Dans la ville industrielle de Trollhättan dans le sud de la Suède, près de Göteborg, on commence à croire de nouveau ; l’ancienne usine automobile Saab, quasiment à l’arrêt depuis 2014 et la fin officielle de ce constructeur en 2016 devrait renaître fin 2019 (en allemand et anglais). Le projet reste toujours d’actualité en 2022. Saab Automobile (il existe des entités complétement séparées depuis longtemps tels Saab Aviation – un groupe militaire dont aussi des sous-marins – et les camions Scania) employait environ 3 700 personnes à Trollhättan autour de 2009.
Le but de la holding chino-suédoise NEVS (National Electric Vehicule Sweden AB), ayant acheté les droits et actifs de Saab Automobile, et de Sono Motors, une start-up de Munich : assembler une nouvelle voiture, la Sion, qui, à bien des égards, est novatrice.
Les automobiles Saab de 2005 à 2011 furent les premières à commercialiser, à l’échelle industrielle, des modèles « verts » dits Biopower ou plus sérieusement des véhicules fonctionnant au bio-éthanol ou E85 ou encore aux agro-carburants. Lorsque le grand constructeur GM lâcha Saab entre 2009 et 2011 il ne voulut pas que ses brevets « verts » puissent être acheté par un éventuel repreneur ce qui fit avorter dans l’oeuf toute tentative de rachat par un autre grand groupe automobile. Autre initiative brevetée et témoignant de la « conscience écologique » du regretté constructeur suédois, le prototype Saab 9-X BioHybrid (E85 et électrique avec une part de recharge par énergie solaire et, bien sûr, par son système de freinage).
Il faut rappeler que GM fut relaxé de la faute supposée de créer des publicités soit-disant faussement écologiques avec Saab et son utilisation des agro-carburants par le Tribunal de Paris de façon définitive en 2015. Dans ce cas, le greenwashing n’a pas pu être prouvé. Pour mémoire aussi, il faut rappeler que GM, en Californie et Arizona, fut un des pionniers de la voiture électrique dans les années 90 avec un véhicule spécifique conçu de A à Z à cette fin : la General Motors EV1. Pour des raisons diverses, il fut abandonné dès 2001 bien que le PDG d’alors de GM considérât l’une des plus grandes erreurs stratégiques de sa présidence le retrait de toutes les EV1 qui étaient disponibles uniquement en location longue durée.
Chez GM, le fait d’avoir aussi, dans sa vaste gamme, une voiture hybride, avec un moteur électrique performant sur le secteur, en vente dès 2011 comme l’Opel Ampera, renommée aux USA Chevrolet Volt, ne facilita pas la tâche à Saab et plus précisément, le développement de ses modèles à agro-carburants.
La seule qui releva sérieusement le défi de racheter les actifs du constructeur Saab, sauf donc ses brevets « verts », fut en 2012 la holding chino-suédoise NEVS. Cette dernière a, dans un premier temps, relancé timidement l’assemblage de quelques centaines, voire de milliers, de Saab essence entre 2013 et 2014 à Trollhättan. Ensuite, ajoutons que NEVS va reprendre la production de voitures, très proches du modèle iconique 9-3 mais non dotés du macaron Saab, en les dotant d’une propulsion électrique. Toutefois cela adviendra dans une usine chinoise ! Bref, l’histoire de Saab puis de NEVS est chaotique depuis 2009.
Maintenant NEVS souhaite rentabiliser ses autres actifs dont le site industriel suédois de Trollhättan, de loin le plus important de l’héritage bâti de Saab Automobile. Cette holding s’est associée à Sono Motors, une start-up allemande de Munich, pour y produire à partir de la seconde moitié de 2019 la Sion, une voiture à la fois solaire, électrique et à charge bi-directionnelle ou V2G (Vehicule to Grid en anglais). Presque la quadrature du cercle. De cette voiture, j’en ai entendu parler la première fois par mon Collègue Robert Bob Morandiera qui préside et surtout anime, avec enthousiasme, l’association Lame66 de véhicules électriques (VE) en Pyrénées-Orientales. En tant qu’expert et organisateur du plus grand rassemblement de VE d’Europe à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) en septembre 2018, Bob avait invité les dirigeants et techniciens de Sono Motors à présenter un de leurs prototypes en France devant un public de passionnés acquis d’avance. Ce ne fut pas possible pour eux et Robert Morandiera a le blues (les idées noires en français) après tant d’efforts, depuis de longues années, afin de promouvoir la mobilité électrique.
Sono Motors reprend le schéma de Tesla en poussant jusqu’au bout le concept. C’est une une start-up, une société à financement participatif, qui fabriquera une voiture qui elle-même a été pré-commandée avant sa mise en production.
C’est dire que les 10 000 personnes ayant versé au moins 500 euros ont pris des risques : son prix de vente (un achat fait seulement sur catalogue), auprès donc de clients captifs, est passé de 20 à 25 500 euros. Les raisons vraisemblables de cette inflation tarifaire : l’alliance avec le géant industriel allemand Continental ; un pack de batterie Made in Germany ; et le choix de la fabrication en Suède. Sans parler d’un effet d’annonce avec un prix d’appel ultra-attractif mais trop bas ou plutôt trop beau pour être tenu.
Le constructeur de voitures électriques Tesla, avant de lancer son nouveau Model 3 maintenant en production, avait recueilli 1 000 dollars en dépôt de chacun de ses 400 000 futurs clients. C’est dire la confiance des acheteurs de VE qui sont bien souvent encore des militants. Chez Tesla, produisant avec succès des voitures électriques depuis des années, la pêche avait été bonne avec 400 millions de dollars US recueillis !
Plusieurs particularités de la Sion sont intéressantes. C’est, d’abord à mon sens, une énergie solaire d’appoint qui présente surtout l’intérêt de permettre de tourner le handicap, si elle faisait école, de limiter les nombres de places de parking couvertes de cellules photovoltaïques voire d’ôter du paysage des champs solaires au bénéfice de l’œil et de la biodiversité. Pour son constructeur Sono Motors, dans une situation moyenne en Allemagne, la Sion dispose jusqu’à 34 kilomètres/jour d’autonomie supplémentaire qui peuvent être générés uniquement par l’énergie solaire. Sur de courtes distances, l’autonomie est assurée. Ensuite, la Sion est proposée systématiquement en V2G qui transforme la grosse batterie de la voiture roulante en un ensemble de stockage d’énergie (de 35 kWh contre 13,5 pour un Powerwall 2 de chez Tesla) souvent indispensable pour pallier, dans un réseau non connecté, aux intermittences des EnR tels l’éolien et le solaire. Egalement, une voiture peut en recharger une autre si dotée du même système V2G.
De plus, sa batterie fera fonctionner de gros appareils ménagers énergivores quand le prix de l’électricité sur le réseau sera élevé et donc quand on a besoin chez soi d’eux. Pour l’acheteur, il a un bonus financier à terme ; il fait charger sa voiture aux heures creuses de la tarification et décharge sa batterie dans le réseau lors des heures où la demande est forte et donc quand la rémunération de l’électricité est excellente pour son portefeuille. Au Danemark, des tests menés par Nissan ont montré un gain jusqu’à 1 500 euros/an pour une voiture roulant peu et dans un pays où l’électricité est déjà chère et les différences tarifaires entre les heures creuses et de pointe sont élevées. Cette politique de tarifs très différenciés selon l’horaire tend à se mettre en place en Europe.
Avec la Sion ce serait (au conditionnel car il s’agit de capital risque) une voiture, proche esthétiquement, en fonctionnalité et gabarit de la Leaf de Nissan, qui présenterait d’autres avantages dont son bas coût d’achat pour un VE. Après une grosse augmentation du prix catalogue, la Sion est vendue à 25 500 euros mais son prix reste contenu pour un VE ; il est obtenu grâce à l’assemblage de composants automobiles déjà amortis ou bon marché. La Sion, encore trop chère à l’achat pour le français moyen, devient accessible pour un conducteur d’Europe du Nord. Une autre garantie sera le savoir-faire des ouvriers suédois en mécanique et électricité dans une ville de tradition industrielle. Enfin, le Made in Sweden sera un atout lors de la revente.
Les inconvénients d’un tel achat restent nombreux et le plus grand est relatif au manque de lisibilité d’un nouveau petit constructeur. Mènera-t-il son projet à terme ? En cas de succès, ne sera-t-il pas racheté par un plus gros qui l’éteindra ne voulant pas que son marché se développer ? Ainsi fit GM pour Saab et ses agro-carburants, à un toute autre échelle, notamment lors d’une réorganisation interne. Après, il y a des limites propres à la voiture. Black is black : la standardisation, selon les préceptes d’Henry Ford sur la Ford T, a abouti au choix d’une seule couleur disponible, la noire, pour des raisons de coût et aussi, de façon heureuse, il y a ainsi une meilleure intégration des cellules photovoltaïque dans la carrosserie noire du véhicule. Sur le fond, la charge solaire est faible même dans les pays méditerranéens et disposer d’un garage fermé devint un inconvénient… de jour. Les portières solaires sont aussi très exposées aux chocs et accidents du trafic routier. Acheter une Sion aura des aspects peu pratiques : la nécessité d’aller chercher sa voiture au nord de l’Allemagne, sur la Mer Baltique à l’avant-port de Brême, car presque en face de l’usine suédoise ; l’absence de réseau et de service après-vente bien que le véhicule soit conçu pour être facilement réparable et d’un entretien aisé et limité comme tout VE qui comporte beaucoup moins de pièces mécaniques qu’un thermique.
Au total combien y a-t-il de divisions de voitures V2G en Europe ? Réponse : une petite phalange, dit avec humour. Une vingtaine de Renault (modèles Zoé et Kangoo) sur l’île portugaise de Porto Santo, proche de celle de Madère, avec 40 points de charge bi-directionnelle. A peu près autant à Utrecht aux Pays-Bas et sans doute une quantité proche bientôt sur Belle-Ile-en-Mer avec le soutien d’EDF. A Amsterdam et aux Pays-Bas, il y a depuis peu un ensemble de chargeurs bi-directionnels implantés par la multinationale de l’électricité, d’origine italienne, Enel essentiellement pour les Mitsubishi Outlander PHEV. 25 000 exemplaires du modèle Outlander hydride rechargeable ont été vendus aux Pays-Bas. Il y a donc un premier réservoir substantiel pour sortir du marché de niche.
En conclusion le V2G reste encore expérimental, hors des Pays-Bas. Toutefois les 10 000 Sion pré-commandées devraient lui donner un coup de fouet en élargissant son spectre d’action à l’Europe si la mise en production de cette voiture suédoise, impulsée par une start-up allemande, n’était pas une arlésienne.
Je précise que je n’ai pas de connections ni d’intérêt avec aucun des constructeurs automobiles cités en précédence ni avec EDF, Enel, Newmotion et Tennet.