ; l’extraction partout est arrêtée depuis une bonne vingtaine d’années pour les dernières grandes mines. Continuer la lecture

El Hierro 100% ENR : une entrevue sur Radio Canada le 17 mai

Une entrevue sur Radio Canada, le 17 mai à partir de 9 h 14, avec la journaliste Karine Morin, basée à Winnipeg, dans le cadre de l’émission hebdomadaire Les samedis du monde produite par Robert Boucher. Pendant vingt bonnes minutes, nous avons parlé de l’île d’El Hierro grâce à son projet quasi finalisé 100% ENR (énergies renouvelables).

C'est la réplique d'une église de Lanzarote (île des Canaries) qui abrite l'usine de dessalement de Valverde dont on voit les tubes pour l'osmose inverse dans l'image à la une. Zone de l'aéroport d'El Hierro. Cliché : A. Gioda, IRD.
C’est une quasi-réplique d’une église de Lanzarote (Yaiza sur une autre île des Canaries) qui abrite l’usine de dessalement de Valverde dont on voit les tubes pour l’osmose inverse dans l’image à la une. Zone de l’aéroport d’El Hierro. © A. Gioda, IRD.

 

 

El Hierro : ceux qui firent réalité l’utopie ou plutôt le rêve

El Hierro. Modèle numérique de terrain (MNT) par Christian Deprateare. Cliché : A. Rival, IRD-Cirad.
L’île d’El Hierro vue du Golfo de Frontera. Modèle numérique de terrain (MNT) daté de 1993 de Christian Depraetere © : A. Rival, IRD.

El Hierro, avec ses 10 000 habitants, n’est pas Utopia, l’île virtuelle et vertueuse créée dans la tête de l’humaniste Thomas More (1485-1535), mais seulement un lieu où élus et population ont décidé d’accorder idées, actes et réalisations. L’importance des leaders est à souligner, tant que moteurs du développement durable, mais, en regardant leur cheminement, il est facile de voir que ces personnalités ont souvent voire toujours évolué en tandem et en équipe. Ensuite, il faut rappeler qu’historiquement, sur El Hierro, la transition écologique est antérieure à celle énergétique, avec deux dates à retenir : l’an 2000, pour la première, et 2014, pour la seconde. Je vais évoquer quelques tandems qui, au fil du temps, depuis les années 1970 ont marché sur El Hierro, aux Canaries et à Bruxelles.
Pour la transition écologique, Don Zósimo (1920-2004) et César Manrique (1919-1992) . Le premier (dont le nom au complet était Zósimo Hernández Martin) dirigeait les gardes forestiers sur l’île d’El Hierro, depuis les années 40, dans le cadre de l’ancien ICONA (Instituto para la Conservación de la Naturaleza), l’institut espagnol qui gérait les parcs nationaux. Le second était natif de l’île de Lanzarote aux Canaries où il effectua le retour définitif, à sa terre natale, dans les années 1960. César Manrique fut un artiste complet (architecte, sculpteur, peintre à la fois proche et pionnier du land art et de l’architecture vernaculaire), un défenseur de la nature et aussi un homme de succès. Un Fils Prodigue des Canaries où il laissa un héritage prodigieux. Sur El Hierro, son nom est attaché à la création du restaurant et du mirador de la Peña (bâti à la fin des années 1980) mais il participa avec Don Zósimo à la création de plusieurs miradors sur l’île. Son interprétation fantastique du lézard géant d’El Hierro (Gallotia simonyi) ouvre cet article du blog.
Don Zósimo et Isidoro Sánchez sur  Hierro  et Tenerife sans oublier Bruxelles. Isidoro Sánchez García (1942-)  était le cadet du premier mais son chef au niveau des Canaries. Il dirigea les Parcs nationaux de Tenerife (P. N.  du Teide) et La Gomera (P. N. Garajonay) entre 1974 et 1987. Il participa à la vie politique des Canaries à partir de 1979,  en tant que conseiller municipal de La Orotava (Tenerife). Ensuite,  il fut conseiller du Cabildo de Tenerife, et, plus tard, de Puerto de la Cruz (une grande ville de Tenerife). Il fut aussi député au Parlement régional des Canaries et surtout au Parlement européen à Bruxelles (de 1992 à 2003 avec une interruption de quelques années). Il a publié autour d’El Hierro tout en soulignant l’apport séminal de Don Zósimo.
A Paris dans les bureaux de l’annexe de l’Unesco (1, rue Miollis – XVe), Malcolm Hadley qui anima le réseau des réserves de la biosphère du MAB (Man and Biosphere) et la revue internationale et multilangue “Nature & Ressources” et Pier Giovanni Ayala, le président de l’ONG Insula dédiée au développement insulaire, firent beaucoup, en sous-main et avec chaleur, pour l’avancement des dossiers portés par les représentants élus et les scientifiques travaillant autour d’El Hierro.

“Je me souviens de Pier Giovanni d’Ayala, Sicilien aux yeux verts et aux cheveux roux, propriétaire d’une petite maison au pied d’un volcan, à Salina, dans l’archipel des Lipari, en Italie, fonctionnaire de l’Unesco, se comparant volontiers, dans un grand éclat de rire, à un pirate à l’assaut de cet organisme prestigieux, me racontant en me tenant par le bras, lors de notre premier voyage commun dans une île, l’histoire de l’archipel des Kerkennah, en Tunisie”. Louis Brigand, “Besoin d’îles”, Stock, 2009,

Pour la transition énergétique, il faut citer sans faute Tomás Padrón (1945-) et Ricardo Melchior (1947-). Tous deux étaient ingénieurs de l’Unelco, la compagnie de gaz et électricité des îles Canaries qui tournait à 95% avec une alimentation au fioul et autres énergies fossiles et qui fut absorbée totalement en 2002 par Endesa. Ils menèrent, pour faire avancer leurs idées autonomistes, également une carrière politique.  Le premier domina la vie d’El Hierro, en tant que président du Cabildo de 1979 à 2011, l’année de sa retraite. Le second fut  président du Cabildo de Tenerife de 1999 à 2013.  Tomás Padrón fut aussi brièvement député au parlement régional des Canaries dans les années 1990 et c’est le père de la centrale hydro-éolienne et le paladin de l’indépendance énergétique insulaire. Melchior est docteur honoris causa de l’Université Nationale d’Irlande (2002) pour son travail sur les ENR.
Un autre tandem, plus de terrain, est celui qui fut formé entre Tomás Padrón et Juan Manuel Quintero qui gère l’entreprise Gorona del Viento au jour le jour.
Enfin, bien que sachant que la liste précédente soit incomplète ce dont je m’excuse par avance, je ne pouvais pas oublier de citer sans faute une femme politique trop tôt disparue Loyola de Palacio (1950-2006). Ce fut la première femme Vice-présidente de la Commission européenne à Bruxelles et une Commissaire aux transports et à l’énergie qui défendit, au plus haut niveau, le projet 100 % ENR d’El Hierro. En 2008, la Commission européenne a décidé de créer une chaire de recherches qui porte son nom dédiée à la politique énergétique commune.

 Loyola de Palacio (1950-2006), Vice-présidente de la Commission européenne. Cliché : UE.

 

« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière , les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme . » Jean-Jacques Rousseau, Les confessions.