Tous les articles par Claude ASLANGUL

Temps physique, temps des média

La diffusion vers le grand public des résultats de certaines expériences  de Physique est d’autant plus délicate que celles-ci portent sur des questions concernant les fondements des théories en vigueur ou impliquant des enjeux industriels de première importance.

On se souvient notamment de l’effervescence autour des supraconducteurs à “haute” température critique dans le milieu des années quatre-vingt où les média, pour annoncer des records présentés comme sensationnels, étaient plus prompts que les revues spécialisées dont le processus de publication est forcément moins rapide — cette (relative) lenteur étant le prix à payer afin d’apporter le sérieux critique indispensable. Vérification faite, certains des matériaux-miracles ayant fait la une des plus grands journaux se sont révélés instables et donc inutilisables pour les fins auxquelles ils étaient conçus. La même époque a connu la triste histoire de la mémoire de l’eau, qui n’a fait du bien à personne (même pas aux laboratoires fabriquant des remèdes homéopathiques) et aussi celle de la fusion froide dont on attend toujours les preuves malgré les montagnes de dollars subitement investis…

Plus récemment, cette fois à propos des neutrinos de l’expérience OPERA,  on a vu des gros titres annonçant qu’Einstein s’était trompé et que la Physique tout entière vacillait sur ses bases. La vérification minutieuse du protocole expérimental a pris des mois, débouchant finalement sur la conclusion qu’une erreur d’appareillage était responsable de l’apparente supraluminicité de ces particules fantomatiques. Einstein peut encore dormir en paix du sommeil du juste. A ce sujet, laissons de côté les énormités que permet l’ignorance la plus stupéfiante : il s’est même trouvé des “experts”  pour parler avec autorité du tunnel de 732 kilomètres de long que les neutrinos avaient emprunté pour aller de Genève à Gran Sasso !!!

Encore plus récemment (mars 2014), un battage médiatique a fait la part belle au sujet des ondes gravitationnelles primordiales, que l’équipe de BICEP2 proclamait avoir détectées. La nouvelle était d’importance puisqu’elle apportait de l’eau au moulin de la théorie  cosmologique d’Andreï Linde, poétiquement désignée sous le nom de mousse d’univers. On peut même trouver une vidéo de l’université de Stanford où, tel Moïse descendant du Sinaï, un étudiant se déplace au domicile d’A. Linde pour lui annoncer le résultat crucial, avant d’être convié à déboucher une bouteille (de Champagne made in California ?).

Las ! Les résultats de cette expérience viennent d’être publiés dans une revue à comité de lecture (“Detection of B-Mode Polarization at Degree Angular Scales by BICEP2”, Phys. Rev. Lett., 112, 241101 (2014)) ; leurs auteurs affichent une prudence de bon aloi que l’on peut attribuer autant à leur rigueur scientifique qu’à l’analyse très récente de l’équipe travaillant sur le projet PLANCK  tendant à montrer (arXiv:1409.5738) que les “anomalies” vues par BICEP2 pourraient bien être imputées à d’autres causes.

On pourrait multiplier les exemples des ratés de l’information grand public, dont des institutions pourtant respectables se font parfois les complices quand elles n’en sont pas les initiatrices. Pour ma part, je préfère renvoyer à la belle analyse que Richard Taillet expose dans son blog (http://www.scilogs.fr/signal-sur-bruit/communication-scientifique-et-diffusion-mediatique-le-temps-de-la-relaxation/ ). Si la multiplication des exemples ne change rien au fond, plus grave est le discrédit que de vraies fausses nouvelles colportées à la hâte peuvent jeter sur la communauté scientifique, redonnant hélas au passage un semblant de respectabilité aux théories hétérodoxes les plus farfelues ayant pourtant l’outrecuidance de se poser en malheureuses victimes de la science officielle.

J’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre…

Moi j'ai dit bizarre ? Comme c'est bizarre...
Moi j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre…

L’illustre réplique de Louis Jouvet dans Drôle de drame vient à l’esprit à chaque fois qu’il s’agit de commenter une question pointant l’une des nombreuses étrangetés quantiques. Roger Penrose, parlant de la théorie construite par Heisenberg et Schrödinger, écrit “…that most exact and mysterious of  physical theories” (The emperor’s new mind}, p. 292 (Oxford University Press, 1989).

L’intrication ou l’art d’être inséparables

L’intrication de deux objets figure au top ten des bizarreries quantiques ; si cette propriété n’est pas aisée à décrire avec les mots du langage commun, sa conséquence la plus spectaculaire est aisément perceptible : à condition de bien s’y prendre, deux systèmes qui ont interagi l’un avec l’autre à un instant donné ne sont plus jamais séparables et individualisables, et ce même s’ils sont éloignés l’un de l’autre autant que l’on veut. Autrement dit, deux objets qui ont eu une vie commune, aussi éphémère soit-elle, ne peuvent plus jamais exister indépendamment l’un de l’autre, aucun d’entre eux n’a d’état indépendamment de l’autre, ils deviennent inséparables comme les partenaires de ce couple d’oiseaux que Rod Taylor offre à Tippi Hedren dans le célèbre film d’Albert Hitchcock. Dans son livre Conversations avec le Sphinx (Albin Michel, Paris, 1991, page 199), Etienne Klein utilise d’ailleurs une fort jolie comparaison humaine pour donner une image pénétrante de ce surprenant phénomène.

De EPR à Alain Aspect

Einstein, Podolsky et Rosen l’avaient bien compris lorsqu’il écrivirent leur célèbre article de 1935, dont la principale conclusion était que la théorie quantique, pour satisfaisante qu’elle soit, est une théorie incomplète dans la mesure où elle ne considère pas des variables qui, selon ces auteurs, doivent nécessairement apparaître dans toute théorie physique dont l’objectif est la description des phénomènes naturels.

C’était en 1935, à une époque où l’expérience de pensée décrite n’était pas réalisable. Il aura fallu le travail théorique de John Bell en 1962 (ses fameuses inégalités, dont on peut trouver les prémices chez Jean Bass) puis la prouesse expérimentale accomplie par Alain Aspect et son équipe pour avoir la preuve, près d’un demi-siècle plus tard, que si l’on met face à face le trio EPR et la théorie quantique et qu’il faut désigner un vainqueur, c’est la théorie qui l’emporte par KO. La confirmation éclatante de ce qu’affirme la théorie contre tout bon sens est un pavé dans la mare du réalisme traditionnel et de la croyance en la localité, deux axiomes implicites qui sont les clés de voûte de la Physique classique. C’est en s’appuyant sur eux que l’on peut,  à tout instant, attribuer à toute grandeur physique une certaine valeur bien définie, que cette grandeur fasse l’objet une mesure ou non.

Le temps aussi

En fait, l’intrication n’a pas que des conséquences portant sur l’espace, c’est-à-dire la position de deux systèmes. Legett et Garg ont établi en 1985 des inégalités de même nature que celles de Bell mais portant sur la variable temps et concernant cette fois l’évolution temporelle d’un système unique. Il n’est plus question de deux systèmes situés ici et là mais d’un seul système à un instant et à un autre. Selon Leggett et Garg, et sous l’hypothèse du réalisme local tel que le pose la Physique classique, une certaine fonction de corrélation temporelle est inévitablement plus petite que 1.

Assez récemment, l’équipe de Daniel Estève au CEA a mis en évidence une violation de cette inégalité (“Experimental violation of a Bell’s inequality in time with weak measurement”, A. Palacios-Laloy, F. Mallet, F Nguyen, P. Bertet, D. Vion, D. Estève et A. N. Korotkov, Nature Physics, 6, 447 (2010)). Cette violation est d’autant plus spectaculaire que l’objet quantique au cœur de l’expérience est un circuit supraconducteur de taille micrométrique, donc macroscopique : les particules élémentaires n’ont pas l’exclusif privilège de devoir obéir à la théorie quantique !

D’ailleurs, comme le dit Sin-itiro Tomonaga, sans la théorie quantique, c’est l’univers tout entier qui n’existerait pas : on peut difficilement trouver un système plus macroscopique

 

 

 

Le nouvel auditorium de Radio – France

AuditoriumInauguré récemment, le nouvel auditorium de la Maison de la Radio est une grande salle de concert (près de 1500 places) à l’architecture surprenante puisque le public est réparti dans un vaste espace circulaire autour de la scène. La décoration intérieure est très belle, réalisée dans divers bois précieux et l’on note les irrégularités aléatoires des parois, destinées à maîtriser les réflexions parasites résonnantes, sans doute un peu à la manière d’un billard de Sinaï.

Les premiers concerts auxquels j’ai assisté ont toutefois confirmé les craintes que le bon sens peut susciter : sauf à se trouver dans les gradins face à l’orchestre, permettant une perception auditive à la fois naturelle et traditionnelle, les places latérales n’offrent qu’une audition assez décevante pour des raisons évidentes, les différents pupitres de l’orchestre étant fortement déséquilibrés malgré la présence en hauteur d’un diffuseur acoustique sensé rétablir, avec plus ou moins de bonheur, ce que la morphologie de la salle inévitablement dénature. A ce déséquilibre au niveau des masses orchestrales s’ajoute le fait que le soliste est parfois quelque peu inaudible, comme ce fut le cas le 19 décembre dans le concerto pour violoncelle de Dvorak, alors que la partition du compositeur tchèque est un modèle d’œuvre concertante où l’instrument et l’orchestre dialoguent dans une splendide harmonie mélodique où l’équilibre sonore est à tout instant maîtrisé.

Déception ? Oui, au moins jusqu’à présent, mais avec l’espoir que ces défauts seront vite corrigés si c’est possible. Sinon, un conseil s’impose : quitte à choisir les places  les plus onéreuses ou à s’éloigner un peu de la scène, s’assurer impérativement que l’on se trouve face à l’orchestre et non exilé en hauteur dans l’une des loges latérales !

Schrödinger et Valéry

L’un des Pères-fondateurs de la théorie quantique et l’auteur de Monsieur Teste : quoi de commun entre ces deux grands hommes ?ImageSchValeryBlog

Au premier, on doit les fondements d’une théorie physique permettant de comprendre, à toutes les échelles aujourd’hui observables, pourquoi l’univers ne collapse pas, pour reprendre les mots de Sin-itiro Tomonaga. Le second a accompli une œuvre littéraire et poétique considérable (on ne peut oublier “Ce toit tranquille, où marchent les colombes” ni “Le vent se lève… il faut tenter de vivre !”), tout en étant un professeur d’exception, un conférencier soulevant à chaque fois l’enthousiasme de son auditoire et une référence absolue dans le royaume des arts et lettres.

Tous deux furent des intellectuels ayant marqué leur époque d’une empreinte définitive irradiant l’avenir, chacun étant d’ailleurs nourri de réflexions à l’opposé du champ disciplinaire que l’histoire retient usuellement, les humanités et la philosophie pour l’un, les mathématiques et les sciences pour l’autre.

Alors, au-delà de la fécondité de leur œuvre et du rayonnement universel de leur pensée, en quoi leur destin et leur vie se ressemblent-ils ?

On le découvre en lisant la biographie de Schrödinger par Walter Moore (“Schrödinger, Life and Thought”, Cambridge University Press, 1989) et le passionnant livre de Dominique Bona (“Je suis fou de toi : le grand amour de Paul Valéry”, Grasset, 2014), où l’on apprend que ces deux personnages illustres furent aussi des hommes, en proie à des passions amoureuses hors du commun.

Moore raconte avec tact et délice comment l’on ne connaîtra sans doute jamais l’identité de la dame d’Arosa, la première femme à avoir vu écrite sur un carnet de travail l’illustrissime équation de Schrödinger à Noël 1925, prodigieuse percée de l’esprit humain à propos de laquelle Hermann Weyl, l’ami de toujours, écrivit “He did his great work during a late erotic outburst in his life”.  Michio Kaku dans “Einstein’s Cosmos” (Atlas Books, 2004) évoque l’impossibilité d’en savoir plus sur la mystérieuse lady d’Arosa en raison des “innumerable girlfriends” de Schrödinger (tout comme sur ses enfants illégitimes…).

Late dit Weyl, n’exagérons rien, Schrödinger n’avait que 38 ans… Dominique Bona, elle, nous révèle comment à 65 ans passés, au bout d’une vie amoureuse déjà bien remplie, Valéry a éprouvé une folle passion pour celle qui signait ses romans du nom de Jean Voilier mais dont le prénom était Jeanne, sa cadette de plus de trente ans. Si le livre de Dominique Bona est un régal par la fluidité de l’écriture qui donne au lecteur l’impression de vivre avec les personnages qu’il met en scène, il est avant tout poignant : le lecteur devient peu à peu le témoin consterné d’une véritable descente aux enfers provoquée par un déséquilibre amoureux faisant insidieusement perdre à Valéry ce qui le faisait vivre intellectuellement et lui donnait une énergie inouïe pour travailler comme un forçat malgré une santé toujours fragile, et en des temps particulièrement troublés. La stupéfaction attristée du lecteur est d’ailleurs confirmée par le parcours des “Lettres à Jean Voilier” (Gallimard, 2014), choix de lettres écrites par Valéry entre 1937 et 1945, tout au long d’un voyage amoureux dont la fin brutale et imposée a, à n’en pas douter, précipité la mort de l’auteur de “La jeune Parque”. On est peu à peu bouleversé par quelques vers exprimant pudiquement le désarroi grandissant, depuis  “Cette lucidité que l’amour environne/Se trouble d’ombre tendre à la source des pleurs” jusqu’à “Tu n’étais donc pas ce que je meurs de perdre”, tout en refusant de désespérer sur la passion du cœur malgré les ravages qu’elle commet parfois, autant chez les obscurs et les sans-grade que chez les plus grands, les rassemblant tous dans la même et fragile dimension humaine.

Dans ce billet, s’il fut question de deux hommes, n’oublions pas que d’autres égéries ont aussi laissé leur nom dans l’histoire, par leur œuvre bien sûr, mais aussi par les tourments qu’elles ont inspirés : que l’on se souvienne de Gala et du désespoir d’Eluard, de Marie Curie et de la triste fin de Pierre… En la matière, nul(le) ne saurait croire à une fatalité inscrite à l’origine dans la rencontre aléatoire de deux chromosomes différenciés…

Réseau de Bethe (arbre de Cayley)

Le réseau de Bethe, ou encore arbre de Cayley, est une arborescence sans boucle dont chaque nœud possède un nombre fixe (coordinance) de premiers voisins ; la figure montre à gauche un arbre de coordinance 3. Cet objet a priori purement géométrique est la base d’un grand nombre de modèles allant de la biophysique (réactivité des protéines) aux sciences bibliométriques (“rayonnement” (!) d’un chercheur selon la nature et le nombre de ses collaborations).

Une question importante, valant d’ailleurs pour tout type de réseau, est la pertinence du désordre : lorsque des liens sont brisés aléatoirement, quelle est la concentration faisant perdre au système sa connectivité à grande échelle ? Pour le chercheur, à en croire les “experts”, ce serait sa mort intellectuelle et sociale.

ArbreDeBetheAI

 

Il est intéressant de constater que cette structure géométrique se retrouve presque à l’identique dans la nature, comme en témoigne la photo ci-dessus à droite d’une euphorbia tirucalli, prise à l’exposition ELK qui s’est tenue en septembre à Blankenberge (Belgique). Cette manifestation annuelle rassemble des centaines d’exposants proposant aux passionnés de cactus, plantes à caudex,… des exemplaires rares dont chacun est un émerveillement et donne raison à Buffon s’extasiant devant l’infinie variété des spectacles de la Nature.

Questions d’experts

Les Editions De Boeck ont organisé une vaste consultation sur Internet, destinée à rassembler des questions d’internautes. Avec d’autres auteurs, j’ai répondu à une sélection d’entre elles sous la forme de vidéos disponibles à l’adresse :

http://www.youtube.com/

et en entrant Aslangul dans le champ de recherche.

La version écrite de ces contributions est consultable à :

http://superieur.deboeck.com/resource/newsletters/Questions_d_experts_Aslangul_web.pdf

Rencontres de physique de l’infiniment grand à l’infiniment petit

Je participe depuis plusieurs années aux Rencontres de physique de l’infiniment grand à l’infiniment petit qui se tiennent à Orsay et Saclay pendant la deuxième quinzaine de juillet. Les textes de mes contributions et les vidéos des discussions avec Etienne Klein sont disponibles aux adresses suivantes~:

L’édition 2014 s’est tenue en juillet dernier ; les informations sont disponibles aux adresses :

En particulier, la discussion du 16 juillet avec Etienne Klein a eu pour thème “De l’importance de se tromper”.

 

 

 

 

Mes ouvrages

Trois tomes de Mécanique quantique (cours et problèmes corrigés) et le Mémento associé
Trois tomes de Mécanique quantique (cours et problèmes corrigés) et le Mémento associé

Certains des cours que j’ai dispensés à l’ENS et à l’UPMC ont été édités (grandement développés) sur l’initiative de Mr. Fabrice Chrétien des Editions De Boeck, à qui je dois d’avoir connu une expérience d’écriture passionnante et particulièrement enrichissante pour ce qu’elle m’a donné l’occasion d’approfondir et d’apprendre.

Les deux tomes de Mathématiques appliquées (cours et corrigés des problèmes)
Les deux tomes de Mathématiques appliquées (cours et corrigés des problèmes)

Les témoignages de lecteurs connus et inconnus ainsi que les messages de certains collègues sont les plus belles gratifications pour un travail de grande ampleur, qu’il s’agisse des trois tomes de Mécanique quantique ou des deux tomes de Mathématiques appliquées. Avoir ainsi la certitude d’avoir fait œuvre utile constitue pour moi le plus bel achèvement pour une fin de carrière.