Archives pour l'étiquette histoire

El Hierro : représentations de l’arbre fontaine, de las Casas (XVIe s.) à Wölfel (1940)

Je mets à jour l’histoire de l’arbre fontaine de l’île d’El Hierro aux Canaries qui est tout sauf un mythe. Cet arbre sacré recueillait, à son pied, l’eau du brouillard précipitée auparavant, sous forme de gouttelettes, sur ses feuilles. Il est aussi connu sous les noms de Garoé et d’Arbre saint.

Les armoiries ou les armes d’El Hierro avec, au centre, le nuage de brouillard qui nimbe l’arbre saint des espagnols ou encore l’ancien Garoé des aborigènes guanches. Au pied de l’arbre, est l’eau recueillie.

Mettre à jour est ici plus une formule littéraire parce que, en recherche archivistique, il se parle en année voire en décennie. La connaissance d’un végétal remarquable disparu, car arraché par le vent au début du XVIIe siècle, est plutôt de l’ordre de la reconstruction faite brique après brique mais sachant que celles-ci sont irrégulières et qu’il y aura toujours des trous ou des lacunes. Continuer la lecture

Afrique et Bolivie : Yann L’Hôte et Ana Forenza, bénédictins des archives

Comme la plupart des gens, je n’aime guère rédiger des hommages car leur écriture est douloureuse. Toutefois le départ récent, vers l’autre rive, de mon ancien Collègue hydrologue Yann L’Hôte, en novembre 2018, est aussi l’occasion de montrer l’héritage intellectuel des chers disparus, telle l’archiviste bolivienne Ana Forenza, et de souligner notre altérité.
Yann L’Hôte était une personne discrète qui s’effaçait devant ses travaux si bien que j’ai eu des difficultés à trouver de lui une  photographie récente, même bien petite, sur la Toile.

L’hydrologue Yann L’Hôte, un jour de froidure, est au premier plan et tout à droite avec un groupe d’amis de Mémoire d’Oc, une section de l’Université du Tiers Temps de Montpellier. Porte menant à la butte de l’ancien château, cité de Pézenas (Hérault). © M.O.

Pendant des décennies, Yann a compilé, rangé, analysé et critiqué des données du climat surtout de la pluviométrie appelée encore la mesure de la pluie. Continuer la lecture

Montaillou et le Monde : biographie de Le Roy Ladurie, historien notamment du climat

Stefan Lemny travaille à la Bibliothèque de France comme chargé des collections. Il m’avait annoncé, déjà il y a quelques mois, la sortie de cet ouvrage de biographie, officiellement disponible depuis la mi-février 2018, pour préparer le quatre-vingt dixième anniversaire de la naissance de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie né donc en 1929.

Première de couverture de la biographie par Stefan Lemny d’Emmanuel Le Roy Ladurie. © Hermann éditeur, Paris, 2018.

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El Hierro : à la godille, la traversée de l’Atlantique à partir du méridien zéro

Voyager proprement reste un rêve pour la plupart car gaspiller beaucoup d’énergie est souvent synonyme d’aller vite. L’île d’El Hierro en particulier et les Canaries restent liées, dans l’imagerie populaire, à une époque des découvertes où pourtant les navigateurs n’allaient pas vite. A la voile, bien des célébrités qui ont changé le monde ou sa perception sont passées par là : Christophe Colomb, le défenseur des Indiens Bartolomé de las Casas et l’inventeur de l’écologie scientifique Alexander von Humboldt qui décrivit entre autres avec émerveillement en 1799 l’île de Tenerife dominée par le volcan Teide et ses plus de 3 700 mètres d’altitude (en espagnol). Dans cet univers de voiliers et sur le chemin des alizés, les îles Canaries offraient des escales bénéfiques lors du long voyage de l’Europe vers l’Amérique tropicale. Elles étaient des terres de passage quasi-obligé jusqu’au XVIIIe siècle quand l’Amérique était essentiellement forte d’une économie sucrière prospère et un continent riche en or, argent et pierres précieuses c’est-à-dire avant le développement des Etats-Unis.

Il est moins connu que les Canaries servirent dans le sens inverse, de l’Amérique à l’Europe, de lieux d’expérimentations agricoles avec, par exemple, le Jardín d’Aclimatación de La Orotava sur Tenerife pour beaucoup de plantes avant leur passage aux célèbres jardins royaux d’Aranjuez près de Madrid. Le jardin de La Orotava fut créé au XVIIIe siècle en 1788 sous l’impulsion du monarque éclairé Charles III d’Espagne et nous en sauriez plus à son sujet avec son ancien directeur et mon Ami Arnoldo Santos pour la partie botanique (en espagnol).

C’est ce cadre soulignant le rôle central des Canaries entre les deux Mondes, l’Ancien et le Nouveau, qui permettra que Louis XIII énonce en 1634 que le méridien zéro passerait par El Hierro soit l’ultime île de l’archipel par rapport à l’Europe considérée alors le centre de la Terre. Le méridien zéro a donc, de façon virtuelle, chu de Paris sur El Hierro ou l’isle de Fer ou bien l’île de Ferro ou encore Insula Ferri, selon les différentes langues utilisées à l’époque.

Stèle récente commémorant le méridien zéro des cartographes et physiciens. El Hierro, Punta de la Orchilla. ©  A. Gioda, IRD.

Certainement sans que ses quelques milliers d’habitants se dédiant à l’agropastoralisme le sachent d’autant que l’île d’El Hierro dépendait administrativement de celle  voisine de La Gomera. Sur cette dernière,  se trouvait le plus proche port fortifié et donc retenu sûr face aux pirates : celui de San Sebastian de La Gomera où Christophe Colomb relâchait. L’île d’El Hierro, au point de vue maritime, est restée au fil des siècles un endroit fort calme d’un abordage pas facile.

El Hierro : débarcadère et hôtel de Las Puntas. Ce fut le débarcadère principal de l’île jusqu’aux années 1930. La photo a été prise sur El Hierro lors du coup de tabac de la dépression de février 2013. © A. Gioda, IRD.

Cette tranquillité fait que son petit port de pêche moderne de La Restinga qui ne remonte qu’aux années 1960 – il est né spontanément à partir du dépôt frigorifique d’un armateur de La Gomera – est souvent choisi par les voiliers comme ultime abri avant le grand large et les Amériques. El Hierro est, par conséquent, encore le point  zéro de leur voyage. El Hierro a également retenu l’attention –  grâce à son bon état écologique, ses énergies renouvelables et ses riches fonds sous-marins – de l’équipage du bateau à pile à combustible hydrogène, Energy Observer pour un prochain documentaire sur Canal+ programmé en avril 2018, selon les dernières informations.

Vue de la jetée du port de La Restinga. El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.
Bateau de pêche côtière dans le port de La Restinga. El Hierro, Canaries. © A. Gioda, IRD.

Nous sommes à La Restinga loin de l’agitation du port international de Santa Cruz de Tenerife et de ses porte-conteneurs. Un cadre qui, joint au fait que l’El Hierro essaie d’être une terre propre, est idéal pour préparer un voyage fort original car totalement écologique : la traversée en solitaire de l’Atlantique à la godille qui est, d’une certaine manière, la continuation de l’épopée de 73 jours à la rame de Gérard d’Aboville faite en 1980. Le départ est prévu pour le 25 décembre. C’est le loup de mer habitué aux traversées atlantiques à la voile Hervé Le Merrer, venu de Trébeurden dans les Côtes-d’Armor, qui a porté sur ses larges épaules seul le projet et la construction du micro-bateau en s’appuyant sur quelques amis techniciens et un financement participatif. Le bateau a été construit spécifiquement pour la traversée de l’Atlantique. Il ne fait que 6,50 mètres de long et il est en contreplaqué stratifié, un matériau bon marché. Son coût a été limité puisque le financement récolté fut de l’ordre de huit mille euros.

Photographie de la page Godille sur Facebook avec Hervé Le Merrer en Bretagne. La petite embarcation porte le nom d’Eizh An Eizh (« Huit à huit », en breton, comme le mouvement de la godille).

Néanmoins son navigateur-constructeur n’a pas badiné avec la sécurité et le seul élément ultra-moderne est le matériau des cinq godilles embarquées qui est la fibre de carbone.

Premiers essais dans les eaux bretonnes de la nouvelle godille en carbone par Hervé Le Merrer. © Blog Diélette.

La lenteur et donc un autre rapport à la mer sont ce que recherche Hervé Le Merrer. La quête de la lenteur ou plus exactement celle d’un autre rythme sont sûrement des clefs pour réussir le développement durable.
Bon vent à toutes et à tous qui avaient suivi le blog Climat’O durant l’année 2017 et bonne année 2018 !

L’image mise en avant est tirée de la page Facebook d’Hervé Le Merrer et elle montre les derniers essais d’Eizh An Eizh dans le port de la Restinga avant le départ pour l’Amérique qui finalement a eu lieu le 28 décembre, la météorologie le permettant. Hervé Le Merrer était accompagné d’un autre merveilleux fou ramant sur sa drôle de machine. Lors de la transat en solitaire d’Hervé Le Merrer, vous pourriez suivre en direct la progression du micro-bateau Eizh An Eizh vers les Antilles.

El Hierro et son arbre fontaine : Garoé ou Arbre Saint ?

L’arbre fontaine, celui qui recueillait l’eau du brouillard, était le Garoé en langue guanche, le seul idiome parlé sur l’île jusqu’en 1405, lorsque El Hierro était peuplée de quelques centaines voire de quelques milliers de descendants de Berbères. Cette langue a disparu car aucun dictionnaire bilingue n’a été fait ou conservé. Il n’en subsiste que quelques mots et des toponymes.

Pétroglyphes des Guanches d'El Hierro appelés les Bimbaches. Seuls témoignages gravés sur l'île de leur présence. El Julian, mars 2014. Cliché : A. Gioda, IRD.
Pétroglyphes des Guanches d’El Hierro appelés les Bimbaches. Seuls témoignages gravés sur l’île de leur présence. Los Letreros, El Julian, mars 2014. © A. Gioda, IRD.

La conquête d’El Hierro en 1405 et de plusieurs îles des Canaries, à partir de 1402, fut faite par Jean IV de Béthencourt, un noble normand du grand port de Honfleur (inclus dans l’agglomération du Havre de nos jours), commissionné par la couronne de Castille. Ce conquérant – localement appelé un conquistador, un nom qui passera à la postérité – avait bénéficié d’une longue trêve (1388-1411) de  la Guerre de Cent Ans qui bloqua ensuite le commerce florissant de Honfleur, à la suite de deux défaites françaises en baie de Seine (1416-17). Jean IV de Béthencourt recherchait l’orseille, un colorant violet (d’où son autre nom de pourpre française), extrait du grand lichen rupestre Roccella tinctoria, abondant aux Canaries et qui était fort prisé  en teinturerie en en chimie jusqu’à 1850. Des lichens s’utilisent encore en Ecosse pour colorer, de façon traditionnelle et maintenant luxueuse, la laine des kilts. Continuer la lecture

El Hierro : l’arbre fontaine imaginé dans l’Histoire

L’arbre fontaine d’El Hierro – le Garoé dans la langue des aborigènes Guanches – ne fut jamais croqué par ceux l’ayant vu entre 1405-06 (l’époque de la conquête de l’île par Jean de Béthencourt) et 1610 (l’année de son arrachage par une tempête). Il fut recréé puis finement dessiné par des artistes, des illustrateurs, des graveurs voire des scientifiques à partir de descriptions d’explorateurs, militaires, marchands et gens d’église. Le plus célèbre de ces observateurs du Garoé fut Bartolomé de Las Casas, missionnaire dominicain, évêque au Mexique et grand défenseur de la cause des Indiens au XVIème siècle, entre autres lors de la controverse de Valladolid.