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Nuit des chercheurs au Canada

J’ai eu la chance d’être invitée par le Consulat de France à participer à la Nuit des Chercheurs à Hamilton au Canada.

Cet évènement reprend le principe de la Researcher Night européenne qui a lieu fin septembre dans plusieurs villes de France mais aussi d’Europe : une rencontre conviviale entre public de 10 à 110 ans et des chercheurs de tout domaine.

J’avais participé il y a quelques années à cette Nuit à Dijon avec un collègue. Le même scénographe Jean-François Desmarchelier métamorphose un espace, ici le MacMaster Innovation Park, pour créer une ambiance intrigante, poétique, propice aux échanges et au questionnement. L’organisatrice Florence Roullet, biochimiste, a déployé pour la seconde année une énergie formidable pour monter le projet, trouver les partenaires, diffuser l’information : bref tous les ingrédients d’un évènement culturel d’envergure.  Et la lumière était à l’honneur.

En français parfois, en anglais surtout j’ai ainsi pu présenter l’écho lumineux du Big-Bang a un public très varié, toujours très chaleureux et enthousiaste, dans une ambiance sidérale :

Ambiance zen pour Planck à la Reseacher Night, Hamilton
Ambiance zen pour Planck à la Reseacher Night, Hamilton

 

L’organisation sans faille m’a permis d’en profiter pour rencontrer des chercheurs canadiens et  présenter les principaux résultats de Planck au Perimeter Institute de Waterloo et au département d’astronomie de l’université de MacMaster à Hamilton. Le soutien de l’Université pour des collaborations permettra je l’espère de nouer de nouveaux contacts durables.

Certains modèles d’inflation ont été inventés par des chercheurs du “PI”, et ce laboratoire très prestigieux accueille  des théoriciens parmi les plus brillants du monde. Bref, un peu impressionnant …

Reflets d'automne sur le nouveau bâtiment du Perimeter Institut
Reflets d’automne sur le nouveau bâtiment du Perimeter Institut

J’ai tout de même eu quelques heures pour me balader en fin de journée et découvrir, un peu, Hamilton situé au bord du lac Ontario.

Le lac Ontario au crépuscule
Le lac Ontario au crépuscule

Autre chose remarquable pour un Français : à une semaine de Halloween, un certain nombre de maison s arborent une décoration effrayante !

Certaines maisons sont bien gardées ...
Certaines maisons sont bien gardées …

Mon séjour au Canada s’achève aujourd’hui avec un petit tour aux si célèbres chutes du Niagara avant de partir. Merci beaucoup à Florence, Jeff, Lionel, Cliff, Laura, Peter, Hélène, Sophie … pour ces quelques jours intenses  et chaleureux !

Planck au Palais de la découverte

Coté recherche, je ne suis plus que dans le projet LSST mais ma casquette “diffusion des connaissances” est toujours pour Planck. Et ce mois-ci, en résumé, je cause de Planck !

Après une conférence début octobre dans les Alpes du Sud, organisée par l’association Quasar , avant ma participation à la nuit des deux infinis à Grenoble ce soir, j’ai inauguré hier l’espace “Un chercheur, une manip” consacré au projet Planck au Palais de la découverte.

C’est parti d’un collègue de Planck qui nous a informé de cette possibilité : un ou deux mois dans un espace dédié dans le plus emblématique des lieux de culture scientifique français. J’avais toute confiance en mes collègues (parisiens surtout, c’est plus simple pour eux !) pour partager les séances d’animation. Mais il fallait quand même trouver comment s’insérer dans ce cadre particulier …

Au Palais de la découverte, on manipule, on expérimente et a priori notre expérience à nous est un peu loin de cet aspect. J’ai donc réfléchi à ce qu’on pouvait faire et repris, en plus ambitieux, un dispositif construit dans mon laboratoire pour illustrer la polarisation. C’était pour la grande exposition Planck lors de la fête de la science de 2009. Ce dispositif a d’ailleurs été utilisé pour illustrer la polarisation sur notre site planck.fr.

Grâce à la collaboration d’Asja, chargée de projet Planck sans qui je n’aurais sans doute pas entrepris cette aventure, nous avons mis au point un projet de base, trouvé un créneau libre et “intéressant” (je souhaitais fortement que ce soit pendant les vacances de la Toussaint). Une séance de travail avec l’équipe du Palais de la découverte a mis d’affiner et améliorer le projet qui se complète de deux conférences et bientôt d’un article dans leur revue (en janvier je crois). J’ai encore des améliorations à y apporter …

Ensuite, des ingénieurs et techniciens talentueux et inventifs du LPSC ont créé un dispositif à la fois “spectaculaire”, facile d’utilisation, complet, solide et esthétique :

Dispositif conçu et fabriqué au LPSC pour mettre en évidence la polarisation en transmission et en réflexion
Dispositif conçu et fabriqué au LPSC pour mettre en évidence la polarisation en transmission et en réflexion

 

J’ai trouvé un prestataire (trivision3d []) qui a su transformer nos faux reliefs en vrais volumes afin de mieux faire ressortir la troisième dimension apportée par la polarisation – des collègues ayaient auparavant fait des miracles pour créer ces faux reliefs ! Je les mettrai sur ce site ultérieurement, après l’exposition.

Nous avons 82 séances entre le 14 octobre et le 29 novembre, dont deux en langue des signes car un collègue est capable d’offrir cette possibilité. Satellite, bolomètre et manipulations basées sur la polarisation sont au rendez-vous, ainsi qu’une vraie visualisation 3D du rayonnement fossile (et bientôt de la Galaxie).

C'est d'ici que le chercheur de Planck fait sa séance, à droite le bolomètre (derrière les reflets ...) et à gauche le dispositif pour la polarisation. La décoration a été créée par l'équipe du Palais de la découverte.
C’est d’ici que le chercheur de Planck fait sa séance, à droite le bolomètre (derrière les reflets …) et à gauche le dispositif pour la polarisation. La décoration a été créée par l’équipe du Palais de la découverte.
La maquette du satellite ainsi qu'un ensemble de panneaux et des vidéos sont visibles en permanence jusqu'à fin novembre.
La maquette du satellite ainsi qu’un ensemble de panneaux et des vidéos sont visibles en permanence jusqu’à fin novembre.

Planck a ajouté la polarisation à l’arsenal des outils pour la cosmologie de précision. Cette exposition je l’espère aidera petits et grands à en percevoir le potentiel et les premières leçons.

Travail d’équipe pour Planck et Herschel

Flambée d’étoiles et lentilles gravitationnelles

Commençons par l’actualité scientifique. Un nouveau communiqué ESA commun à Planck et Herschel a été très récemment publié à l’occasion d’un article Planck qui s’intéresse aux sources les plus lointaines détectées par Planck.
Du fait de sa faible résolution angulaire (environ 1/6 de Pleine Lune), déjà excellente pour étudier le rayonnement fossile mais pas fabuleuse pour faire de l’astrophysique, Planck ne détecte que quelques milliers de sources individuelles bien qu’il voit tout le ciel. En effet pour qu’une source soit identifiée il faut que sa luminosité soit grande devant le ciel moyen du pixel. Si la source est proche, elle va occuper une part importante du pixel et on la détectera facilement – les sources les plus proches comme l’amas de Virgo ou Coma sont même étendues, c’est-à-dire qu’elles occupent plusieurs pixels des cartes. Mais si la source est lointaine, elle ne sera visible que si la lumière qu’elle émet est vraiment particulièrement intense. Il y a alors deux possibilités : la source est intrinsèquement très brillante ou son éclat est amplifié par effet de lentille gravitationnelle. Les deux cas sont très intéressants mais Planck est incapable de distinguer les deux …
Les candidats “sources lointaines” sont alors cartographiés en détails par le satellite Herschel. Avec son miroir de 2m de diamètre concentrant la lumière sur seulement quelques arc-minutes carré, ce satellite, qui a partagé la coiffe d’Ariane avec Planck, peut distinguer les deux cas. Soit il s’agit d’un amas de galaxies, peut-être même un proto-amas, avec une formation stellaire très dynamique : Planck et Herschel voient alors le gaz prêt à faire une flambée d’étoiles, soit il s’agit d’un amas de galaxies ordinaire dont l’émission a été amplifiée : on peut alors étudier une source “ordinaire” mais lointaine, donc jeune, qui reste habituellement hors de portée.

Image de Herschel-SPIRE d'un candidat amas à grand redshift.
Image de Herschel-SPIRE d’un candidat amas à grand redshift.

Comme d’habitude, vous trouverez un peu plus de détails sur ces résultats ici. Ce travail a été dirigé par un collègue de l’IAS, Hervé Dole.

la polarisation arrive avec Planck 2015

Une foule de résultats associés à la polarisation

J’ai beaucoup écrit pour Planck ces temps-ci (j’ai eu aussi mon gros rapport “à 10 semestres” pour le CNRS …), donc j’ai un peu délaissé ce blog … Mais ca y est. Un peu de retard sur le calendrier très initial de juin 2014, mais la polarisation est enfin livrée. La “polarisation” signifie les cartes et les articles de la mission complète qui utilisent cette nouvelle observable de l’univers primordial. Tout n’est pas encore là en fait, car quelques articles ont quelques jours ou quelques semaines de retard et, surtout, il n’y a pas encore les données livrées en polarisation des canaux HFI polarisés hormis le canal à 353 GHz.

Mais la polarisation du rayonnement fossile est pour la première fois cartographiée sur tout le ciel :

Carte du rayonnement fossile vu par Planck. Les couleurs tracent la température et les reliefs indiquent la direction de la polarisation. Crédits : ESA - collaboration Planck
Carte du rayonnement fossile vu par Planck. Les couleurs tracent la température et les reliefs indiquent la direction de la polarisation.
Crédits : ESA – collaboration Planck

Que nous apprend la polarisation ?

Si on regarde les résultats, on constate que les paramètres cosmologiques n’ont presque pas bougé. En quoi ce Graal de la cosmologie est donc si précieux ? C’est l’unique information autre que la température du rayonnement fossile de notre univers primordial qui nous soit accessible. On a deux informations indépendantes. C’est donc un outil très puissant pour vérifier, tester, contraindre les hypothèses et la physique du modèle. On dit que la température est reliée à la densité de matière. Mais c’est une interprétation de la mesure. On dit que la polarisation est reliée aux mouvements de cette même matière. C’est toujours une interprétation, dans le même cadre, avec la même physique. Est-ce que ca marche ? Oui, admirablement ! C’est la raison pour laquelle les paramètres cosmologiques sont si stables. Mais notre capacité à contraindre les hypothèses (propriétés des neutrinos ou de la matière noire par exemple) a sensiblement augmenté. L’édifice du “modèle cosmologique standard” est aujourd’hui d’une très grande stabilité. Bien-sûr on peut encore trouver des paramètres pour un 4ième neutrino compatible avec les observations par exemple si on le veut vraiment, il y a de (petites) barres d’erreur. Mais il n’y a aucun signe indiquant la nécessité de faire appel à de la “nouvelle physique”, même pas un petit signe …

La faute à Bicep

Pourquoi tant de retard ? Parce qu’on veut livrer des données fiables, aux erreurs systématiques maitrisées, et ca s’est avéré bien plus difficile que prévu. En tout cas pour les grandes échelles angulaires dès lors que l’on s’intéresse à la polarisation. C’est aussi un peu de la faute de BICEP : leur annonce nous a obligé à améliorer encore les résultats en polarisation sur la Galaxie et notre collaboration avec eux était un travail non prévu dans le planning au départ. Mais il est bien normal de s’adapter au contexte et Planck joue son rôle de “grand justicier”, pas désagréable au fond. Pour une fois que ce sont eux qui ont besoin de nous … Mais ce n’est pas très réjouissant cependant. En effet le signal galactique polarisé est présent partout et bien plus intense que ce qui était prévu. Ça complique sensiblement les plans de toutes les expériences qui cherchent les modes B primordiaux – dont Planck. Ça complique aussi la mesure du signal de la réionisation sur le spectre de puissance en modes E qui a été décalée de quelques mois …

En tout cas une immense qualité de la Galaxie est d’être particulièrement photogénique (grâce au travail acharné de quelques collègues) :

Carte à 353 GHz de 40 par 40 degrés. Les couleurs indiquent la température alors que les reliefs indiquent la direction du champ magnétique galactique d’après la direction de  la polarisation.  Crédits: ESA - Collaboration Planck
Carte à 353 GHz de 40 par 40 degrés. Les couleurs indiquent la température alors que les reliefs indiquent la direction du champ magnétique galactique d’après la direction de la polarisation.
Crédits: ESA – Collaboration Planck

Cette carte est si somptueuse que nous en avons fait une vidéo : une ballade dans tout le ciel.

 

Retour sur les résultats de BICEP2

L’intérêt ne faiblit pas, les tensions non plus …

Si vous n’avez pas en tête ce résultat majeur s’il était confirmé, vous pouvez faire un tour ici ou sur ce blog.
En très bref, la collaboration BICEP2 avait annoncé la détection d’ondes gravitationnelles primordiales. La détection semble très sérieuse, l’interprétation plus sujette à discussion: signature de l’inflation primordiale, ou juste émission thermique de la poussière galactique ? Le Nobel en dépend !

Depuis mi-mars, chercheurs, journalistes, grand public se demandent si c’est la découverte du siècle (enfin de la décennie, soyons raisonnable et laissons une place pour la matière noire …) ou une erreur – ou au moins un manque de prudence … Une chose est sûre : c’est une incroyable publicité pour Planck dont les résultats sont attendus comme le messie !

Bataille scientifique

Un journaliste m’a appris qu’une dépêche de l’APF annonçait que l’équipe de Princeton était très critique avec les résultats de l’équipe de Caltech et Harvard. Je n’étais pas au courant j’avoue – et je ne suis pas sûre que la presse soit le lieu idéal pour régler ses comptes entre instituts. Mais après l’annonce initiale en toute confiance, les propos sont à présent plus nuancés : l’article maintenant publié par l’équipe BICEP2 dans une revue scientifique est plus prudent quant à la précision de l’estimation de la part galactique du signal.

Cette évolution a été largement relayée (par exemple dans cet article).

Planck travaille sérieusement

La collaboration Planck est priée de donner le fin mot de l’histoire sur les avant-plans (au moins). Un premier pas a été fait.

Certains semblent estimer que Planck fait de la rétention d’information ou “se fait désirer”. Non, on essaie juste de donner un résultat fiable, tant au niveau du signal que de son erreur.

Si c’était facile, on l’aurait déjà donné en 2013 ! Mais il faut maitriser l’ensemble des effets instrumentaux à un niveau tel que c’était impossible avant. Toute analyse est itérative : on enlève les effets principaux, on comprend les défauts résiduels, on trouve comment les corriger, on ré-analyse avec cette amélioration ... et on recommence. On peut arrêter quand les défauts résiduels sont suffisamment faibles devant le signal attendu - et qu’on estime que l’on est suffisamment sûrs de cette affirmation.  Afin de s’assurer que ce processus s’arrête quand même un jour, les agences spatiales nous imposent des délais maximums. Délais repoussés dans les limites du raisonnable ... et c’est ainsi qu’on arrive à octobre 2014. Toutes nos idées ne sont pas encore dans ces résultats - certaines encore en test, d’autres en cours d’implémentation. Ainsi de nouvelles publications basées sur une analyse encore plus raffinée sont prévues pour 2015.

Le champ magnétique de la Voie Lactée vu par le satellite Planck. Les régions les plus sombres correspondent à une émission polarisée plus forte et les stries indiquent la direction du champ magnétique projeté sur le plan du ciel.

Crédits : ESA – collaboration Planck

Si c’était facile, on l’aurait déjà donné en 2013 ! Mais il faut maitriser l’ensemble des effets instrumentaux à un niveau tel que c’était impossible avant. Toute analyse est itérative : on enlève les effets principaux, on comprend les défauts résiduels, on trouve comment les corriger, on ré-analyse avec cette amélioration … et on recommence. On peut arrêter quand les défauts résiduels sont suffisamment faibles devant le signal attendu – et qu’on estime que l’on est suffisamment sûrs de cette affirmation.

Afin de s’assurer que ce processus s’arrête quand même un jour, les agences spatiales nous imposent des délais maximums. Délais repoussés dans les limites du raisonnable … et c’est ainsi qu’on arrive à octobre 2014. Toutes nos idées ne sont pas encore dans ces résultats – certaines encore en test, d’autres en cours d’implémentation. Ainsi de nouvelles publications basées sur une analyse encore plus raffinée sont prévues pour 2015.

Bref l’histoire est bien loin d’être finie, d’autant que BICEP2 et Planck ne sont pas seuls : au moins une demi-douzaine d’expériences au sol ou en ballon ont des mesures en cours d’analyse.

Vidéo Un chercheur / une manip, sur Planck bien-sûr

Cette vidéo a été réalisée par Jean-François Desmarchelier à la demande de Simon Meyer, directeur du planétarium de Vaulx-en-Velin . Deux acteurs fort sympathiques et très talentueux de la diffusion de la culture scientifique !

Le principe : Un chercheur / une manip. Donc ici c’est moi et l’expérience c’est, sans surprise !, Planck. Vous pouvez aussi retrouver celle consacrée à mon collègue Andrea Catalano : un autre chercheur mais toujours sur Planck :

Du Big-Bang au grain de sable

C’est le titre de l’exposition permanente du planétarium de Vaulx-en-Velin qui a ouvert ses portes samedi dernier, et l’occasion de raconter notre collaboration avec ce lieu de culture scientifique exemplaire.

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© Cécile Renault, Planétarium de Vaulx-en-Velin

Mes premiers contacts avec Simon, actuel directeur, ont été en 2009 pour la première édition d’Ouf d’astro. Il monte un évènement autour de l’astro (c’est l’année mondiale de l’astronomie) en coopération avec les labos de la région. Vaulx-en-Velin, de prime abord, ça rappelle à ma génération une actualité de banlieue en feu. Mais c’était il y a longtemps et depuis ils travaillent pour changer cette image par une véritable politique sociale et culturelle, une équipe dynamique, sympathique, pleine d’idées et de talents.

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Pourquoi autant de méfiance face à la matière noire ?

L’annonce des résultats de Planck en mars dernier incluait “26% de l’énergie de notre univers aujourd’hui est sous forme de matière noire (avec une précision de l’ordre du pour-cent)”. Que la matière noire soit source de questions, c’est bien normal ! Mais elle a souvent été lors de conférences sujet de questions provocatrices (soit), sceptiques (soit …) voire soupçonneuses, quand ce n’était pas agressives. J’ai donc été amenée à réfléchir à la meilleure réponse – enfin pas trop mauvaise en tout cas, pour les matièrenoirosceptiques.

L'expérience zen d'un voyage au cœur d'un tableau de Pierre Soulages
L’expérience zen d’un voyage au cœur d’un tableau de Pierre Soulages

Soit on mesure mal …

Les chercheurs ne “croient pas” en la matière noire. Il y a des observations en contradiction avec la loi de la gravité (newtonienne, même pas la peine de faire appel à Einstein). Donc soit les mesures sont fausses, soit la loi est fausse, soit on relie mal les paramètres de la loi (ici la masse) aux mesures. Les mesures se sont largement affinées au cours de ces dernières dizaines d’années et le “problème” apparait à l’échelle des galaxies, des amas de galaxies, des grandes structures. Difficile d’imaginer que tout le monde se trompe alors que les résultats sont cohérents.

Soit c’est la faute d’Einstein …

Modifier la loi de gravité est très tentant. Après tout, Einstein a corrigé Newton pour les vitesses proches de celle de la lumière, pourquoi ne pas imaginé une modification qui aurait un effet aux très grandes échelles de distance, aux échelles “astronomiques” à proprement parler ? Plusieurs modifications ont été proposées mais aucune n’explique vraiment les observations des galaxies aux échelles cosmologiques. Et puis il y a eu l’amas du Boulet. Deux galaxies sont récemment rentrées en collision, on observe la distribution de matière ordinaire en rayon X, on déduit la distribution de masse totale par effet de lentille gravitationnelle. L’essentiel de la masse n’est pas là où on voit la matière ordinaire. Or c’est incompatible avec une modification de la loi ! Il existe des subtilités qui permettent de s’en sortir avec quand même un peu de matière noire mais l’élégance de cette solution a pris un coup quasi-fatal.

Soit on ne connait pas !

Reste l’interprétation : la masse “vue”, quel que soit le domaine de longueur d’ondes exploré, n’est qu’une petite partie de la masse “nécessaire” aux équations. Quelle est alors la nature de cette matière sombre ? Il y a une vingtaine d’années, on pouvait remplir notre galaxie de matière ordinaire car les erreurs sur la densité de matière baryonique (produite peu après le Big-Bang) et sur la masse nécessaire pour expliquer les vitesses des étoiles loin du centre galactique le permettaient. Ce n’est plus le cas. Il y a une vingtaine d’années la matière noire pouvait être “chaude” car on n’avait pas de simulations et d’observations des grandes structures assez fiables pour trancher. Le neutrino, particule non-baryonique qui a une vitesse très proche de celle de la lumière, était un candidat fort intéressant. Ce n’est plus le cas.

Aujourd’hui on calcule précisément la quantité de matière noire nécessaire pour expliquer les observations, on “voit” (indirectement) où elle est, on connait certaines de ses propriétés (neutre, sans interaction avec la lumière), mais on ignore toujours sa nature exacte (bien que de très nombreux modèles théoriques existent !) – on sait juste qu’elle doit être différente que ce qui compose les étoiles et nous, le gaz et les planètes.

Quand la lumière nous montre le noir
Quand la lumière nous montre le noir

Il ne faut pas croire que les chercheurs “veulent” de la matière noire, on rêvait plutôt de mettre en évidence une faille dans ce modèle ! Trouver une alternative à la nécessité de la matière noire était très très excitant. Mais non, les observations nous disent que l’ensemble est cohérent à l’unique condition de la présence (massive) de matière noire. Alors 13.8 milliards d’années deviennent limpides, plus limpides en tout cas.

Il est difficile de saisir l'ensemble, ce n'est pas une raison pour détourner le regard.
Il est difficile de saisir l’ensemble, ce n’est pas une raison pour détourner le regard.

Mais pourquoi est-ce impensable pour certains au point de mettre en doute (sans aucune connaissance permettant une critique légitime) les résultats d’années de travail de centaines de personnes ?

C’est finalement incroyablement “prétentieux”. Pourquoi ce qui n’est pas “comme nous” est donc si suspect ? Pourquoi ce que nous ne voyons pas avec nos yeux est donc impensable ?

Pourtant on a découvert que les ondes radio ou les rayons X sont tout autant de la lumière que ce que la photosphère du Soleil nous envoie : nos yeux ne voient pas tout. Pourtant on a découvert le neutrino par de la masse manquante, c’est une particule du modèle standard certes mais ses propriétés sont bien étranges pour un humain !

Il semble qu’il faille bien admettre que l’univers contient de la masse essentiellement sous une forme qui nous est étrangère et, pour l’instant, inaccessible. C’est une mauvaise nouvelle pour notre égo : non seulement nous sommes le centre de rien du tout mais en plus nous sommes fait d’une matière quasi-insignifiante à l’échelle du cosmos. Ce n’est pas une raison pour abandonner ! Le défi n’en devient que plus pimenté : comprendre le cosmos sculpté par la matière noire avec notre cerveau de matière ordinaire.